Cette histoire se déroule à l’époque de la guerre d’indépendance en l’an 5708, une période incertaine pour le peuple juif résidant à Sion. La petite terre d’Israël était attaquée de toutes parts par des ennemis, et en Erets Israël, la situation était loin d’être brillante. Comme aujourd’hui, les enfants d’Ichmaël cherchaient par tous les moyens à nous faire du mal, à nous tuer et assassiner la petite présence juive qui se créait peu à peu, et les combats avec les Arabes des environs étaient quotidiens… L’un des bastions de cette guerre meurtrière était situé à Jérusalem, à la « porte Mandelbaum ». C’était le point central des affrontements entre la vieille ville et la nouvelle ville, entre la Jordanie, les habitants arabes locaux, et la petite population juive. Ce point-là était en réalité le front de la guerre, c’est là qu’étaient concentrés les combats, plus que dans toute autre ville du pays. A une petite distance de la Porte Mandelbaum résidait à cette période l’Admour de Nadvorna, surnommé le Dvar ‘Haïm. Cette période difficile était caractérisée par un danger de mort concret, l’interdiction de quitter la maison, et par une grave pénurie de nourriture et même de boisson. La vie au front n’était pas facile, mais il n’était pas possible de sortir dans la rue, car toute sortie constituait un danger de mort !
Pendant six semaines de suite, les combats firent rage. Les échanges de tirs retentissaient dans toute leur puissance, semant la panique chez les résidents du quartier. Le bruit des canons était si fort qu’il était même difficile de dormir la nuit. Le Rabbi et sa famille dormaient sur de simples tapis dans l’abri public, un endroit considéré comme sûr dans ces conditions de vie difficiles… Au bout de ces six semaines éprouvantes, et grâce à l’intervention internationale, un cessez-le-feu fut annoncé pour une durée six heures, au cours de la nuit, de minuit à six heures du matin. C’était une occasion pour toute personne qui souhaitait s’éloigner de ces endroits si menaçants ou, alternativement, pour s’approvisionner en vue d’une période troublée et prolongée. Le Rabbi entendit l’annonce du cessez-le-feu, et déclara immédiatement qu’il fallait se rendre à Tel-Aviv la nuit même, pour quitter ce lieu dangereux jusqu’à ce que la situation se calme.
Les lignes téléphoniques n’étaient pas disponibles, il n’y avait en réalité même pas de communication entre la région du centre et celle de Jérusalem. Dès que le Rabbi annonça sa décision de partir à Tel-Aviv, la Rabbanite lui demanda où il comptait y loger. « Si nous partons à minuit, dès l’annonce du cessez-le-feu, nous n’arriverons à Tel-Aviv qu’à l’aube. Où allons-nous résider ? Où aller ? », demanda la Rabbanite sur un ton craintif.
« Je ne peux le prévoir à l’avance, répondit le Rabbi, mais j’ai une connaissance à Tel-Aviv, un Juif nommé Rabbi Ya’acov Shechter, célèbre pour son accueil des invités à toute heure. Nous allons nous rendre chez lui, frapper à la porte au milieu de la nuit, et lui demander de loger chez lui. Il se peut que nous y soyons à l’étroit, il va de soi qu’il aurait été préférable de l’avertir à l’avance, mais en raison des circonstances actuelles - nous serons obligés de nous reposer sur sa bonté légendaire, et prendre la route en espérant que Rabbi Ya’acov ne nous laissera pas dans la rue jusqu’au matin. Dès le matin, nous pourrons à nouveau réfléchir posément », conclut le Rabbi, qui se mit à emballer rapidement quelques affaires.
L’heure de minuit arriva. Une sombre obscurité recouvrait Jérusalem, et le bruit des canons cessa soudain. « Le cessez-le-feu », s’exclamèrent les Juifs, qui sortirent dans la rue pour respirer l’air pur, les yeux brillants comme des étoiles dans le ciel. Le Rabbi et sa famille rassemblèrent leurs maigres affaires et montèrent dans un taxi à destination de Tel-Aviv.
Comment pouvais-je renoncer à cette occasion unique d’éduquer les enfants et de leur laisser une empreinte ?
Il est deux heures du matin à Tel-Aviv. Les rues sont désertes, un silence absolu règne. Seul un petit taxi sillonne la rue dans l’obscurité, à la recherche de l’adresse de Rabbi Ya’acov Shechter. Après quelques recherches, l’adresse est identifiée, c’est une petite maison délabrée, une porte jaune ancienne, avec une inscription écrite à la main sur la sonnette : « Famille Chekhter ».
