La Paracha Nasso évoque de nombreux principes restés célèbres dans la tradition juive, notamment le cas de la femme soupçonnée d’adultère, le statut des vœux formulés par un homme et notamment du vœu d’abstinence, ou encore la bénédiction des prêtres adressée au peuple. Tous ces éléments sont porteurs de nombreuses et profondes leçons de morale sur la manière dont l’homme doit conduire sa vie.
Cette Paracha poursuit également le dénombrement du peuple, et plus particulièrement de la tribu de Lévi. Dans un second temps, elle passe en revue les différentes offrandes apportées par les chefs de tribu. Ces énumérations font de cette Paracha une des plus longues de la Torah, et si elle peut sembler à première vue répétitive, elle n’en contient pas moins des versets essentiels porteurs de messages pouvant s’analyser à différents niveaux.
Prenons par exemple le verset suivant relatif aux offrandes apportées par les chefs de tribu (ch. 7, verset 20) : « Kaf a’hat assara zahav méléa kétoret » (une coupe unique de dix sicles, en or, pleine d’encens). Alors que ce verset peut sembler purement descriptif et technique, le commentaire de Rachi nous suggère une deuxième lecture :
Une coupe (Kaf) unique : Tout comme la Torah qui a été donnée de la main (Kaf) du Saint béni soit-Il.
De dix sicles, en or : Autant que le nombre de commandements.
Pleine d’encens (Kétoret) : La valeur numérique des lettres du mot Kétoret est de 613, à la condition de transformer le Kouf en Dalet, selon la séquence paradigmatique : at bach gar dak…
Ce verset apparemment descriptif et répété à de nombreuses reprises dans notre Paracha, semble donc être une allusion à la Torah et à ses commandements. À travers les offrandes qu’ils apportent, les chefs de tribus sont donc invités à ancrer dans leur cœur, même de manière allusive, l’importance de la Torah et de ses commandements, à travers une approche graduelle : la Torah est une, elle se déploie à travers les dix commandements énoncés par Hachem au mont Sinaï, et elle doit se vivre de manière concrète à travers les 613 commandements.
Cette deuxième lecture rappelle opportunément aux chefs de tribus, au moment où ils apportent leurs différentes offrandes, que ce service formel ne les exonère pas du service authentique recherché par Hachem : l’accomplissement de la Torah et des Mitsvot avec un cœur pur.
Les maîtres de la Torah vont chercher à pénétrer encore davantage le secret de ce verset. C’est le cas de Rabbi Méir de Prémishlan qui propose la lecture suivante : le terme « coupe » s’exprime en hébreu par le mot « Kaf ». Rabbi Méir observe que ce terme tire sa racine du mot « Kafouf » qui signifie plier/courber. Dès lors, ce maître du ‘hassidisme nous propose l’interprétation suivante : celui qui sait se courber devant la volonté divine (Kaf a’hat) en accomplissant la Torah à travers tous ses commandements verra D.ieu le couvrir de richesses matérielles et spirituelles (assara zahav, dix sicles en or), et il devient apprécié et respecté par tous les hommes (méléa kétoret, pleine d’encens), en « odeur de sainteté », comme le dit l’expression populaire.
Rabbi Méir de Prémishlan nous rappelle ici l’importance de la modestie et de l’humilité face à la Torah. Le premier mouvement qui doit animer l’homme, la première impulsion qui est susceptible de le rapprocher d’Hachem, réside dans l’acceptation de la volonté divine, et la mise entre parenthèses de la volonté et de la logique humaine. « Kaf ah’at », en premier lieu, apprends à te courber, à te mettre entre parenthèses.
Notre tradition nous met en garde contre l’orgueil qui mène l’homme sur le chemin de la faute, aussi bien vis-à-vis de D.ieu que vis-à-vis des hommes. