Il est écrit dans la Méguila d'Esther : "Mordékhaï mit par écrit ces évènements et expédia des lettres à tous les Juifs, proches ou éloignés, dans toutes les provinces du Roi A’hachvéroch, leur enjoignant de s’engager année après année, le quatorzième jour du mois d’Adar, et le quinzième jour (…) à en faire des jours de festin et de joie, d’envois de présents l’un à l’autre et de dons aux pauvres." [Méguilat Esther 9.20-22]
Par ce verset, la Méguilat Esther nous enjoint notamment d’envoyer des cadeaux à notre prochain, le jour de Pourim. Le Yalkout Yossef, de l’actuel Grand-Rabbin Séfarade d’Israël, Rav Its’hak Yossef explique : « Par le fait qu’une personne envoie à son prochain un présent ou une offrande, elle éveillera en elle un sentiment d’amour et d’affection, et par la même, elle implantera ainsi dans le cœur de son prochain l’amour, la fraternité, le Chalom (la paix), et l’amitié, car de la même manière que dans l’eau, le visage projette son propre reflet, les sentiments de notre cœur se reflètent dans le cœur des autres. Car toutes les ordonnances de notre sainte Torah sont là pour intensifier le Chalom entre un homme et son prochain, ainsi qu’il est écrit : « Ses chemins sont des chemins agréables, et tous ses sentiers mènent vers le Chalom. » [Proverbes 3.17] ». (Yalkout Yossef, Mo’adim p318, au nom de Rabbi Shlomo Elkabets, auteur du célèbre Lékha Dodi dans son Manot Halévy, page 208a, qui explique que la Mitsva de Michloa’h Manot a été instituée pour contredire les propos de Haman Haracha’, qui avait décrit le peuple d’Israël ainsi : « Il y a un peuple éparpillé et désuni ». [Méguilat Esther 3.8)
Pourim et Yom Kippour
Les Tikouné Hazohar, essentiellement attribués à Rabbi Chim’on Bar Yo’haï, comparent le jour de Yom Kippour au jour de Pourim. (Tikoun 21, p. 57b) En effet, en hébreu, les mots étant dépourvus de voyelles, au lieu de lire Yom Hakipourim (le jour des expiations), on peut lire Yom Haképourim (le jour qui est comme Pourim).
Les commentaires faisant le parallèle entre Yom Kippour et Pourim abondent. Proposons ici l’explication suivante : Yom Kippour n’apporte expiation que pour les fautes Ben Adam Lamakom (entre l’homme et son Créateur). Les fautes Ben Adam La’havéro (entre l’homme et son prochain) ne seront pardonnées que si les personnes concernées ont réparé le tort causé et demandé pardon auprès des personnes offensées. C’est pourquoi, l’usage s’est répandu de demander pardon à notre entourage la veille de Kippour, afin qu’en ce jour, toutes les fautes soient pardonnées.
Malheureusement, l’usage se limite bien souvent aux personnes qui n’ont absolument rien à se reprocher ! Et l’on se contente alors d’un simple : « Pardon si je t’ai blessé ! ». Ce à quoi notre ami nous répondra : « Mais non voyons, je n’ai absolument rien à te reprocher ». Rares sont les personnes qui sont prêtes à faire une réelle introspection afin de pointer du doigt les personnes qu’elles ont vraiment offensées, pour prendre leur courage à deux mains et leur demander pardon de tout leur cœur.
De même à Pourim. Comme nous l’avons vu, l'une des raisons qui justifient la Mitsva de Michloa'h Manot est précisément le souci de raffermir les liens d’amour, de fraternité, d’amitié et de Chalom entre les uns et les autres. Par conséquent, priorité devrait être donnée aux personnes que l’on a froissées ou aux personnes avec lesquelles un certain « froid » s’est installé, même si l’on ignore les raisons exactes.
Mais ô combien est-il plus facile de ne donner qu’aux personnes avec qui l’on entretient de bonnes relations. Cela ne nous engage à rien !
Le Admor de Ruzhin souligne que, d’après le passage des Tikouné Hazohar cité plus haut, c’est Kippour qui est comparé à Pourim. Cela implique que c’est Pourim le référentiel, et que cette fête surpasse Kippour !
