La Haftara de cette semaine coïncide avec l’ouverture du premier livre des Rois. Ce dernier fait suite aux deux livres de Samuel qui ont relaté notamment l’histoire des premiers rois d’Israël, Chaoul et David.
Le premier tome des Rois débute ainsi par la succession difficile du roi David, avant de nous relater les années de règne du roi Salomon, et notamment la construction et l'inauguration du Temple. Ce ne sont pas moins d’une dizaine de Haftarot qui sont tirées du premier tome du livre des Rois, et cinq sont issues du second tome.
Notre texte nous présente ainsi le roi David affaibli, à la fin de sa vie, son corps ayant perdu de sa vitalité et ne parvenant plus à se réchauffer. Il est vrai que la vie du roi David l’a conduit à mener de nombreux combats, aussi bien intérieurs qu’extérieurs. Ce fut tout d’abord la fuite face au roi Chaoul avant d’être couronné lui-même roi, puis les guerres menées contre d’autres nations. David dut également faire face à des tourments intérieurs, l’épisode de Batchéva, et bien sûr, les tragédies familiales avec notamment ses enfants, Amnon et Tamar, mais aussi son fils Avchalom qui se rebella contre son père après avoir tué son frère.
Notre Haftara se situe donc au seuil de la vie de David, lorsque se pose la question de sa succession. David avait déjà promis à son épouse Batchéva que ce serait Salomon, leur fils, qui hériterait de la royauté. Mais un autre fils, plus âgé que Salomon, Adonias, ne l’entendait pas de cette oreille, et entreprit de s’autoproclamer roi. Il commença par se comporter publiquement comme s’il était un roi et se déplaçait dans un carrosse, entouré d’une foule de serviteurs. Il réunit ensuite des personnalités de premier plan, notamment le fameux général de David, Yoav, ou encore l’ancien, Cohen Eviatar, qui participèrent à un simulacre de couronnement.
Effarée par ce qui se passait dans le dos de David, Batchéva, encouragée par le prophète Nathan, se rendit au chevet du roi pour l’en informer et le supplier d’interrompre ces manigances en désignant officiellement Salomon comme successeur. Le prophète Nathan se rendit ensuite lui-même également chez le roi afin de plaider dans la même direction. Le roi David prit donc ses responsabilités et désigna lui-même le Roi Salomon comme successeur, causant la stupeur et la crainte dans le camp d’Adonias qui redoutait des représailles. Mais Salomon rassura son frère en lui disant que tant qu’il se comporterait bien, il n’aurait rien à craindre.
Liens entre la Haftara et la Paracha
Cette Haftara accompagne donc la Paracha de ‘Hayé Sara, et il est possible, comme toujours, de dégager plusieurs similitudes entre nos textes.
Tout d’abord, certains mots de nos deux textes se font échos, et notamment ceux qui désignent la vieillesse d’Avraham d’une part et celle du roi David d’autre part. C’est ainsi qu’il est écrit que l’un et l’autre étaient « Zaken, Ba Bayamim », vieux, avancés en jours.
Avraham comme le roi David étaient des leaders extraordinaires qui ont posé les fondements du monothéisme pour l’un, et affermi la royauté et l’unité d’Israël pour le second. Leur leadership s’est accompagné d’une foi intense, et ils ont raffiné leur Service divin dans des limites inconnues jusqu’alors, excellant chacun dans des domaines particuliers, notamment le ‘Hessed (la bonté) pour Avraham, et la Téchouva (le repentir) pour le roi David.
En dépit des difficultés et des grandes épreuves qu’ils connurent durant leur vie, leur foi ne chancela pas. Et à la fin de leur vie, Avraham tout comme David se chargèrent eux-mêmes de préparer leur succession et d’assurer la pérennité du travail spirituel et politique qu’ils avaient accomplis. Avraham bénit Its’hak et lui choisit une épouse digne de son élévation, tandis que David désigna Salomon comme successeur. Ils privilégièrent ainsi tous deux leurs jeunes fils au détriment des plus âgés, en raison de leurs qualités spirituelles.
