« Avram prit sa femme Saraï et Loth, le fils de son frère, ainsi que toutes les richesses qu’ils avaient amassées et les âmes qu’ils avaient faites à ’Haran… » (Béréchit, 12:5)
Rachi explique sur les mots « et les âmes qu’ils avaient faites à ’Haran » : qu’ils avaient placées sous les ailes de la Présence Divine.
La Torah nous annonce qu’Avraham et Sarah créèrent des âmes – cela signifie, selon Rachi, qu’ils incitèrent plusieurs personnes à croire en D.ieu. La Guémara nous informe qu’Avraham commença à « créer des âmes » à l’âge de 52 ans et décrit cette date comme le début d’une nouvelle ère de l’Histoire – celle de Torah. Elle affirme que l’histoire du monde se divise en trois périodes bimillénaires ; la première s’appelle « les deux-mille ans de néant », la deuxième est connue comme « les deux-mille ans de Torah », et la troisième correspond à la période pré-messianique[1].
Pourtant, plusieurs Maamaré ’Hazal prouvent que d’illustres personnages qui vécurent avant Avraham étudièrent la Torah. Noa’h étudia la Torah[2], Chem et Éver ont même fondé des Yéchivot ! Pourquoi sont-ils alors inclus dans une période décrite comme vide de Torah ? Pourquoi amorcer cette époque qu’avec Avraham ?
Pour répondre à cette question, il nous faut d’abord différencier l’étude de la Torah de son enseignement ; le simple fait que certaines personnes étudièrent la Torah ne suffit pas pour entamer une ère de Torah – car il n’y avait alors aucune chance qu’elle soit diffusée. On comprend donc pourquoi Noa’h qui étudia la Torah ne mit pas un terme à l’ère de désolation. Mais pourquoi ne fut-ce pas le cas de ceux qui œuvrèrent pour la transmettre – notamment Chem et Éver ? En quoi ne furent-ils pas dignes d’inaugurer l’ère de Torah ?[3]
La différence entre la Torah que Chem et Éver enseignèrent et celle d’Avraham est de taille. Le Ramban décrit la Torah que Ya'acov apprit dans la Yéchiva de Chem et Éver comme « ’Hokhmot Ousitré Torah » — la sagesse et les secrets de la Torah[4]. Ceci prouve que Chem et Éver étaient spécialisés dans l’enseignement de la sagesse ésotérique — peut-être ce que l’on connait comme étant la Kabbala. Certes, cette étude est de haute importance, mais elle concerne moins la pratique des Mitsvot. En revanche, Avraham Avinou enseigna la Torah différemment. Onkelos traduit les mots : « Les âmes qu’ils firent à ’Haran » par « Di Chabidou Léoraïta », qu’ils soumirent à la Torah. Ceci montre bien que tout leur enseignement portait sur le respect, l’observance des lois de la Torah – c’était une Torah « pragmatique » qui s’appliquait directement à ceux qui l’étudiaient.
Seule une Torah qui est intrinsèquement liée à la 'Avodat Hachem peut marquer le début de l’« Ère de Torah ». Ceci nous rappelle que l’objectif de notre Étude doit être notre rapprochement d’Hachem et l’amélioration de notre observance des Mitsvot.
L’histoire suivante illustre bien ce point. Un Maskil (un Juif « éclairé »[5]) écrivit un jour un recueil de commentaires sur le ’Houmach – à propos d’un verset, il rapportait l’explication du Ramban, sur un autre, il citait l’interprétation du Ibn Ezra, etc. Cet homme ayant été connu pour ne pas être intéressé à transmettre la Torah, un Rav de l’époque se demanda s’il n’y avait rien de problématique dans cet « innocent » ouvrage. Il parcourut tout le livre, mais ne trouva rien d’anormal, et ce, même après une relecture. Après réflexion, il comprit ce que le Maskil avait en tête. De manière générale, un commentateur écrit parfois une interprétation sur un verset et parfois un enseignement fondamental sur la Crainte du Ciel ou sur la Émouna. Cet auteur choisit délibérément les commentaires qui n’évoquaient pas ces sujets. Il voulait ainsi déconnecter la Torah de Celui Qui l’avait donnée et présenter cet ouvrage comme n’importe quel autre manuel, doté d’explications intéressantes, mais sans rapport avec le service d’Hachem. Le Rav décida alors d’interdire la lecture de ce livre. On voit bien le danger d’étudier la Torah sans chercher à améliorer notre 'Avodat Hachem.
Puissions-nous tous mériter d’émuler Avraham Avinou et de mettre en application la Torah étudiée, dans tous les domaines de la vie.
[1] Avoda Zara, 9a, Sanhédrin, 97a.
[2] Vayikra Raba, 2:10 ; Rachi, Béréchit, 7:2.
[3] Cette approche est basée sur l’explication de Rav Eitan Feiner. Rav Moché Feinstein (Darach Moché, Lekh Lékha, p. 6) explique autrement cette différence entre Chem et Éver et Avraham : les deux premiers enseignaient la Torah à ceux qui venaient à eux, tandis qu’Avraham allait vers les disciples. Seule cette forme de transmission de la Torah peut assurer sa pérennité.
[4] Ramban, Béréchit, 37:3. Voir également Baal Hatourim, ibid.
[5] Les Maskilim souhaitaient généralement s’assimiler au monde laïque.