Jeune femme d’environ 28 ans, je me suis retrouvée un beau jour seule, maman de trois enfants, sans mari, sans parents, sans famille et dans un pays étranger. J’étais seule avec eux, et un désespoir profond m’engloutissait, sans que je puisse m’en sortir.

« Je ressentais que non seulement mon mariage était perdu, mais que toute ma vie était détruite, relate-t-elle. Je n’avais pas d’avenir, car les enfants de parents divorcés sont moins bien considérés et leur avenir n’est pas assuré, et quant au présent, je n’en avais clairement pas. Seul un trou noir me remplissait la vie et m’entraînait vers le bas, sans que j’aie la force de sourire à mes enfants, qui avaient encore fortement besoin de moi - car leur père n’entrait plus en ligne de compte.

Juste avant que je ne m’effondre totalement, j’ai eu droit à un miracle particulier, grâce à mon grand-père.

Arrivée en Israël lorsque j’étais jeune fille pour étudier au séminaire, je fus accueillie dans une famille que je connaissais de mon pays d’origine. C’était un couple de personnes âgées qui avaient connu mon grand-père et ma grand-mère. Lors d’un repas, mon hôte évoqua une photo qu’il avait en tête : mon grand-père debout et portant un Séfer Torah, comme à Sim’hat Torah. Il me confia : « Cette image me donne toujours des forces ». Bien que cette photographie fût imaginaire, elle caractérisait bien l’amour pour la Torah de mon grand-père.

A l’âge de 36 ans, mon grand-père perdit sa femme et ses enfants au ghetto d’Auschwitz. Ils vivaient en Hongrie, et il fut emmené au camp de travail avant même que les juifs de Hongrie ne soient informés de ce qui se tramait dans ces camps. Lorsque mon grand-père apprit que l’on avait emmené sa femme et ses 6 enfants en train, il en comprit parfaitement le sens et il s’effondra sur place, sans pouvoir se relever. Il s’agissait d’un homme fort qui avait fait des choses remarquables au camp de travail. Mais il était brisé, jusqu’à l’arrivée d’un proche ami qui le secoua : « Aharon, si tu restes assis ici, toi aussi tu vas mourir. Lève-toi et reconstruis-toi, tu n’as pas le choix. » Il se releva.

Après avoir perdu tous les membres de sa famille exterminés pendant la Shoah, quelque chose se ferma dans le cœur du grand-père. Il fallait qu’il en soit ainsi car dans le cas contraire, il serait mort de chagrin sur le sort réservé à sa femme et ses enfants. Ainsi seulement, il put se réhabiliter et fonder une famille. Il se remaria et eut un fils, mon père. Au moment de la crise que je traversais, des histoires et des souvenirs remontèrent, et je me rappelai de l’histoire de la photo, racontée par mon hôte, l’ami de mon grand-père. Je décidai que j’avais hérité du pouvoir de survie de mon grand-père, et que je ne me laisserai pas sombrer dans un puits sans fond. Je savais qu’il me faudrait du temps pour me remettre, mais je ne reculai devant aucun moyen.

Je suivis un traitement visant à m’extraire de l’état désespéré dans lequel j’avais sombré, et pendant une certaine période, je pris des médicaments sur le conseil d’un psychiatre. Je ne me souciais pas du qu’en dira-t-on, le bien-être de mes enfants était ma seule préoccupation. Mes enfants avaient besoin d’une mère forte, et j’avais l’intention de leur en donner une ».

Aujourd’hui, Myriam est remariée, heureuse et mère d’une famille nombreuse. Yom Hashoah, le jour de la Shoah, marque une étape importante pour elle, non seulement pour la tradition familiale mais pour sa vie privée, celle d’une femme courageuse qui a pu traverser facilement une « Shoah » d’un autre genre, et retomber sur ses pieds. La victoire de son grand-père sur Hitler (que son nom et son souvenir soient effacés) lui a servi de source d’inspiration, et elle a vaincu tout le monde dans sa guerre personnelle.