Enfin, il est possible également de voir, dans la mise en perspective de ces deux textes, un éloge des épouses fidèles et vertueuses d’Avraham et de David, en l’occurrence Sarah et Batchéva. La première va rapidement exhorter son mari à mettre fin à l’influence délétère d’Ichmaël qui menaçait l’intégrité spirituelle de la famille d’Avraham, et Hachem demandera à ce dernier d’écouter la voix de sa femme qui ne se trompait pas. Quant à Batchéva, notre texte est explicite en soulignant sa détermination et son rôle capital pour amener le roi David à intervenir et préserver l’avenir spirituel des enfants, en confiant la royauté au « plus sage des hommes » : le roi Salomon.
L’écho de la Haftara
Nous pouvons voir dans notre texte une mise en garde adressée aux hommes qui seraient tentés de privilégier l’extériorité au détriment de l’intériorité, les apparences au détriment du travail sur soi, l’avoir au détriment de l’être.
Cette réflexion est un fil rouge qui parcourt notre texte, depuis son ouverture où l’on voit le roi David qui échoue à se réchauffer en dépit des couvertures et des vêtements qu’on lui apporte. Seule une nouvelle épouse réussira à lui apporter de la chaleur grâce à l’attention qu’elle lui témoigne, et aux soins dévoués qu’elle lui prodigue. Cette relation platonique à sa nouvelle femme vaut plus que toutes les couvertures extérieures pour le roi David, car elle lui apporte l’affection et l’amour propices au réchauffement de l’âme. Nous pouvons y voir également un conseil sur la manière dont on doit s’occuper d’un malade, en associant aux soins matériels extérieurs la tendresse et l’affection.
De même, Adonias croit pouvoir provoquer sa royauté en se parant des atours extérieurs du Roi : « Adonias, fils de ‘Haguit, laissait percer son ambition en disant : "C'est moi qui serai roi". Il se procura un char et des écuyers, se faisant précéder de cinquante coureurs », puis il organisa un banquet en son honneur : « Adonias fit égorger des pièces de menu et de gros bétail et des animaux engraissés, près de la pierre de Zohélet, qui est à côté d'En-Roghel ; il convia tous ses frères, les fils du roi, et tous les Judaïtes, serviteurs du roi. »
Aussi, Adonias souhaite-t-il fonder sa royauté sur un ensemble d’éléments extérieurs, il se donne l’allure d’un roi et organise lui-même la fête de son propre couronnement. Il pense pouvoir ainsi mettre son père et l’ensemble du peuple au pied du mur, les contraindre à se soumettre à un état de fait qui rendrait impossible tout retour en arrière. Néanmoins, il néglige une dimension fondamentale de la royauté telle qu’elle est perçue par le roi David : celle de la prédisposition spirituelle intérieure, de la sagesse et de la capacité à être un serviteur fidèle d’Hachem.
Or, ces qualités ne s’héritent pas, ne s’acquièrent pas avec de l’argent et ne suivent pas nécessairement l’ordre des naissances. De même que David fut désigné roi alors qu’il était le dernier fils de Yichaï, de même Salomon sera préféré à son grand frère Adonias car il était plus sage. La Torah ne prévoit pas d’automatisme dans la capacité à porter des qualités spirituelles. Elle ne se fonde pas sur des critères extérieurs mais scrute l’intériorité de chacun, l’authenticité de la relation à Hachem, et la capacité à s’améliorer et se raffiner en permanence. Certes, le « Yi’hous », la filiation, compte dans notre tradition, mais elle ne suffit pas, elle doit s’accompagner d’une démarche intérieure personnelle, seule garante de la stabilité et de la puissance de son engagement.
A l’activisme bruyant d’Adonias, fait écho la sagesse silencieuse de Salomon, et il était naturelle que cette dernière triomphe.
Aussi, la Torah doit-elle se vivre comme une distinction de l’esprit, de la volonté individuelle, et du travail personnel. Nul ne peut s’exonérer de ce travail, aussi bien né fut-il. Cette démarche est naturelle pour celui qui a conscience de son face-à-face avec Hachem et de l’exigence qui lui est demandée. En revanche, elle peut être négligée facilement par ceux qui privilégient l’extériorité au détriment du travail sur soi, et qui pondèrent davantage le regard des autres au regard sur soi.
Rendons la parole à David pour conclure : « Malheur à l’homme qui met sa confiance entre les mains des hommes ! Heureux soit l’homme qui place sa confiance entre les mains d’Hachem ! »