Qu’auriez-vous demandé au Baron de Rothschild s’il se présentait à vous en étant disposé à répondre à l’un de vos souhaits ?
Il y a près de cent ans, vivait à Jérusalem le Rav Zalman Grossman. À cette époque, les Juifs d’Erets Israël souffraient de la faim et de la pauvreté. Quant aux offres d’emploi, elles étaient bien restreintes. Rav Zalman n’eut d’autre choix que de quitter la terre d’Israël pour quelques années afin de tenter de trouver une source de Parnassa aux États-Unis. Il emprunta une somme d’argent pour acheter un billet à destination des États-Unis, quitta ses proches, et entreprit un long voyage.
Parmi ses qualités remarquables, l’on pourrait citer son respect méticuleux du Chabbath. Il avait l’habitude de dire que nos Sages appellent le Chabbath « la reine du Chabbath » ; nous avons donc l’opportunité merveilleuse de nous trouver chaque semaine en compagnie de la reine. Il avait coutume de rapporter l’histoire d’un roi qui dormait peu et lorsqu’on lui demanda quelle en était la raison, il répondit que lorsqu’il dormait, il ne ressentait pas qu’il était roi et il était donc dommage de « gaspiller » son temps en dormant. Pour cela, « même pour moi, c’est dommage de ne pas profiter de ce temps précieux où je peux sentir la proximité de la reine du Chabbath ». Par conséquent, il ne fermait pas l’œil du début à la fin du Chabbath. Il consacrait toute la journée du Chabbath à la prière, à l’étude, à la récitation des Psaumes, et aux chants du Chabbath. Même lorsqu’il était dans le bateau, il n’a pas modifié ses bonnes habitudes de profiter à bon escient de chaque instant du Chabbath. Comme à son accoutumée, il a prié avec enthousiasme, a fait le Kiddouch, puis a pris son repas tout en chantant et en s’élevant spirituellement. Au cours du repas et après l’avoir terminé, il consulta les livres de Torah qu’il avait emportés. Il passa la nuit du Chabbath à étudier jusqu’au lendemain matin. Tel fut son programme du Chabbath. L’un des passagers à bord du bateau remarqua le respect exceptionnel que le Rav vouait au Chabbath. Il s’était mis à l’observer et à le suivre du regard à différents moments durant le Chabbath, et il en avait forcément conclu que le Rav sanctifiait le septième jour dans tous les sens du terme.
Il en avait été profondément marqué, et, dès la sortie du Chabbath, il aborda le Rav en lui adressant les propos suivants : « Je vous ai observé tout au long de la journée écoulée et je suis obligé de vous dire que, de ma vie, je n’ai jamais vu un homme qui respecte le Chabbath aussi bien que vous. Je suis le Baron de Rotschild et je souhaiterais répondre à l’un de vos souhaits. Je vous accorde quinze minutes de réflexion, puis, vous reviendrez à moi pour me formuler votre requête et me dire ce en quoi je pourrais vous aider. »
Bien entendu, le Rav Grossman en fut agréablement surpris. Un grand cadeau lui était tombé du ciel. Il avait l’opportunité de demander au Baron de Rotschild la somme d’argent dont il avait besoin, et cela lui éviterait ce long exil dans lequel il s’était embarqué en quittant la Terre Sainte. Cependant, fidèle à lui-même, il voulut d’abord réfléchir posément à la proposition qu’on venait de lui soumettre. Il se retira dans sa cabine pour se pencher sur la question afin de vérifier quel était son besoin le plus urgent.
Lorsque le Rav Grossman commença à y songer, il se souvint de la visite-surprise de son frère qui était venu le voir la veille de son voyage. Son frère, le Rav Chlomo Grossmann, était l’un des fondateurs du village « Michmar Hayarden », situé dans le Nord, et il était venu chez lui pour lui faire part de l’épidémie de malaria qui avait frappé son village ainsi que les villages avoisinants, Yessod Hama’ala et Roch Pina.
