L’épisode des bénédictions données par Its’hak à ses enfants est l’un des plus surprenants de la Torah. Plusieurs questions qu’il soulève sont connues, mais l’une d’entre elles est moins posée : pourquoi Yaacov avait-il besoin de bénédiction ? Le ’Hikré Lev[1] souligne que la bénédiction qui était réservée à Essav était de nature matérielle uniquement. En revanche, Yaacov était un « Ich Tam Yochev Ohalim » — un homme pur qui étudiait la Torah. Pourquoi avait-il besoin de bénédiction matérielle alors qu’il n’aspirait qu’à la spiritualité ? De plus, il est évident qu’Its’hak avait l’intention de bénir Yaacov en lui disant le passage lu à la fin de la Paracha – qui est bien plus spirituel et qui « complète » la bénédiction faite par Hachem à Avraham. Alors pourquoi était-il important pour Yaacov de recevoir les bénédictions d’Essav dans la matérialité ? En outre, pourquoi Hachem organisa-t-Il les choses de façon à ce que les protagonistes de cette histoire doivent agir avec tant de Ramaout (ruse, tromperie) ?
Le ’Hikré Lev explique l’intention d’Its’hak quand il bénit Essav. Its’hak savait pertinemment que Yaacov était d’un niveau spirituel plus élevé qu’Essav, mais il pensait que le rôle d’Essav était de soutenir matériellement Yaacov, afin que ce dernier puisse se focaliser sur la spiritualité. C’est ainsi que les fils de Yaacov menèrent à bien leur magnifique projet commun – Zevouloun aidait Issakhar matériellement pour qu’Issakhar puisse se consacrer à son élévation spirituelle. Ainsi, Its’hak croyait qu’Essav était la personne adaptée pour recevoir les bénédictions basées sur l’abondance matérielle et non les bénédictions spirituelles. L’erreur d’Its’hak fut de croire qu’Essav pouvait devenir un homme vertueux et pratiquant et ennoblir sa matérialité en soutenant Yaacov. Mais Essav était tellement noyé par le monde matériel qu’il n’avait plus aucun lien avec la spiritualité. Au contraire, il était complètement plongé dans toutes sortes de conduites immorales[2]. Le ’Hikré Lev souligne qu’Its’hak avait toujours pensé donner à Yaacov les bénédictions liées à l’élévation spirituelle, parce qu’il sentait que son rôle était entièrement spirituel. Toutefois, Rivka réalisa qu’Essav ne convenait plus au rôle qu’on lui avait originellement attribué ; Yaacov devait assumer les deux responsabilités et il avait donc besoin des bénédictions lui permettant de réussir également dans ce deuxième rôle.
Si Yaacov avait directement demandé une bénédiction à Its’hak, son père ne lui aurait donné que celle liée à la spiritualité et non celle réservée à Essav. De ce fait, Rivka comprit qu’il était nécessaire que Yaacov fasse preuve de ruse et qu’il mette les habits de son frère pour mériter aussi les bénédictions matérielles. Il nous reste à comprendre pourquoi Hachem fit que les bénédictions soient prises par ruse, chose qui semblerait diminuer leur valeur.
Les deux personnages qui agirent avec ruse furent Rivka et Yaacov – Rivka enjoignit à Yaacov de tromper son père et Yaacov exécuta cette demande. Il semblerait qu’il y ait différentes raisons à cette attitude. Concernant Yaacov, les commentateurs soulignent son incroyable qualité de Émet – de vérité – et pourtant, lors de cet incident (ainsi que quelques autres dans sa vie)[3], il fut contraint d’agir d’une façon qui contredit clairement cette valeur. Ce n’était pas une coïncidence. Rav Yaacov Kamenetsky explique que tous les Patriarches durent surmonter de très grandes difficultés, en particulier dans les domaines qui touchaient leurs natures. Parfois, même si l’on excelle dans la Avodat Hachem grâce à des vertus naturelles, l’individu peut agir sans véritablement vouloir se conformer à la volonté divine, mais simplement parce que telle est sa nature. Pour être sûr de ses bonnes intentions, il faut voir comment il se comporte quand il se trouve dans une situation qui exige qu’il agisse à l’encontre de son inclination naturelle. S’il parvient tout de même à accomplir la volonté d’Hachem, cela prouve qu’il agit véritablement pour l’honneur d’Hachem. Ainsi, tous les Patriarches durent surmonter de grandes épreuves qui allaient à l’encontre de leur nature.[4]
Concernant Yaacov Avinou, il fut placé dans une situation où il était convaincu que cette ruse était conforme à la volonté divine. Ce challenge était une sorte d’Akéda personnelle de la part de Yaacov, ce qui place cette épreuve au même niveau que celle d’Avraham (tant dans la difficulté que dans l’implication qu’elle eut dans sa vie)[5].
Il semble que l’épreuve de Rivka fut différente. Elle avait grandi dans un foyer et dans une société plongée dans la malhonnêteté. Le Midrach raconte que le verset « Its’hak avait quarante ans quand il prit [pour femme] Rivka, la fille de Bétouel le Arami, de Padam Aran, la sœur de Lavan le Arami » nous enseigne que son père était un Ramaï (fourbe) [NDLT : mot composé des mêmes lettres que le mot Arami], que son frère était fourbe et que tout son entourage était fourbe. Malgré tout, cette vertueuse femme en est issue.[6]
Rivka s’y connaissait bien en ruse et toute sa grandeur fut de ne pas s’être laissé influencer par la fourberie qui l’entourait et de devenir une Tsadéket dans tous les domaines. Pourtant du fait de son habitude à la malhonnêteté, elle parvint tout d’abord à déceler la nature fourbe de son fils Essav et aussi de ne pas avoir peur d’agir malhonnêtement quand nécessaire. Il semble que son épreuve dans ce domaine fut d’utiliser à bon escient la Mida dont tant de gens avaient abusé et de l’utiliser avec de bonnes intentions. Elle réussit à surmonter l’épreuve, ce qui eut d’incroyables conséquences positives.
L’un des potentiels fondamentaux du peuple juif est de savoir rectifier les traits de caractère habituellement négatifs et de les utiliser de la bonne façon et pour les bonnes causes. Ceci nous rappelle que toutes les Midot, qu’il s’agisse de qualités ou de défauts, peuvent et doivent être dirigées, canalisées vers la Avodat Hachem.
[1] Maamar 23.
[2] Voir Darach Moché, ibid. pour une explication semblable.
[3] Comme la période où il dut traiter avec Lavan.
[4] Avraham dut agir à l’encontre de son ‘Hessed naturel lors de plusieurs épreuves, en particulier pour la Akédat Its’hak.
[5] Émet Léyaacov, Béréchit 27:12.
[6] Chir Hachirim Raba 2,5.