L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.
Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.
Résumé de l’épisode précédent :
Après avoir révélé l’identité du prince Ankhéfènie aux Hébreux de Goshen, la plaie du sang a également révélé l’identité egyptienne d’Anoukis à Eliakoum, le laissant en proie à une cruelle désillusion sur ce qu’il tenait pour acquis. Pendant ce temps, Ankhéfènie a été sauvé in extremis de la colère de Yé’hiel, un vaillant esclave hébreu, extrêmement fidèle et attaché au Rav Aboulkabat, par Tahir, la fille du Rav.
L’eau avait repris son aspect mais les traces de l’épidémie étaient encore visibles sur les infrastructures de l’Egypte. Les services de nettoyage œuvraient sans relâche pour laver le sang séché sur les murs et les maisons. Des milliers d’égyptiens moururent de soif durant cette plaie sanguinaire. Des obsèques avaient lieu un peu partout dans le pays.
Pharaon, quant à lui, n’abandonnait pas l’idée de maintenir les jeux de la capitale coûte que coûte. Il comptait sur ce divertissement pour insuffler au peuple un regain de vitalité.
Des messagers furent dépêchés dans tout le pays avec pour mission d’amasser le maximum de gens. Les jeux de la capitale se tenaient le lendemain, et les dignitaires de toute l’Egypte y étaient attendus.
Ankhéfènie chevaucha de nuit pour être présent aux jeux de la capitale comme prévu. Il comptait sur les talents d’Anarè, son homme de confiance, pour le seconder durant l’épreuve avant d’apparaître lui-même devant la foule après l’épreuve du tir à l’arc qui lui était assigné.
Discrètement, il passa la porte de sa résidence sans que personne n’aperçoive sa présence. Il connaissait si bien les entrées secrètes du palais que personne ne pouvait le surprendre lors de ses déplacements clandestins.
« Oh Maître », dit Eliakoum devant le prince qui apparut soudain devant lui, « vous voilà… »
Il mit un genou à terre, mais le prince lui fit signe de se relever.
« Tout est fin prêt, Eliakoum ? Où est Anarè ? », demanda-t-il ?
Le sosie du Prince tapa des doigts sur la table pour se manifester.
« Très bien ! Êtes-vous prêts ? »
« Affirmatif, mon maître ! », répondit Eliakoum, appuyé d’un hochement de tête de l’égyptien.
« J’ai besoin de me reposer quelque peu, je suis épuisé. Nous planifierons les choses demain à l’aube », dit-il en s’éloigna vers sa chambre à coucher.
L’infrastructure du stade où devait se dérouler les jeux de la capitale était gigantesque. Elle contenait des centaines de milliers de personnes, un monument digne des plus belles œuvres architecturales égyptienne. Sa forme ovale permettait de placer Pharaon et son conseil à la tête de la foule. Les sièges étaient gravés dans la roche des immenses blocs de granit sculptés, ils offraient même des accoudoirs aux spectateurs en forme de serpents et autres reptiles que les égyptiens affectionnaient tant.
Le soleil était à peine levé qu’une file d’attente longue comme le Nil s’était formée devant l’édifice. Les familles étaient là, dans le but de se divertir et d’oublier la semaine d’horreur que toute la nation avait traversée. Au programme : lancers de javelots, épreuves de force, mais surtout cette année, le clou du spectacle, c’était l’épreuve du tir à l’arc par le prince Ankhéfènie. L’Egypte aimait son prince et la majorité des gens firent le déplacement pour admirer ses exploits.
La foule avait pris place. Le soleil était maintenant au zénith, et c’est à ce moment précis que le Pharaon pénétra la plateforme porté par ses valets masqués et adulé par le public. L’empereur prenait un bain de foule, d’extase et d’exaltation. Les spectateurs étaient subjugués par la grandeur de leur maître !
Il salua de la main l’assemblée, puis alla s’installer sur son trône confectionné pour l’occasion. En dessous de Pharaon, son conseil s’installa, composé de ses mages, astrologues et ministres rangés par ordre d’importance à la cour. Le gouvernement égyptien surplombait sa population.
Le crieur fit taire la foule, puis annonça.
« Chers citoyens de la Grande Egypte, après un moment difficile passé sous les coups d’une magie étrangère, nous voilà plus vaillants qu’autrefois, plus féroces. Nous voilà aux jeux de la capitale d’Egypppptttteeee !!! », tonna-t-il en bon annonceur.
La foule le suivit d’une pluie d’applaudissements.
« Mesdames, messieurs, pour la première épreuve, l’épreuve du javelot, je vous demande d’accueillir l’invincible, l’immense, le colosse venu de Jamatèk – Gaotètarrrrruuuunaaaarrr !!! »
Le titan s'avança sur l’esplanade sous les cris transportés de la foule en délire.
Il s’immobilisa au milieu de l’immense terre-plein et abaissa son genou devant Pharaon qui lui fit aussitôt signe de se relever. Le spectacle pouvait commencer.
L’homme saisit le lourd javelot de fer et, d’un élan surpuissant, le lança sous les yeux ébahis de l’assistance attentive. L’arme se planta lourdement dans la terre au-delà de la limite définie par le record précédent. Gaotètarunar a été sacré champion d’Egypte.
Le champion, fier, sortit sous un tonnerre d’applaudissements de la foule.
