S’il est une thématique qui fait florès dans les rayons des librairies contemporaines, c’est bien celle du « bonheur », décliné sous de multiples angles : développement personnel, quête de la sagesse ou encore pensée ou psychologie positive.
Cette recherche du bonheur est bien sûr louable en tant que telle, et nul ne pourrait sérieusement s’y opposer. Mais l’écho qu’elle reçoit dans la population et l’intensité de l’intérêt qu’elle suscite témoignent, en contrepoint, que notre société, pourtant saturée d’objets de consommation, de loisirs, de distractions, de médias, ne parvient pas à satisfaire le besoin le plus élémentaire de l’homme : son bonheur.
Et, de fait, le bonheur est avant tout une conquête intérieure individuelle, un sentiment d’harmonie et de cohérence entre les aspirations profondes de l’homme et la réalité qu’il vit.
La quête du bonheur est toutefois un chemin semé d’embûches, à commencer par celles que l’homme se met en lui-même en recherchant parfois l’inaccessible, en fermant les yeux sur les trésors qui sont sous ses yeux ou bien en confondant bonheur et instinct, bonheur et absence de frustration…
La Torah ne saurait se résumer à être un livre de développement personnel, elle est naturellement bien plus que cela. Quiconque l’a étudiée sait bien à quel point sa profondeur est infinie, et ses niveaux de lecture multiples. Depuis des siècles que les hommes lisent ce texte et le commentent, nul n’a jamais prétendu avoir épuisé ou terminé son analyse, à peine osons-nous dire que nous avons commencé…
Cela étant posé, la quête du bonheur auquel l’homme peut aspirer sur terre est l’un des fils rouges qui parcourt la Torah de part en part. Depuis l’expérience du Gan Eden jusqu’aux temps messianiques, la promesse d’une félicité éternelle, la recherche de l’harmonie authentique dans la création constituent l’un des aboutissements de l’aventure humaine, et probablement sa vocation profonde.
A notre très modeste mesure, avec l’aide d’Hachem, nous essaierons d’identifier, dans les sections hebdomadaires de la Torah que nous lisons chaque semaine, un enseignement relatif à cette quête du bonheur.
Paracha Lekh Lékha
La Paracha de cette semaine, Lekh Lékha, constitue une belle introduction à cette quête du bonheur. En effet, le tout premier commentaire de Rachi commente le terme de « Lekh Lekha - Va pour toi » de la manière suivante : « Va pour toi : pour ton bonheur et pour ton bien. C’est là-bas que je te ferai devenir une grande nation. Ici, tu n’auras pas la faveur d’avoir des enfants (Roch Hachana 16b). Et de plus, je ferai connaître ta nature à travers le monde (Midrach Tan‘houma Lekh Lékha 3) ».
L’objectif du départ d’Avraham est ainsi de lui permettre de trouver son bonheur en quittant son pays et les lieux dans lesquels il vivait. Dans son commentaire suivant, Rachi nous précise qu’il ne s’agit pas seulement de quitter un lieu géographique, mais aussi un environnement humain qui était délétère et l’empêchait de trouver la plénitude.
Cet arrachement d’Avraham à l’environnement originel pervers et impie dans lequel il vivait est ainsi la condition préalable à son bonheur. La Torah nous transmet un enseignement très profond sur le refus du déterminisme social dans la vie des hommes. En effet, l’environnement social dans lequel l’homme évolue oriente sa vie, de manière parfois inconsciente, vers une direction particulière, bien souvent vers la répétition du même.
Or, selon la Torah, l’homme n’est pas enchaîné à s’inscrire dans les pas d’un destin qu’il n’a pas choisi, il n’est pas condamné à vivre une vie qui l’oppresse et le fait souffrir. Il a la possibilité de changer de vie. Nul déterminisme, nulle fatalité ne lui imposent une vie de souffrances et d’échecs. L’homme dispose du libre arbitre et il lui appartient d’en faire le meilleur usage possible pour rechercher son bonheur.
