Des centaines d’ampoules de toutes sortes, des milliers de vis et de clous, une quantité immense de ressorts soigneusement rangés, des milliers d’élastiques usés, des étagères éclairées par des ampoules anciennes, des centaines de fournitures de bureau, des colles de toutes sortes, des boîtes en bois et en métal, des dizaines d’outils rouillés, des bouteilles à moitié vides de whisky et de vin de qualité supérieure, en bref, un assemblage immense et rare d’objets hétéroclites.
Sur les murs sont affichés des diplômes divers reflétant des compétences dans plusieurs domaines, des photos du passé militaire, des médailles décernées pendant les guerres, des centaines de brochures et de journaux de sport et de nourriture, classés par année… J’ai pensé que j’étais sur le point d’acheter un musée, et non un appartement…
J’ai eu le privilège il y a sept ans d’acquérir un appartement à Bné Brak, à la frontière de la ville de Ramat Gan. Le propriétaire qui y vivait avait rendu l’âme deux ans plus tôt. L’appartement se révéla abandonné et négligé, comme s’il avait été laissé tel quel depuis son décès. Il y avait encore de la nourriture… Les armoires étaient entièrement remplies d’habits, même la lessive sortait du bac… A la fin de la signature du contrat, je tentai délicatement d’aborder avec les enfants le sujet, je ne voulais pas leur faire de peine. A ma grande stupéfaction, les héritiers me demandèrent sans hésitation de tout jeter à la poubelle ! « Jette tout, TOUT ! » Le mépris avec lequel ils s’exprimèrent m’ébranla au plus profond de moi. Toute la vie d’un père, qu’il avait rassemblée avec un dévouement sans pareil ne vaut-elle rien pour vous ?! Ni les photos, ni les collections, ni même les diplômes ou les souvenirs ?! Eux, sans aucune honte, me répondirent que ces objets ne présentaient plus d’intérêt du tout pour eux ! Je restai bouche bée.
Je tentai d’intéresser des collectionneurs d’antiquités, mais personne ne manifesta un enthousiasme débordant pour cette riche collection… Je baissai les bras et convoquai des ouvriers pour vider le contenu de l’appartement, je regardai avec tristesse les ouvriers indifférents vider la maison, et je pensai : quel chagrin de penser à l’ancien résident, qu’il repose en paix, dont toute l’œuvre - la collection impressionnante de ses objets, est jetée présentement, sans compassion, à la poubelle ! J’essayai de m’imaginer sa réaction s’il revenait à la vie et observait cette scène douloureuse, l’œuvre de dizaines d’années jetée par la fenêtre, il aurait peut-être demandé de mourir à nouveau… Quelles conclusions aurait-il tiré sur sa vie, si un oiseau lui avait murmuré à l’oreille la réaction des enfants, leur indifférence devant le sort de ses diplômes et ses acquis ? Aurait-il cru que toute sa vie - la peine de soixante ans de vie, disparaîtrait comme ça, dans la rouille, en moins d’une demi-heure ?
