La Haftara de cette semaine est issue du livre de Isaïe (Yeshaya ou Yeshayahou) fils de Amots, lui-même prophète selon la tradition talmudique. Isaïe est un prophète très emblématique, par son histoire mais aussi sa présence très forte dans notre liturgie et en particulier dans les haftarot, puisque près de 16 haftarot sont issues de son livre, notamment les fameuses Hafatarot de consolation.
Il est le premier des grands prophètes dits « scripturaires » rapportés dans le Tanakh, il a vécu bien avant la destruction du premier Temple entre les années 231 et 111 avant la destruction du Temple, soit une longévité de 120 ans. Nous aurons l’occasion, avec l’aide d’Hachem, de revenir au fil des haftarot sur certains passages marquants de la vie de Isaïe, mais mentionnons d’emblée que son livre, dont la rédaction est attribuée au Roi Ezechias (Hizkiyahou), est partagé en deux grandes thématiques. La première constitue des reproches faits au peuple pour sa mauvaise conduite et son éloignement du culte authentique d’Hachem, la seconde est faite de consolations et de versets d’espérance relatifs à l’ère messianique.
Isaïe est l’auteur de ce verset célèbre que nous lisons chaque jour : « Quant à moi, dit l'Eternel, voici quel est mon pacte avec eux : mon inspiration qui repose sur toi et les paroles que j'ai mises en ta bouche, elles ne doivent point s'écarter de ta bouche, ni de la bouche de tes enfants, ni de celle des enfants de tes enfants, soit à présent, soit dans les temps futurs ».
Ce verset peut être interprété de différentes manières, mais nous voulons y voir une invitation faite à l’ensemble des générations de scruter les textes de prophètes, car l’inspiration qui a reposé sur eux ne portait pas exclusivement sur les problématiques propres à leur époque mais embrassait l’ensemble de l’aventure humaine. L’inspiration que D.ieu leur a donnée, et les mots qu’Il a mis dans leur bouche, ont une vocation et une actualité éternelles, et là est peut être le secret dont témoigne notre verset.
A notre modeste mesure, nous essaierons de lire les haftarot au miroir des défis que doit relever notre génération, pour tenter, avec l’aide d’Hachem, d’y déceler l’écho de la parole divine, et d’y trouver matière à réflexion pour donner davantage de profondeur aux évènements que nous vivons et aux choix que nous sommes amenés à faire.
Nous avons ainsi la conviction que notre génération, à défaut de pouvoir accéder de manière directe à la parole divine comme à l’époque des prophètes, a la possibilité de se référer à leurs textes pour y poursuivre le dialogue ininterrompu, à travers les siècles, entre D.ieu et les hommes.
Contexte de la Haftara
La Haftara de cette semaine se situe aux chapitres 40 et 41 du livre d’Isaïe et coïncide avec le début de la partie du livre d’Isaïe dédiée aux versets de consolations et d’espérance messianique. Son lien avec la paracha de Lekh Lekha repose notamment sur la présence en filigrane d’Abraham pris comme modèle de la destinée d’Israël. A l’image d’Abraham qui évoluait dans un monde où sa croyance en un D.ieu unique, Créateur de la terre et du ciel, était incomprise, le peuple juif a bien souvent, à travers l’histoire, été isolé dans sa foi et dans les vertus morales qu’il a professées. Mais, en dépit des difficultés de taille qu’il peut rencontrer, le peuple Juif est exhorté à ne jamais douter que l’Éternel le protège et le fera triompher de tous ses ennemis à la fin des temps, de la même manière qu’Abraham est sorti vainqueur de la sa guerre contre les quatre rois qui avaient fait prisonnier son neveu Loth.
L’écho de la Haftara
La Haftara de cette semaine se prête comme toujours à différentes lectures, mais nous pouvons y voir notamment une invitation faite à l’homme de travailler profondément sa croyance et sa confiance en D.ieu.
Notre texte nous exhorte tout d’abord à ne pas douter que la providence divine soutient l’homme en permanence, tout au long de sa vie, et qu’aucun évènement ne lui échappe. Il est vrai que l’homme est parfois confronté à des situations qui lui semblent inextricables, il a le sentiment de percevoir et comprendre les causes matérielles de ses difficultés et les actions qu’il doit mettre en œuvre pour les résoudre.