Essayons de comprendre. Yom Kippour est caractérisé par la solennité du jour, la pesanteur du jugement passé de Roch Hachana, et la nécessité d’être propre de toute faute en ce jour du Grand Pardon. Il y a donc un risque que les excuses présentées la veille de Kippour ne soient motivées que par notre intérêt personnel. A Pourim, rien de tout cela : on mange, on boit, on se réjouit. A Yom Kippour, c’est peut-être le cœur lourd que l’on osera demander pardon, et c’est peut-être aussi le cœur lourd que notre prochain l’acceptera. A Pourim, c’est certainement le cœur léger que l’on enverra un Michloa’h Manot, et c’est certainement avec un cœur aussi léger que notre ami l’acceptera. Les Sages nous ont gratifiés d’un bienfait exceptionnel en nous permettant le jour de Pourim de parvenir à un tel niveau de réconciliation, probablement plus élevé qu’à Yom Kippour, par le simple envoi d’un Michloa’h Manot. Il suffit de briser la glace formée par notre orgueil.
Pourim et Chavou’ot
Donnons une dimension un peu plus élevée à la Mitsva de Michloa’h Manot. La Talmud de Babylone relate l’enseignement suivant : « Ils se tinrent sous la montagne » [Exode 19.17], Rav Avdimi bar ’Hama bar ’Hassa a dit : cela nous apprend que D.ieu a retourné sur eux la montagne comme une cocotte et leur a dit : si vous acceptez la Torah, tant mieux, sinon, ici sera votre tombeau. Rav A’ha bar Ya’acov a dit : par cet épisode, les juifs pourraient avoir un "prétexte" de ne pas respecter la Torah puisqu’ils ont été forcés de l’accepter. Rava a dit : malgré tout, la génération l’a pleinement accepté au temps d’A’hachvéroch, comme il est écrit : "Les juifs accomplirent et reçurent" [Méguilat Esther 9.27], c'est-à-dire qu’ils accomplirent [à partir du jour de Pourim] ce qu’ils avaient déjà reçu [le jour du don de la Torah au Sinaï]. (Traité Chabbath 88A)
La révélation du Sinaï, célébrée à l’occasion de la fête de Chavou’ot, est caractérisée par la nécessité vitale de recevoir et d’accepter la Torah. L’extrait du Talmud cité ci-dessus illustre ce principe. Le même passage souligne que la fête de Pourim représente également une acceptation de la Torah au temps d’A’hachvéroch, et même que cette dernière était plus grande que celle du Sinaï, car en ce jour, la Torah a été reçue de plein gré. Les traditions culinaires de ces deux fêtes représentent un clin d’œil à ces deux manières d’accepter la Torah. A Chavou’ot, nous consommons des laitages. Le lait représente la nourriture la plus primaire, absolument vitale pour tous les nourrissons. C’est l’aliment dont personne n’a pu se passer. A Pourim, bien que la Halakha (loi juive) nous permette d’échanger toutes sortes de mets en guise de Michloa’h Manot, l’usage s’est répandu de distribuer essentiellement des pâtisseries, sucreries et autres douceurs. L’emblème de ces douceurs est probablement le miel. Et c’est par excellence un aliment dont on pourrait se passer. Il n’est pas vital, c’est un luxe, une simple gourmandise, mais tellement appétissant, tellement réjouissant…
A Chavou’ot, nous avons accepté la Torah, parce que nous avons compris qu’elle était vitale, même si elle pouvait nous paraître parfois contraignante à l’extrême. A Pourim, nous avons compris que la Torah n’a pas son pareil. Que c’est une douceur pour le corps et l’esprit, un luxe dont il serait stupide de se passer, une gourmandise dont on ne se lasse jamais.
C’est précisément dans la Mitsva de Michloa'h Manot que s’illustre cette notion. Et ça n’est pas par hasard. Reprenons le raisonnement depuis le début : nos Sages ont institué la Mitsva de Michloa'h Manot (envoi de mets à notre prochain) afin de réchauffer les liens d’amitié altérés. Nous avons l’usage de constituer ces présents de douceurs, qui représentent les exquises saveurs de la Torah. Ainsi, en se rapprochant de nos proches avec lesquels le lien affectif s’est estompé, on les rapproche de la Torah et on les place sous les ailes de la Chékhina (Présence Divine).
Aussi, on peut comprendre la maxime de nos pères : « Hillel disait : sois parmi les élèves d’Aharon, qui aime le Chalom et poursuit le Chalom, qui aime les créatures, et les rapproche de la Torah. » [Traité Avot 1.12].
En accomplissant la Mitsva de Michloa'h Manot, on réalise cette maxime de Hillel.