Au courant de l’année 5762 (2002), quelques mois après le décès de mon père, Alav Hachalom, me vint une idée, ouvrir un Collel (centre d’étude et de diffusion de la Torah) pour favoriser l’élévation de son âme.
Si vous me demandiez pourquoi avoir choisi d’ouvrir un Collel et pas une autre consécration, par exemple un don pour l’achat d’une Arche Sainte ou de mobilier pour une synagogue, je vous répondrais que j’étais habité par le sentiment que chaque acte que j’allais accomplir pour l’élévation de l’âme de mon père serait un cadeau que je lui enverrai. Dans mon intime perception, je ressentais que la création d’un Collel, au sein duquel des Avrekhim allaient étudier la Torah jour après jour, m’ouvrait l’opportunité d’envoyer un « colis » spirituel quotidien à mon père. Il est évident que je ne méprise en rien les dons ponctuels que les gens effectuent en souvenir de leurs proches, seulement, puisque les sentiments du cœur orientent souvent l’acte de l’homme, les miens me poussaient dans le sens de la mise en place d’une structure pour ceux qui souhaitent s’investir dans l’étude de la Torah, comme je l’ai précédemment décrit.
De plus, je connaissais la situation précaire dans laquelle les Talmidé ‘Hakhamim qui investissent la majorité de leur temps dans l’étude de la Torah se trouvaient et j’en conclus rapidement qu’un soutien financier pour les encourager à persévérer dans cette voie ne pouvait qu’être utile afin qu’ils puissent être encore plus disponibles, et donc plus performants.
Pour concrétiser ces pensées et réaliser cette fabuleuse idée, je savais qu’il me faudrait faire appel à la générosité des gens et leur demander de soutenir mensuellement les Avrékhim du Collel.
Fonder un Collel qui fonctionne toute la journée implique sans l’ombre d’un doute un budget important. En ajoutant à ce premier facteur mon jeune âge – j’avais à l’époque vingt-trois ans – et le fait que je n’avais aucun soutien financier extérieur, il est facile d’imaginer qu’un tel projet m’effrayait. Par conséquent, je suivis le conseil que les Sages zal nous ont enseigné (Yoma 80a) : « Empare-toi de beaucoup et tu ne l’obtiendras point, empare-toi de peu et tu l’obtiendras… », et décidai de me contenter dans un premier temps de ne fonder qu’un Collel Érev (Collel du soir), qui, en réalité réunissait les deux concepts que je recherchais, à savoir le renouvellement par le biais d’une étude quotidienne et un budget modéré adapté à mes aptitudes.
Malgré tout, la crainte et l’appréhension prirent le dessus… l’enthousiasme de départ s’éteignit peu à peu et je décidai d’abandonner la réalisation de ce projet.
À cette époque, nous habitions dans le quartier de Bayt Vagan et étions sur le point d’emménager à Beitar Illit. Quelques semaines avant notre déménagement, je rencontrai dans la rue le Rav Chmouël Tolédano – fils du Roch Yéchiva Rav Gabriel Tolédano zatsal – et nous discutâmes agréablement de mon déménagement et des changements inhérents à tout changement de lieu. Nous avions un contact très amical qui provenait de la mise en place d’un Minyan du vendredi soir que nous avions créé et soutenu ensemble.
À la fin de cette conversation, je lui fis partager mon désir profond d’ouvrir un Collel Érev à la mémoire de mon père. C’était une discussion entre amis, sans aucune arrière-pensée, mais à ma grande surprise, il ne réagit pas comme je m’y attendais. Il me regarda avec enthousiasme et me déclara : « Si tu ouvres un Collel, je m’associe avec toi ! »
Étonné, je lui demandai de préciser sa proposition. Il me répondit que si j’ouvrais un Collel de dix Avrekhim, il en financerait personnellement dix autres et me proposait d’être moi-même le responsable du groupe entier.