Le Rabbi paie le chauffeur de taxi, prend lui-même les paquets et se dirige vers la maison de Rabbi Ya’acov. Il frappe délicatement, pour éviter d’effrayer la famille en cette époque troublée. Rabbi Ya’acov se réveille au son des coups, fait Nétilat Yadaïm, regarde par le trou de la porte, et découvre à sa grande stupéfaction la figure admirée du Rabbi bien-aimé de Jérusalem, debout devant la porte…
Rabbi Ya’acov tourne rapidement la clé, et accueille le Rabbi avec un visage rayonnant. « Bienvenue », dit-il en souriant sur un ton affable, et s’empresse de leur offrir une boisson chaude et du gâteau confectionné par son épouse, qui se lève à son tour en entendant le bruit dans le hall de sa maison. Rabbi Ya’acov est ému par l’arrivée impromptue de son hôte éminent, et s’excuse de n’être pas préparé à l’arrivée d’un tel invité, n’ayant pas été informé de sa venue…
Le Rabbi sourit et relate l’histoire de leur fuite précipitée, dans le temps limité des circonstances des derniers jours. Rabbi Ya’acov se réjouit que le Rabbi ait choisi de se loger chez lui, et son épouse s’apprête à réveiller les enfants pour qu’ils aillent dormir sur des couvertures au salon, pour permettre au Rabbi et à sa famille de dormir dans des lits dans les chambres à coucher…
La Rabbanite, épouse du Rabbi, est horrifiée à l’idée de réveiller les enfants. « Ce n’est pas nécessaire de les réveiller, dit-elle sur un ton déterminé, nous allons nous arranger au salon. S’il-vous-plaît, ne réveillez pas les enfants pour nous », demande-t-elle, presque en implorant. L’épouse de Rav Ya’acov, en revanche, ne comprend pas de quoi la Rabbanite parle : « Il est impossible que le Rabbi dorme sur une couverture dans le salon, tandis que mes enfants dorment confortablement dans des lits avec des draps et couvertures. Voilà, je les réveille maintenant », annonce-t-elle tout en se dirigeant vers les chambres à coucher.
Mais la Rabbanite s’entête : « Non, non, dit-elle. Nous nous sommes déjà habitués à dormir à même le sol, cela fait un mois et demi que nous dormons sur des tapis dans l’abri public, nous pourrons dormir ainsi dans le salon de votre demeure. Que D.ieu préserve de réveiller vos enfants endormis, qui ont besoin de forces pour demain… ».
Au final, l’épouse de Rabbi Ya’acov eut le dessus dans cette discussion exaltée, en invoquant l’argument suivant : « Comment vais-je éduquer mes enfants à la Mitsva d’accueil des invités, s’ils apprennent que des invités sont arrivés ici la nuit et qu’ils ont été contraints de dormir dans le salon, alors qu’ils sont restés dans leur lit ? Puis-je renoncer à l’occasion unique d’éduquer mes enfants et d’imprimer en eux cette Mitsva d’accueil des invités, comme renoncer à son lit au milieu de la nuit au profit d’invités de passage ? ».
Devant cet argument, la Rabbanite ne sut que répondre, et fut contrainte d’accepter. Et au milieu de la nuit, les enfants de la famille Shechter furent réveillés l’un après l’autre, heureux d’honorer des invités au milieu de la nuit, et de libérer leur lit pour des invités surprises venus de Jérusalem… Leur mère avait agi pour qu’ils intègrent l’importance de la Mitsva d’accueil des invités, et intériorisent le principe de renoncer à leur confort au profit d’hôtes de passage !
Se consacrer au ‘Hessed, à l’accueil des invités
Cette histoire extraordinaire a été relatée par le Rav Kovlesky à Dirchou, qui précise : « Accueillir des invités est une manière très noble de faire du ‘Hessed, même si cela semble se dérouler sur notre compte, et nous priver de notre vie privée et de notre liberté, et que cela exige des efforts dans le nid familial. Il est vrai que la maison est le lieu de notre vie privée, notre espace personnel, mais on doit également s’y consacrer au ‘Hessed, à l’accueil des invités ! C’est également l’occasion d’imprimer dans l’esprit et le cœur de nos enfants le mode de vie du Juif, dont une bonne action - même pour un étranger - a beaucoup de valeur à nos yeux, et le fait du prodiguer du bien à un inconnu relève d’un niveau tout particulier. Lorsque nous accueillons des hôtes chez nous, nos enfants voient, comprennent et intériorisent les vertus du ‘Hessed, de la bonté ! »