Chaque jour, hommes, femmes et enfants périssent à cause de cette terrible épidémie. De nombreux malades sont cloués au lit et ne peuvent assumer de gagne-pain à leur famille. « La situation va en s’empirant, déclara Rav Chlomo à son frère. Nous n’avons tout simplement pas les moyens d’acheter suffisamment de médicaments pour soigner tous ces malades. Pour cela, je te demande de ne pas oublier ces enfants et leurs parents lorsque tu arriveras aux États-Unis. Chaque dollar que tu pourras nous faire parvenir nous aidera à sauver des vies ! »
À présent, alors qu’il se trouve à bord du bateau, Rav Zalman se souvient de la requête de son frère et se sent terriblement embarrassé. Il aurait naturellement été tenté de demander au Baron de Rotschild de l’aider personnellement, mais, simultanément, lui vint à l’esprit une autre pensée qui suscita la question suivante : « Qu’adviendra-t-il des centaines de Juifs qui luttent pour leur vie ? Ne faudrait-il pas donner la priorité à ces centaines de Juifs plutôt qu’à mon confort personnel ? Bien sûr que oui. Je vais demander au Baron de venir en aide aux habitants de la région du Jourdain et des environs. »
Ses pensées se bousculèrent par ici et par là, et, au bout du quart d’heure, conformément à ce que le Baron avait fixé, le Rav allait lui confier sa réponse. Il informa le Baron de la situation misérable des villages du Nord du pays et il lui dit : « Ma demande consiste à ce que vous envoyez une équipe médicale qui se charge de soigner les malades et de stopper cette épidémie qui fait ravage. Ce sera le plus grand service que vous pourrez me rendre. » Le Baron accepta sa requête et lui promit qu’il ferait tout son possible pour se charger des soins médicaux de toute la région frappée par l’épidémie.
Quatre mois après l’arrivée de Rav Zalman aux États-Unis, il reçut une lettre émouvante de son frère Rav Chlomo, qui s’exprimait en ces termes : « Mon cher frère, les mots me manquent pour te décrire ce qu’il se passe ici. Durant ces dernières semaines, comme si nous avons été répondus du ciel, voilà que notre délivrance est arrivée d’une source totalement inattendue. Un matin, une équipe de médecins et d’infirmières munis de camions chargés d’équipement médical sont arrivés dans notre région. Ils ont ouvert trois pharmacies qui délivrent les médicaments aux malades et qui procèdent à des injections en cas de besoin. Les effets ont été immédiats, une nette amélioration a été enregistrée, et, au final, l’épidémie a stoppé. Nous sommes profondément reconnaissants au Maître du monde pour ce changement soudain et, au terme d’une longue période, les gens retrouvent le sourire et sont pleins d’espoir et de confiance.
Il y a un bruit qui court selon lequel ce serait le Baron de Rotschild qui serait derrière cette opération de sauvetage. Mon cher frère, tu n’as pas besoin de te soucier pour nous de là-bas. Hachem s’est déjà soucié de nous et Il nous a envoyé Ses fidèles émissaires. Préoccupe-toi de tes propres soucis et je te souhaite que tu reçoives toi aussi une aide similaire à celle dont nous avons bénéficié… »
Le Rav Zalman Grossman lut la lettre plusieurs fois jusqu’à ce qu’il ait éclaté en sanglots pour avoir eu le mérite de faire ce ‘Hessed et de sauver des âmes, d’une manière parfaite, puisqu’aucune des personnes sauvées n’a su que c’était lui qui avait été impliquée dans ce ‘Hessed exceptionnel.
Plus tard, il avait alors confié à ses enfants une raison supplémentaire à ses pleurs : « J’ai pleuré car j’étais submergé de sentiments de remerciement envers Hachem pour m’avoir donné la force de surmonter mon penchant naturel de sauver d’abord ma propre famille. Il fallait être armé d’une force particulière pour pouvoir penser aux autres en une période si difficile. J’avais eu une possibilité, en toute facilité et intégrité, pour améliorer ma situation financière, de retourner chez moi et de vivre paisiblement avec ma famille, et Hachem m’a armé de ce courage de me dominer et de céder à mon souhait personnel pour contribuer à l’intérêt de l’assemblée et à sauver des vies. »