J’étais très surpris par sa réaction, ne comprenant pas pourquoi il était si emballé par mon projet et souhaitait même s’associer avec moi. Quelle raison le poussait-il à vouloir subventionner un institut qui ne se trouvait pas dans sa ville et dans lequel il n’avait rien à gagner ? Je restai sans voix et nous nous quittâmes ainsi. Quelques semaines plus tard, nous déménageâmes à Beitar et, sans nouvelle de sa part, j’oubliai cet incident.
Au début du mois d’Adar, à ma grande surprise, le Rav Chmouël Tolédano me recontacta. Il m’expliqua qu’il avait un intérêt spécial et urgent à ouvrir un Collel à Beitar et me proposa de prendre entièrement en charge le budget du Collel jusqu’à ce que je voyage en France ramasser des fonds nécessaires pour démarrer le projet. À ma question – pourquoi cette soudaine urgence – il me répondit qu’il ne pouvait pas m’expliquer (je n’ai, jusqu’à ce jour, aucune idée de la raison qui l’y a poussé).
Quoi qu’il en soit, je n’avais rien à perdre puisqu’il se proposait de financer – du moins momentanément – tous les frais liés aux salaires des Avrékhim. Pour la suite, il suggérait de poursuivre notre partenariat sur le principe de moitié-moitié, ou bien, en cas d’échec, d’interrompre pacifiquement notre collaboration. C’était, sans l’ombre d’un doute, une opportunité séduisante !
Je lui répondis toutefois qu’avant d’accepter, je souhaitais prendre conseil auprès de ma femme. [Au passage, c’est une excellente technique lorsque l’on doit prendre une décision et que l’on ne sait pas quoi répondre…] Avec mon épouse, la réflexion se focalisait autour d’une question : est-ce que cette nouvelle responsabilité n’allait pas devenir, indirectement, un poids pour elle. Sa réponse fut claire, comme à son habitude : « Si, pour toi, cette voie est la bonne, je me tiendrai à tes côtés et j’assumerai les charges supplémentaires ».
Les craintes et les appréhensions m’accompagnaient et me poursuivaient malgré tout constamment à l’idée d’endosser une telle responsabilité. Fidèle à mes habitudes dans le domaine spirituel, je décidai de prendre conseil chez les grands de la génération, exerçant en un sens la fonction du pectoral. Lorsque j’étudiais à la Yéchiva de Kol Torah, j’avais eu le mérite d’être l’élève du Rav Baroukh Chmouël Deutch Chlita. À l’époque déjà, il était reconnu pour son érudition phénoménale et la finesse de son discernement. Je lui exposai donc ma vision des choses et lui dressai un tableau de mes sentiments. J’insistai sur le fait que de prime abord, je désirais fuir cette responsabilité et le joug qui en découlait, mais que d’un autre côté, cette opportunité unique et inespérée – fonder un Collel pour la moitié du prix – devait être prise au sérieux.
Je soulignai également mon jeune âge, ma situation familiale et financière, et attendis impatiemment son verdict. Ce dernier fut clair et tranché : « Même si tu ne ressens pas de motivation, cette proposition est une opportunité envoyée du Ciel pour t’indiquer d’ouvrir ce Collel ! »
En sortant de chez le Rav, ma décision était prise. Rappelons que l’accord avec le Rav Tolédano se résumait ainsi : « Ramasse des fonds du mieux que tu peux. La somme que tu auras réunie sera celle que j’ajouterai au panier commun. Si tu ne récoltes pas la somme nécessaire pour quelque raison que ce soit, et que le projet ne démarre pas, aucun souci, chacun redevient libre de tout engagement. » Désormais soutenu par tous et plein d’enthousiasme, je m’empressai de mettre tout en place et le même mois, le Collel ouvrit ses portes le 7 du mois d’Adar 5763, dans le Beth Hamidrach « Bné Issakhar ». Clin d’œil du Ciel, c’est à cette date que Moché Rabbénou, qui a reçu la Torah au mont Sinaï et nous la transmit, naquit et mourut.
Il est intéressant de noter que ce Collel fut le premier à ouvrir dans le nouveau quartier de Beitar, à cette époque appelé « Guivat Beth ».
