L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.
Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.
Résumé de l’épisode précédent :
Tandis que le prince Ankhéfènie, tourmenté par les révélations d’Eliakoum et de Pakhémétnou, le scribe déchu, le jeune esclave Hébreu découvre peu à peu la face cachée de la civilisation égyptienne, celle qu’un esclave Hébreu ne pouvait pas soupçonner…
« Tâchez de faire en sorte que cet Hébreu ne corrompe pas notre Prince avec ses idéaux religieux ».
« Assurément, mon maître ! Que dois-je faire ? », demanda le valet prêt à s’exécuter.
D’un sourire tyrannique, le Pharaon avisa : « Séduisez-le par les meilleurs plaisirs d’Egypte. Qu’il en perde ses convictions… »
Il savait que les plaisirs matériels et la luxure avaient le pouvoir de fourvoyer les hommes, au point d’abolir les nobles causes qui les habitent. Ce stratagème fut appliqué à l’échelle de la population égyptienne qui perdit toute idée de la morale.
Voilà plusieurs jours déjà que le prince Ankhéfènie ne regagnait pas ses appartements, trop occupé à parcourir dans ses pensées les révélations faites par le vieux scribe. Il séjournait dans une des salles des archives, épluchant les chroniques de la cour, dans le but de trouver quelques indices sur ce passé caché évoqué par l’archiviste…
En attendant, Eliakoum reçut l’ordre de séjourner dans la demeure du prince. Lui qui d’ordinaire dormait sur de la paille sèche se retrouva dans les draps de soie d’un lit princier. Les feux de cheminée remplaçaient les rafales de vent glacial.
Les domestiques se relayaient pour assurer l’allumage constant d’encens à l’intérieur de l’immense pièce. Des senteurs, fleuries, planaient le long des murs dorés. Des musiciens jouaient de la harpe dans une pièce adjacente, rythmant l’écoulement du temps. Une atmosphère de quiétude et d’allégresse régnait au sein du palais.
Chaque matin, de somptueux plateaux de fruit exotiques étaient disposés sur de longues tables fleuries.
L’après-midi, des sculpteurs gravaient le portrait d’Eliakoum pendant que des couturiers confectionnaient de belles robes à sa mesure. Pas un seul instant l’invité du prince n’eut le loisir de s’ennuyer, les activités se succédaient les unes après les autres, dans une légèreté festive.
Au début, Eliakoum se tenait sur ses gardes, le charme et la douceur du palais ne lui faisaientt pas oublier la misère endurée par son peuple. Il savait que derrière cette élégante façade, se cachait un régime cruel qui asservissait les siens avec une main de fer. Mais, petit à petit, ses défenses s’amenuisaient. Il essayait de garder en tête qu’il se trouvait en territoire ennemi, cependant, l’amabilité de ces égyptiens le laissait perplexe… Il ne retrouvait pas la description qu’on lui faisait du comportement barbare de ces derniers, ni le souvenir des passages à tabac dont il était souvent l’objet. Où étaient passés les vauriens, les crapules, les personnages impitoyables de la tyrannie égyptienne ?
Ceux-là souriaient, avaiet de bonnes manières et parfois même se montraient d’une grande gentillesse. Les valets du prince lui demandaient chaque matin s’il avait passé une bonne nuit, s’il ne manquait de rien…L’après-midi, les couturiers lui arrachaient des sourires par leurs boutades entre deux tours de fils. On concédait même à Eliakoum, une certaine considération, comme personne ne lui en avait témoigné jusqu’alors..
Son teint de peau ne semblait déranger personne d’ailleurs. Il commençait à se demander s’il était sûr de ses convictions…
Il croyait évidemment en D.ieu Unique de ses Pères, mais peut-être que toute cette diabolisation concernant les égyptiens devait être relativisée.
« Que dis-tu, Eliakoum ! Ils tuent tes frères… » ; « Ne vois-tu pas qu’ils essayent de t’amadouer ?! »
Mais le rythme de la cour ne lui laissait pas un instant de libre pour traiter de la question.
Après six jours, entre les murs dorés du palais d’Egypte, le prince n’était toujours pas de retour. Où pouvait–il bien être ?
« Je vous présente Anoukis », s’exclama le valet en chef. « Elle vient comme vous du peuple cananéen, ses parents l’ont adopté alors qu’elle errait seule dans les sentiers du pays. Il s’en fallut de peu pour qu’elle ne perde la vie. Mais depuis, elle est une membre à part entière de notre cour », dit-il avec fierté.
« Je vous laisse faire sa connaissance », dit-il en se retirant d’un pas magistral.
Son teint foncé ressemblait à celui des habitants de Canaan. C’est le seul aspect de son apparence qui trahissait ses origines hébraïques.
« Je m’appelle Anoukis » se présenta-t-elle. « Combien de temps resteras-tu parmi nous ? »
Elle était habillée à l’égyptienne. Elle représentait à elle seule un choc des cultures. Cette vision paraissait irréelle à Eliakoum. Les femmes hébreux étaient d’une telle pudeur... Anoukis paraissait arrogante, le maintien fier, elle fixait Eliakoum de ses yeux. Lui s’efforçait de dérober son regard. Les Hébreux voyaient en la femme un être d’exception, le respect que les hommes avaient pour les dames n’avait d’égal que la discrétion dont elles faisaient preuve.
« Je …Je ne sais pas, le prince est censé faire son retour d’un jour à l’autre, nous finirons ce que nous avons commencé et je regagnerai mon baraquement… », répondit-il les yeux baissés.
Ce fut peut-être la première fois qu’il parlait à une femme autre que sa mère ou que ses sœurs.
« Pourquoi ne restes-tu pas parmi nous ? Tu ferais venir ta famille au palais… Tu sais, beaucoup ici sont d’anciens hébreux comme moi ».
Il la fixa pour la première fois du regard.
« Je ne trahirai jamais mon peuple, ni ma foi », rétorqua-t-il d’un ton chevaleresque.
« Peut-être que si tu t’extirpais de tes croyances, et que tu épousais la conception visionnaire du Pharaon, tu mettrais un terme à toutes tes souffrances. Tu sais, les Egyptiens ne sont pas si mauvais que tu ne le crois, ils ne cherchent qu’à faire avancer l’Humanité. En donnant aux gens la possibilité de s’attacher aux divinités, l’Egypte libère la puissance intérieure des êtres humains. Finie la culpabilité, fini les interdits… On est à la recherche du bonheur ici, tu comprends… ».
Eliakoum fronça les sourcils un instant, dubitatif. C’était donc cela, une bataille idéologique…
« Je … ne crois pas que vous atteignez le bonheur en vous imaginant être les fils du bois et de la pierre. Votre volonté de vous extraire de la réalité vous condamne juste à l’immoralité et à la perdition ».
A peine eut-il achevé sa phrase qu’un homme à l’imposante stature fit son apparition dans la pièce.
« Bonjour, jeune Hébreu. Te plais-tu dans notre palais ? », demanda-t-il de sa voix rauque.
« Je ne sais pas trop… », dit l’Hébreu. « Qui êtes-vous ? ».
« Je m’appelle Osmaarê, je suis un des plus anciens membres du conseil ».
Les poils du jeune homme se hérissèrent à l’entente de ces mots. Le conseil ! Celui dont les décrets de la cour émanent…
« Ne crains rien, jeune Eliakoum », rassura le mage qui sentit la tension se dégager de l’hôte. « En tant qu’invité du prince, tu n’es plus un esclave tant que tu te tiens entre ces murs… ».
« Je ne me sentirai libre qu’une fois mon peuple sera sorti de votre enfer », répliqua-t-il immédiatement, malgré la peur.
« Nous avons besoin d’un instructeur au maniement de l’arc à la cour du Pharaon, et tu es un archer talentueux. Tu seras grandement récompensé. Il serait dommage de s'entêter… Regarde, la jeune Anoukis faisait partie autrefois de ton peuple, imagine quel aurait été son sort si elle ne nous avait pas rejoint. Elle est heureuse aujourd’hui, n’est-ce pas Anoukis ? »
La jeune fille hocha la tête, approbatrice.
« Vous me proposez la liberté si j’ai bien compris ? »
« Ainsi qu’à toute ta famille… », dit-il d’un sourire marchand.
Un pincement titilla son cœur. Enfin, ils seraient libérés de cette effroyable tourmente. Sa mère se verrait exemptée des tâches monstrueuses qui lui coûtent la santé, ses sœurs ne seraient plus condamnées au même sort, et il pourrait enseigner l’art du maniement de l’arc pour un salaire décent…
« Quelle serait le prix à payer Eliakoum ! » ; « Méfie-toi d’eux, sous leurs sourires mielleux se cachent de cruels personnages… » ; « Peut-être que tu exagères un peu trop, cette chance ne se reproduira pas deux fois, Eliakoum »...
« Quelles sont les conditions de cette liberté ? », osa-t-il demander. Les battements de son cœur s’accéléraient.
« Renie ta foi, jeune Eliakoum, et tu seras des nôtres ». S’approchant doucement de l’Hébreu, il lui chuchota à l’oreille : « Dans le fond, peu importe quelle divinité tu sers, tu dois juste faire croire que tu épouses les idées du Pharaon… dans l’intimité de ton cœur, tu pourras continuer à servir ton D.ieu ».