En ces moments tristes, je pensais aux propos de Rabbi Yossi ben Kassma : « Au moment de sa mort, l’homme n’emporte ni argent, ni or, ni pierres précieuses, mais uniquement la Torah et les bonnes actions ! » (Avot 6,10), et je me remémorai l’histoire du jeune homme de Varsovie :
Yé’hezkel était un garçon orphelin et pauvre, proche de l’âge de la Bar Mitsva. Il ne rêvait même pas d’une fête de Bar Mitsva, car il n’avait tout simplement pas de quoi se nourrir au quotidien ! Il n’eut d’autre choix que de chercher un emploi pour gagner sa vie. Il trouva un emploi comme coursier, il distribuait des fleurs aux habitants de la ville. A la fin de sa première semaine de travail, il reçut son premier salaire. Tout joyeux d’avoir la possibilité de se nourrir, il entra aux bains de Varsovie pour se purifier en l’honneur du Chabbath. Il suspendit son pantalon sur un cintre dans le vestiaire, son salaire dans la poche… En revenant, il remarqua que son pantalon était plus léger… Il découvrit la triste vérité : un voleur lui avait dérobé tout son argent, l’œuvre de toute une semaine ! Cet acte criminel ébranla son âme délicate, et le conduisit à une réflexion sur le sens de la vie. Assis sur un banc à l’extérieur des bains publics, il pensa :
Voilà, le travail et la sueur de toute une semaine ont disparu comme si de rien n’était ! Il n’avait pas dans sa poche le salaire d’un mois ou d’une année entière, mais le résultat aurait été identique ! En fait, il est possible de perdre une année entière en un instant ! Et pas seulement un an, il est possible de perdre des dizaines d’années ainsi ! En conséquence, dans cette « affaire », il ne vaut pas la peine d’investir ! Il est dommage que les plus belles années, les forces, et l’énergie se concentrent sur un travail dont les résultats peuvent disparaître en un instant ! Au même moment, il prit une décision ferme : il allait se consacrer à une « affaire » que personne au monde ne pouvait lui subtiliser : l’étude de la Torah et du Moussar, l’éthique juive. Yé’hezkel rassembla ses affaires et se rendit à la Yéchiva de Radin, dirigée par le ’Hafets ’Haïm, où il s’éleva en Torah et en crainte du Ciel. De là, il poursuivit dans les plus grandes Yéchivot et il eut le privilège de fréquenter les plus grands maîtres du Moussar. Sa voie fut tracée pour devenir le directeur spirituel des Yéchivot de Mir et de Poniovitz, et il éclaira le monde par sa vertu, sa pureté, sa sainteté, sa sagesse qu’il transmit à ses milliers d’élèves dans le monde de la Torah ; c’était le célèbre Machguia’h, le Gaon Rav Yé’hezkel Lévinstein.
Cette histoire émouvante met en relief la réaction exceptionnelle de ce jeune homme vertueux. Il aurait pu tirer une simple conclusion : la prochaine fois, avant d’aller aux bains publics, je ne laisserai pas d’argent dans la poche du pantalon ! Et s’il avait de l’audace, il aurait peut-être pu tendre un piège au voleur et lui donner une leçon… Il s’agissait d’un jeune homme orphelin, seul et déçu, qui aurait plus facilement se diriger vers de tout autre horizon… Mais, au contraire, il réfléchit au message contenu dans cet incident, au signe du Ciel envoyé pour lui sous une forme douloureuse, mais très éclairante ! Il emprunta alors une voie nouvelle qui changea sa vie ainsi que celle du monde du Moussar et de la crainte Divine.
Nous sommes au mois d’Eloul, une période destinée à l’examen de conscience de chaque Juif sur son rôle dans ce monde. Le mois d’Eloul possède une force exceptionnelle pour créer des bouleversements dans la personnalité de l’homme. Tout mouvement, et même toute négligence sur notre situation spirituelle au mois d’Eloul, a une signification déterminante pour le jour du Jugement. Toute personne qui a des aspirations à la grandeur a la possibilité de créer des transformations réelles dans son existence sur terre.
Pendant l’année, l’homme vit de nombreux événements, expériences, tests, épreuves, réussites et échecs. Nos Sages rapportent que le but de tout ceci est de nous transmettre des signes du Ciel, nous éveiller et nous orienter vers notre rôle dans le royaume de D.ieu. Une question : les conclusions que nous allons tirer sont-elles uniquement ponctuelles ou ces événements auront-ils le pouvoir de créer un bouleversement réel, un changement dans notre échelle des valeurs, et une vie vraiment différente ? Ainsi, lorsque l’homme regardera en arrière sur ce tournant dans sa vie, il sera empli de satisfaction sur le monde spirituel qu’il a construit, sur la tradition transmise à ses descendants ; rien à voir avec une collection de camelote dénuée de but.