« Et maintenant, le moment que vous attendez tous avec impatience. Cette épreuve au sang royal », hurla le crieur d’une voix rauque, « à laquelle participe sa majesté le prince Ankhéfèèèènnniieeeee !!!! ». La foule se leva comme possédée par l’exaltation.
« Ankhé ! Ankhé ! Ankhé ! », scandait la foule. Hommes, femmes, enfants... tout le monde n’avait d’yeux que pour lui. Seuls les membres du conseil tapotaient discrètement des mains, l’air un peu méprisant. Pharaon quant à lui était dans un état second à cause des effets de l’alcool, ses yeux s’ouvraient, se fermaient, sa tête dandinait, il percevait la situation comme un ivrogne peut la percevoir.
« Pour cette épreuve, j’appelle les cinq candidats qui vont venir se placer devant leur cible. »
« Es-tu prêt, Anarè ? », demanda le prince sous son châle noir qui permettait de passer incognito. Le valet acquiesça d’un hochement de tête.
« Anarè », lança Eliakoum, « n’oublie pas, enfonce bien tes pieds dans le sol et ramène bien l’arc vers toi. »
Anarè sortit du couloir le menant jusqu’au terrain. La foule ne parvenait plus à se contenir. Le crieur peinait à la faire taire afin d’annoncer le règlement de l’épreuve.
Les cinq candidats devaient se placer devant leurs cibles. Anarè se plaça au milieu. Les postulants se préparaient, la foule s’était tue. Anarè enfonça profondément ses pieds dans le sol, étira son arc. Chacun en fit de même.
« A mon signal, archers... Tireeez ! », hurla le crieur.
Les flèches partirent à toute vitesse dans un sifflement aigu. La foule retenait sa respiration. Un silence de plomb pesait dans l’enceinte du stade.
Telle une vitre brisée en mille morceaux, la voix d’une femme hystérique déchira l’atmosphère.
« Au secooouurrrs ! Le prince est à terre ! », s’écria-t-elle de sa voix tremblante.
Anarè gisait par terre, une flaque de sang s’était formée autour de lui.
Une flèche l’avait atteint au foie, son origine était inconnue.
« Nooonnnn !! », cria le prince de douleur pour son fidèle ami, « Anarè ! »
Eliakoum, contre toutes les règles de bienséance, saisit le prince par le bras.
« Majesté, c’est dangereux, ne restons pas ici, venez ! »
Le prince regarda impuissant son ami à terre, le regard vide. Une larme coula le long de son visage crispé par la peine.
La foule, quant à elle, s’ameutait, les gens se bousculaient dans des cris d’horreur. La dépouille du valet du prince était encerclée par des gardes royaux, qui peinaient à écarter la foule démente.
Pharaon fut escorté par sa garde rapprochée. Il sombrait dans une profonde divagation, sonné par tout cet alcool et ce choc émotionnel. Son escorte emprunta un chemin secret gravé dans la roche du bâtiment qui débouchait aux abords de son palais.
L’Egypte était en insurrection, tout était allé très vite, très fort. L’annonce de la mort du prince se répandit comme une traînée de poudre qui explosa aussitôt.
Le prince et son ami hébreu couraient au milieu de cette foule enragée par la mort de son héros. Le prince maintenait sa capuche au plus près de son visage pour qu’il ne soit pas reconnaissable. Bousculés par la foule en délire, les deux hommes se frayaient un chemin main dans la main pour ne pas se perdre l’un l’autre.
Pendant ce temps, le Rav Aboulkabat entendait des bruits sourds depuis sa geôle. Enfermé dans une cellule miteuse, il priait D.ieu. Pour lui, peu importait le cadre dans lequel il se trouvait, il était constamment en cohésion avec son Créateur.
Soudain, la serrure de sa cellule tourna péniblement. Le fer rouillé rendait le tour de clé difficile. Il entendit un deuxième tour, et la porte s’ouvrit.
« Rabbi, Rabbi dépêchez-vous ! », dit la voix au bout de la pièce. « Venez vite ! »
« Pakhémétnou, c’est vous mon vieil ami ? », demanda le Rav surpris.
« Oui, allez Rabbi, le garde va arriver d’une minute à l’autre. »
Les deux hommes s’enfoncèrent dans les couloirs sombres de la prison humide.
« On y est presque, voilà la porte, Rabbi », murmura le vieux scribe.
« Halte-là ! Où allez-vous comme ça ? » hurla le garde au bout du long couloir.
Pakhémétnou se dépêcha d’ouvrir la porte, jetant des regards anxieux derrière lui.
« Voilà c’est bon, allez Rabbi, passez.
- Non, je ne vais pas te laisser là », dit le Rav inquiet pour le sort de son ami d’antan.
Le garde sortit la matraque cloutée de son ceinturon. Il accélérait le pas.
« Trop tard. » Pakhémétnou poussa le Rav de l’autre côté de la porte et cassa la clé dans la serrure avec les dernières forces qui lui restaient.
« Prie pour moi à ton D.ieu, j’ai toujours su qu’Il était l’Unique. Je n’ai pas eu le courage de vous suivre, vous les Hébreux ! Mais maintenant vous serez libérés. Va, Rabbi Aboulkabat, va et ne te retourne pas… »
Le Rav s’en alla, entendant les insoutenables cris de souffrance de son vieil ami lacéré à mort…