« Essav vit que les filles cananéennes [qu’il avait épousées] étaient mauvaises aux yeux de son père Its'hak. Essav alla vers Ichmaël. Il prit pour femme Ma’halat fille de Ichmaël, fils d’Avraham, sœur de Névayot, en plus de ses femmes. » (Béréchit 28,8-9)

Rachi explique l’expression « en plus de ses femmes » : Il ajouta le mal au mal, étant donné qu’il n’avait pas répudié les premières femmes.

Tout à la fin de la Paracha, la Torah raconte que Its'hak Avinou ordonna à son fils, Ya’akov, d’aller à Padan Aram pour épouser l’une des filles de Lavan. Essav, le deuxième fils de Its'hak, avait déjà épousé des femmes cananéennes idolâtres. En entendant l’ordre donné à Ya’akov, il comprit que ses précédents mariages n’étaient pas approuvés par Its’hak et qu’il en souffrait moralement. Essav décida donc d’épouser également une jeune fille de leur famille, se tournant vers la fille d’Ichmaël, le frère de Its'hak. Toutefois, il ne divorça pas de ses premières épouses, il se contenta d’en ajouter une. Rachi précise que cela n’améliora pas la situation, au contraire.

Pourquoi, d’après Rachi, Essav a-t-il « ajouté du mal au mal » en épousant une autre femme ? Il aurait semblé plus exact de dire simplement qu’Essav n’a pas amélioré la situation en épousant une autre femme, parce qu’il n’a pas réglé le problème principal – à savoir qu’il avait épousé des femmes mauvaises en premier lieu. Mais pourquoi parler d’ajouter du mal au mal, laissant entendre qu’il aggrava, en fait, les choses ?[1]

En réalité, Essav s’est détérioré davantage en épousant une femme supplémentaire sans divorcer des premières épouses. Jusqu’alors, il ne s’était pas rendu compte de l’insatisfaction de son père quant au choix de ses épouses ; il aurait donc pu être considéré comme inconscient du mal qui émanait de ses mariages. Mais une fois qu’il s’est rendu compte de la contrariété de Its’hak, il aurait dû immédiatement divorcer et épouser une jeune fille faisant partie de la famille. Il ne le fit pas et camoufla plutôt ses sentiments de culpabilité en épousant, en plus, une fille d’Ichmaël. Ainsi, il se justifia en prétendant avoir accompli la volonté de son père. Étant donné qu’il ignora complètement que ses mauvaises épouses étaient la cause principale de la désapprobation de son père, et qu’il resta marié avec elles, il ajouta à son mauvais comportement. Il n’agissait donc plus « Béchogeg » (inconsciemment). 

Le Sifté ’Haïm[2] estime que c’est la manifestation claire du côté imparfait d’Essav – sa malhonnêteté. Il trompa son père en lui faisant croire qu’il était vertueux et en lui posant des questions halakhiques laissant percevoir une certaine Yirat Chamaïm, mais sa vertu n’était que superficielle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est comparé au cochon qui met en avant son sabot fendu, tentant de prouver sa Cacheroute, alors qu’à l’intérieur, il n’a rien de Cachère. Qui plus est, Essav se dupa lui-même en se convainquant de sa bonté par des actions extérieures (comme le mariage avec la fille d’Ichmaël), mais il mit complètement de côté la véritable raison et le réel objectif de ce mariage.

Une autre question se pose concernant le mépris d’Essav pour la volonté de son père. Le Midrach[3] enseigne qu’Essav excellait dans la Mitsva du Kibboud Av – le respect dû à son père. Rabbi Chimon ben Gamliel affirma qu’il avait lui-même beaucoup honoré ses parents, mais qu’il n’était pas arrivé au centième du niveau atteint par Essav dans cette Mitsva. Alors comment Essav put-il ignorer de manière si flagrante le désir de Its'hak (qu’il divorce de ses femmes) ? Le Ramban[4] aborde brièvement cette question. Il écrit : « De plus, il [le Verset] précise qu’il l’a prise en plus de ses autres épouses, et qu’il n’a pas répudié les mauvaises épouses, parce qu’il a poursuivi ses désirs physiques plus que la volonté de son père. » Le Ramban nous enseigne que même si Essav avait une forte volonté et inclination au respect de son père, celle-ci était soumise à sa Taava encore plus forte pour les plaisirs corporels.

Nous apprenons de ce passage une idée fondamentale ; même si une personne excelle dans certains domaines spirituels, tant qu’elle ne contrôle pas ses désirs physiques, ceux-ci entraveront gravement sa capacité à accomplir le Ratson Hachem. L’origine du problème et de la dépravation d’Essav est, semble-t-il, son manque de Yirat Chamaïm, car si l’individu a véritablement peur de commettre une faute, il peut atteindre de très hauts niveaux de maîtrise de soi.

Cette idée est illustrée par l’histoire suivante. Un homme pratiquant essayait de contrôler son surpoids et rejoignit un groupe de personnes qui s’encourageaient mutuellement pour être en meilleure santé et perdre du poids. Un jour, cet homme raconta aux membres du groupe qu’il était sur le point de craquer, parce qu’il se trouvait devant un magnifique gâteau auquel il avait extrêmement envie de goûter. Ses camarades de groupe lui donnèrent divers arguments et conseils pour l’aider à surmonter cette épreuve. Lors de leur rencontre suivante, il raconta fièrement qu’il avait réussi à ne pas manger le fameux gâteau. Ses amis pensèrent que c’était grâce à leur aide, mais il avoua que tout cela ne l’aida pas. Alors comment avait-il réussi à s’abstenir de manger ce dessert ? Au moment où il fut fortement tenté, il ouvrit son réfrigérateur et, en voyant un reste de morceau de viande, il réalisa qu’il en avait mangé un peu plus tôt et qu’il ne pouvait pas manger de gâteau au fromage pendant les six heures suivantes. Il réussit alors facilement à s’abstenir de goûter le gâteau. Cette anecdote montre comment la Yirat Chamaïm peut aider l’individu à surmonter les tentations, même les plus fortes.

 

[1] Le Ramban (Béréchit 28,5) note qu’Essav aurait dû apprendre de l’instruction de Its’hak à Ya’akov, d’aller plutôt vers les filles de Lavan et non vers la fille de Ichmaël. Certains commentateurs ajoutent que sa nouvelle épouse était aussi mauvaise que les épouses précédentes. Une approche différente est proposée ici.

[2] Sifté ’Haïm Al Hatorah, Béréchit, p. 280.

[3] Béréchit Raba, 65,16.

[4] Ramban Al Hatorah, 28,5.