Le levain est permis toute l’année. Il n’est interdit que pendant Pessa’h. Il est significatif de comprendre – aujourd’hui – pourquoi le levain est interdit. On sait que les enfants d’Israël n’ont pas fini de cuire leur pâte, et c’est, en principe, la raison pour laquelle on mange du pain « non levé » à Pessa’h, car cela doit nous rappeler la sortie d’Égypte. Cependant, il convient de dépasser l’aspect circonstanciel et de réfléchir au sens du levain. Cela est d’autant plus significatif qu’au Temple de Jérusalem, tous les sacrifices étaient accompagnés d’oblations dépourvues de levain, à l’exception de deux cas : le sacrifice offert à titre de reconnaissance (Korban Toda) et le sacrifice offert à Chavou'ot, qui était accompagné de deux pains « ‘Hamets », c’est-à-dire contenant du levain. Le Maharal explique pourquoi ces deux sacrifices étaient les seuls à être accompagnés de pain avec du levain. Cette double exception va, d’ailleurs, éclairer notre propos.

Que représente le levain ? C’est ce qui fait fermenter la pâte, c’est-à-dire qui donne un temps à la pâte pour qu’elle se transforme en pain. S’il n’y a pas de levain, alors la pâte est « azyme », c’est-à-dire dépourvue de la possibilité de « durer ». On le sait, donc, la Matsa est azyme, alors que le pain habituel contient du « levain ». La distinction entre ces deux produits en hébreu est marquée par un tout petit signe : les deux termes – ‘Hamets et Matsa – contiennent deux lettres qui sont les mêmes en hébreu, le « Mêm » et le « Tsadik », mais la différence est entre deux lettres presque semblables, l’une courte Hé, l’autre plus longue ‘Het. Le « Mêm » et le « Tsadik » se retrouvent dans les deux mots et expriment l’essence, l’être, c’est-à-dire l’élément premier matériel, lettres qu’on retrouve dans le terme « trouver » car la matière est l’essence du créé (qu’on retrouve dans le mot « m=Mits », jus, exprimant l’essence du fruit). La différence – écrite – entre les deux termes Hé et ‘Het est juste un demi-trait qui change le sens du mot. Ici, la signification du levain se révèle. Le ‘Het (long) se trouve dans le levain, alors que le Hé (court) lui ressemble, sans un petit signe qui les distingue. En fait, cette distinction apparente extérieurement traduit, selon le Maharal, une proximité et une différence.

La proximité est fondée sur les deux lettres semblables – Mêm et Tsadik – exprimant l’essence de la matière, et la différence est dans le temps. Le levain traduit ce qui maintient la matière, lui permet de durer, tandis que l’azyme exprime la rapidité, le caractère rapide, éphémère de la matière. Ce sont, ici, l’expression exacte de notre perspective du monde matériel : il dure, il est long, mais il est composé d’instants courts. Alors que la Matsa représente le « ‘Hipazon », la précipitation de l’instant qui passe, le levain traduit le contraire : la permanence dans le temps, la permanence de la nature créée. L’intervention du miracle, la Présence divine dans le temps, c’est ainsi que le Tout-Puissant se révèle dans le miracle, mais la permanence de cette Providence doit s’inscrire dans la durée. Il est, certes, évident que le miracle – la brièveté de l’instant – doit nous éclairer, mais au-delà, il faut Le voir dans la continuité. Miraculeuse, mais aussi permanente, telle doit apparaître, à nos yeux, la Providence de l’Éternel.

Envisagée dans cette perspective, on comprend aussi pourquoi, au Temple, seule la Matsa devait accompagner les sacrifices, sauf dans deux cas particuliers. Le Temple était au-delà du temps, et tout ce qui s’y passait relevait du miracle, c’est-à-dire de l’instantané, qui dépasse le cadre naturel. Ainsi, par exemple, peut-on comprendre que c’est dans le Temple qu’a eu lieu le miracle de la fiole d’huile non souillée qui a duré huit jours alors qu’elle ne contenait de l’huile que pour un jour. D’autres miracles se déroulaient dans le Temple, c’était le domaine de l’instant. À l’inverse, la Révélation du Sinaï, que l’on célèbre à Chavou'ot, donne sa stabilité au monde matériel. Le monde matériel doit sa permanence et son existence à la Révélation. Les lois de la nature sont le reflet de la volonté du Tout-Puissant. Le levain est le signe de cette stabilité, de cette durée dans le temps. Pour cette raison, les sacrifices de Chavou'ot sont accompagnés de pains « ‘Hamets ». De même, la reconnaissance au Créateur pour un bienfait qu’Il nous a accordé, cette reconnaissance doit être prolongée. Elle ne saurait être ponctuelle, courte dans son expression. Le sacrifice de reconnaissance signifie qu’Il nous a octroyé une attention particulière. Le levain, ici aussi, traduit cette gratitude, et le ‘Hamets en est l’expression.