Mon déplacement en France était prévu pour le mois de Sivan, pour des raisons familiales, et ne pouvait être avancé, ce qui m’empêcha techniquement de participer aux dépenses de la première période. Les deux mois d’Adar furent ainsi entièrement pris en charge par le Rav Tolédano.
Au mois de Sivan, nous voyageâmes à Strasbourg chez mes beaux-parents, et deux semaines plus tard, je partis à Marseille entamer la première collecte, ville dans laquelle le public connaissait bien l’œuvre entreprise par mon père en faveur de la communauté.
Je me consacre depuis maintenant de nombreuses années à récolter de dons. Cette « activité » a été caractérisée par un flot de faits et miracles, provenant directement de Hachga’ha Pratit, dont j’ai bénéficié, et a été ponctuée par des aventures très intéressantes que nous évoquerons par la suite.
Lorsque je commençai à solliciter mes amis, je ne savais ni par où commencer ni comment introduire le sujet. J’appréhendais les réactions et grande était ma honte. Toutes sortes de réflexions m’assaillirent. Celle qui revenait en permanence était : « Que te manque-t-il dans la vie pour t’ajouter ce fardeau ?! Pourquoi te casser la tête avec un tel projet ?! »
J’avais fixé mon premier rendez-vous avec un grand ami de mon père zal, homme d’affaires prospère, intelligent et futé. Au cours de notre entretien, il m’avoua qu’il connaissait beaucoup de responsables d’associations qui avaient débuté leur carrière de manière saine, et qui aujourd’hui courraient du matin au soir après l’argent.
« Que vas-tu devenir ? s’inquiéta-t-il sincèrement pour moi. Souhaites-tu à ton tour être ravagé par le vice de l’argent ? C’est dommage pour toi… »
Il me donna même des exemples de gens qui avaient sombré dans ce vice et dont les soucis liés à l’argent les avaient atteints physiquement et spirituellement. En deux mots, il était contre… Bien qu’admettant que l’idée en soi était noble, car il avait vite saisi que les Talmidé Hakhamim se trouvaient bien souvent dans des situations financières difficiles et qu’une aide de sa part représentait pour eux un bol d’oxygène, son leitmotiv était : « Ne pas ouvrir ».
Loin de me laisser abattre par sa tentative de me décourager, je lui ai demandé combien était-il prêt à investir pour ce projet. Il me répondit alors : « Mille cinq cents euros ! » J’en suis sorti content, j’avais la première somme pour démarrer.
La suite se passa plutôt bien, excepté quelques déceptions inévitables ici et là. À mon retour en Israël, j’avais en main une somme suffisante pour quelques mois. Au début du mois d’Eloul 5763, le Collel rouvrit ses portes dans le Beth Hamidrach Touv Daat, à Beitar, sous sa forme définitive. Nous étions 18 Avrékhim au total et le thème de l’étude portait sur les lois de Zimoun (bénédiction spéciale récitée avant le Birkat Hamazone lorsque trois hommes attablés ensemble ont mangé du pain).
L’étude du Collel est portée depuis son premier jour sur la connaissance et l’approfondissement de la Halakha. Elle démarre par l’étude des textes du Talmud et ceux des Richonim (premiers décisionnaires), pour conclure sur l’avis du Choul’han Aroukh et du Michna Broura. Ceci afin de donner aux étudiants une vue d’ensemble et détaillée de l’enchaînement méticuleux de la mise en forme finale de la Halakha. Tout cela dans un cadre dynamique, afin d’éviter toute forme de nonchalance dans l’étude quotidienne.
Il m’incombe à cette occasion de remercier le Rav Avraham Weig Chlita, Roch Yéchiva de Torah-Or, avec qui j’ai partagé des moments fabuleux lorsque j’étudiais à ses côtes dans le Beth Haknesset « Minyan Avrékhim », à Bayt Vagan, il y a quinze ans, car c’est de lui que j’ai calqué cette manière d’aborder l’étude. Mon cœur languit encore la douceur de l’étude faite sous sa direction, et c’est cela qui m’a donné l’envie et la force de créer un cadre d’étude identique.