La paracha Tetsavé nous dit : « Tu feras le manteau de l’Éphod, entièrement d’azur… Tu feras à ses bords des grenades d’azur, de pourpre et d’écarlate et des clochettes d’or entre elles, tour à l’entour. Une clochette d’or, puis une grenade ; une clochette d’or puis une grenade, au bas de la robe, tout autour. »[1]

L’un des vêtements du Cohen Gadol était le méil, une robe ornée de cloches qui sonnaient quand le Cohen Gadol marchait. La guemara dans Arakhin raconte que chacun des vêtements du Cohen Gadol expiait une certaine avéra. Le méil (qui faisait beaucoup de bruit) servait à pardonner la faute du lachon hara (qui provoque aussi beaucoup de bruit et de rumeurs). Mais la guemara rapporte une braïta[2] qui semble être contradictoire : elle affirme que la ketoreth, l’encens, utilisée dans le Michkan servait à réparer la médisance.

Elle explique qu’il existe deux sortes de lachon hara ; la ketoreth était utilisée pour le lachon hara « silencieux », à savoir quand la personne qui médit cache ses véritables sentiments et la « victime » du lachon hara n’est pas consciente que quelqu’un la déprécie. Parallèlement, le méil vient expier le lachon hara dévoilé ; quand le colporteur dit tout haut ce qu’il pense de son prochain, au point que ce dernier sait très probablement ce qui est raconté à son propos.[3]

Cependant, cette explication de la guemara semble poser une nouvelle difficulté ; pourquoi deux éléments du Michkan sont-ils nécessaires pour pardonner une seule et même faute ? Pourquoi la médisance, qu’elle soit « silencieuse » ou bien « tapageuse », ne peut-elle pas être expiée par l’un d’eux uniquement ? De plus, on pourrait penser que le lachon hara dévoilé est bien plus dommageable que la forme plus discrète. Donc si le méil avait la possibilité de réparer un lachon hara plus grave, il pouvait certainement pardonner celui qui se veut moins nuisible, parce que plus silencieux.

Pour répondre à cette question, il faut comprendre plus spécifiquement chacun des aspects négatifs de ces deux formes de colportage. Le lachon hara « bruyant » est très néfaste dans le sens où la victime est au courant des mauvaises paroles qui sont dites à son sujet et cela engendre naturellement beaucoup de peine.

Mais d’autre part, le lachon hara « silencieux » est bien plus pernicieux, parce que celui qui perpétue cette grave faute se comporte de manière hypocrite envers la victime ; devant elle, il se montre très amical, mais derrière son dos, il la calomnie impitoyablement et enjoint à son auditoire de ne pas dévoiler ce qu’il pense vraiment d’elle. Puisque la personne dénigrée est totalement inconsciente de la diffamation, elle ne fait rien pour parer à ces attaques, qui se poursuivent sans relâche. Par contre, la victime du lachon hara « bruyant » a bien plus de chances d’être informée de ce qui est dit sur elle et elle peut s’en protéger en conséquence.

Nous pouvons à présent expliquer pourquoi il est nécessaire que deux composants du Michkan pardonnent la même faute. Chaque forme de lachon hara est en quelque sorte plus préjudiciable que l’autre. Ainsi, bien que le méil ait la capacité d’expier l’aspect nuisible du lachon hara « bruyant », il ne peut pas pardonner le tort causé par le lachon hara silencieux. Inversement, la ketoreth peut pallier les conséquences négatives du lachon hara « silencieux », mais elle ne peut agir quand c’est la médisance dévoilée qui nuit.

Cette explication est surprenante. En effet, elle suppose que, d’une certaine façon, le fait de médire discrètement est pire que de le faire de façon éhontée. Le ‘Hafets ‘Haïm zatsal souligne que le fait de dire du lachon hara en cachette, implique un autre interdit de la Thora, celui de ne pas haïr son prochain, « lo tisna eth a’hikha bilevavékha »[4]. On pourrait comprendre que l’on enfreint cette loi que si l’on garde sa haine dans son cœur, sans en parler à personne, pas même l’individu concerné, mais que si l’on exprime cette répugnance, même de manière négative, on ne transgresse pas l’interdit de « lo tisna… »  puisque l’on ne couve pas cette antipathie.[5]

Cette idée est fausse ; le ‘Hafets ‘Haïm remarque qu’un homme peut haïr son prochain et parler de cette aversion à d’autres, tout en continuant de se montrer amical et avenant. Ceci est également interdit, car il a encore du ressentiment pour l’autre. Il explique la raison de cette faute : la personne haïe est incapable de se protéger de celui qui la méprise et des bombardements silencieux qui la détruisent. Par conséquent, si l’on cache ses véritables sentiments à son prochain, on se rend coupable de « lo tisna », même si l’on tient d’autres personnes au courant de cette haine.

On peut parfois développer une répulsion envers quelqu’un. Il est évident qu’elle ne justifie pas le fait de dire du lachon hara. Nous apprenons également de la guemara dans Arakhin que le fait d’agir fallacieusement rend le lachon hara encore plus destructeur. ‘Hazal nous enseignent que les frères de Yossef eurent tort de l’exécrer, mais on leur attribue le mérite de n’avoir pas agi avec hypocrisie à son égard. Nous pouvons déduire de leur comportement que bien qu’il soit mauvais de haïr autrui, il est bien plus grave de cacher cette haine et de parler négativement derrière son dos. Cette attitude ne parvient qu’à créer inimitié et ma’hloket (dispute).

La conduite idéale à adopter est d’essayer de calmer la situation en parlant à son prochain de manière calme et raisonnable et de tenter de résoudre le problème avec maturité. En agissant avec honnêteté et franchise, on peut grandement améliorer les rapports que l’on entretient avec son entourage.



[1] Parachat Tetsavé, Chemot, 28:31-34.

[2] Enseignement de l’époque des Sages de la Michna.

[3] Arakhin, 16a. Mon rav, le rav Its’hak Berkovits chlita explique ainsi les termes de la guemara : « lachon hara silencieux » et « lachon hara bruyant »

[4] Parachat Kedochim, Vayikra, 19:17.

[5] Voir Rambam, Hilkhot Déot, Ch. 6, Halakhot 5-6. Voir Ramban et Rachbam, Parachat Kedochim, 19:17. Inutile de préciser que l’on n’a pas le droit de manifester sa hargne de façon hostile, par exemple en criant ou en frappant son prochain.