Nul ne peut prétendre naturellement que l’inaction et la passivité sont la solution, mais l’écueil qui guette l’homme est d’oublier que le soutien essentiel qu’il doit rechercher est celui du Tout-Puissant. Or, rien ne résiste à la volonté de D.ieu dans aucun domaine, Il ne connaît aucune des limites qui s’imposent à l’homme et Il peut lever les obstacles qui se dressent sur le chemin de l’homme, avec une facilité déconcertante.
Comme le dit Isaïe : « Pourquoi dis-tu, ô Jacob, t'écries-tu, ô Israël: "Ma voie est inconnue à l'Eternel, mon droit échappe à mon Dieu?" Ne le sais-tu donc pas? Ne l'as-tu pas ouï dire? Le Seigneur est le Dieu de l'Eternité, le Créateur des dernières limites du monde; il n'éprouve ni fatigue, ni lassitude: il n'est point de bornes à son intelligence! » (Isaïe 40, 27-28)
Ensuite, une des difficultés que pointe notre texte et qui se dresse dans la vie spirituelle du peuple juif réside dans la proximité avec des sociétés dont les valeurs sont radicalement différentes. Notre haftara évoque la confiance que les nations accordent à leur propre système de valeur, et à l’époque d’Isaïe, à l’idolâtrie. Hachem décrit dans nos versets les encouragements mutuels que se portent les nations pour persévérer dans leur voie sans issue, et notamment dans l’idolâtrie : « L'un prête assistance à l'autre et chacun dit à son frère: "Courage!" Le sculpteur encourage l'orfèvre, celui qui polit au marteau réconforte l'ouvrier qui frappe l'enclume et dit de la soudure: "C'est bien!" Puis on consolide [l'idole] avec des clous, pour qu'elle ne branle pas. » (Isaïe 41, 6-7)
Rien ne doit remettre en cause la validité de leur société, car l’idée que les nations se font d’eux-mêmes reposent sur le pouvoir qu’ils s’auto-attribuent et tout faille dans cette estime d’eux-mêmes est susceptible de les déstabiliser profondément.
Nous ne voulons pas trop solliciter le texte et faire des comparaisons inadéquates, mais, comment ne pas penser à l’émoi qui a saisi le monde et les observateurs politiques suite aux élections américaines. Tout se passe comme si l’avenir de l’humanité, sa prospérité économique et la paix dans la monde était vraiment déterminé par les élections politiques. L’homme hurle ainsi son besoin d’être le pilote de l’histoire qu’il est en train de vivre, de comprendre pourquoi les sondages se sont trompés, pourquoi les électeurs ont plébiscité tel ou tel président. Au lieu de prendre la mesure avec humilité des limites de son entendement et de sa capacité à prévoir le lendemain, l’homme convoque ses « experts » et se réfugie dans une surenchère de paroles et d’analyses.
Comment ne pas entendre dans ce contexte le message de notre Haftara et rester sourd à l’appel de D.ieu de placer notre confiance en Lui, et de savoir que le peuple Juif échappe à ce déterminisme matérialiste des causes et des conséquences censées expliquer le cours de l’histoire. Comme son passé le prouve, le peuple juif est régi par un autre système, par une logique qui échappe à la raison humaine mais qui se loge exclusivement dans la relation que nous entretenons avec Hachem et la place que nous Lui accordons dans nos vies.
Concluons donc sur les derniers mots de notre haftara « Mais toi, Israël, mon serviteur, Jacob, mon élu, postérité d'Abraham qui m'aimait, toi que j'ai ramené comme par la main des extrémités de la terre, que j'ai rappelé de ses zones les plus lointaines, toi à qui j'ai dit: "Tu es mon serviteur, je t'ai choisi et je ne te rejette plus," eh bien! Ne crains rien, car je suis avec toi; ne sois point affolé, car je suis ton Dieu. Je t'affermis, je t'assiste et te soutiens par ma droite, armée de justice. » (Isaïe 41, 8-10)