Mais notre Paracha va encore plus loin quelques versets plus tard. En effet, après l’épisode de la guerre des rois et la libération de Lot, D.ieu s’adresse à nouveau à Avraham de la manière suivante : « D.ieu le fit sortir dehors et lui dit : "Regarde le ciel et compte les étoiles"».
Rachi nous explique pourquoi la Torah juge utile de préciser que D.ieu fit sortir Avraham « dehors ». En réalité, il s’agissait de le faire sortir « hors de son destin », de lui montrer qu’aucune prédestination, fut-ce astrale, ne pouvait déterminer la vie qu’il allait vivre. Avraham pouvait penser que, conformément aux lois de la nature, il était trop âgé pour avoir un enfant. Mais Hachem lui annonce qu’il n’en est rien et qu’il aura bel et bien un enfant de sa femme à presque 100 ans !
Il s’agit là d’une leçon fondamentale à méditer dans nos quêtes individuelles du bonheur. En effet, l’homme n’est pas livré au hasard des lois de la nature, il n’est pas l’objet d’un déterminisme social ou naturel qui le conduisent inexorablement vers une vie qu’il n’a pas choisie, qu’il ne souhaite pas mais à laquelle il devrait se résigner, en raison de lois prétendument immuables de la nature.
L’homme est bien au contraire fondamentalement libre et il est invité à user de sa liberté pour cheminer auprès d’Hachem, qui est tout-puissant et qui aime chaque juif comme un père aime son fils unique. Dès lors, tout est permis, les plus grands bonheurs sont à portée de main, rien n’est impossible et l’homme peut nourrir les rêves les plus ambitieux.
Aussi, échappant à l’arbitraire des lois de la nature, et confiant dans la protection divine, l’homme peut créer un dialogue avec l’Eternel et décider du sens qu’il donne à sa vie. Chaque Mitsva qu’il accomplit, chaque Tsédaka, chaque acte de bonté, chaque bonne parole, chaque pas accompli en direction d’une Mitsva créent autant d’anges au ciel qui guident l’homme vers un bonheur authentique.
Pour goûter à ce bonheur, il doit être prêt toutefois à appliquer ce « Lekh Lékha - Va pour toi seul », à cheminer auprès de D.ieu, et vivre une vie qui peut parfois sembler à contre-courant des valeurs prônées par la société.
Aussi, l’homme doit-il également se défaire de la vision du bonheur comme celle d’une absence de « contraintes », tel qu’il est parfois envisagé dans la société moderne. La contrainte n’est pas toujours antinomique du bonheur dès lors qu’elle est acceptée et qu’elle donne à l’homme le sentiment de coïncider avec des valeurs fondamentales, et de donner un sens à sa vie. Le bonheur, c’est aussi cela, être libre du sens quel l’on donne aux événements de sa vie.
Chacun part naturellement d’un niveau différent, et tout le monde n’est pas capable de pouvoir tout quitter du jour au lendemain à l’image d’Avraham, pour prendre un nouveau départ. Mais la Torah souhaite avant tout nous donner un cap, une direction à suivre dans nos vies, à toutes les époques. Chacun peut, à son niveau, mettre un terme à des petites choses, pour commencer, qui ne sont pas conformes à la vie qu’il souhaite mener idéalement et qui l’éloigne, D.ieu nous en préserve, de son Créateur.
Conscient de sa liberté intrinsèque, l’homme peut ainsi progressivement se libérer de certaines contraintes, conscientes ou non, voulues ou imposées, et se rapprocher de D.ieu.
Ces petites victoires du quotidien emplissent le cœur de l’homme d’une grande satisfaction et lui permettent de bâtir chaque jour un bonheur authentique. L’homme acquiert alors le sentiment d’une plénitude intérieure car il coïncide avec l’essence de son âme, il « va pour lui » à l’image d’Avraham, libéré des déterminismes naturels, historiques et sociaux.
Il fait confiance à l’Eternel, Seul garant de son bonheur authentique !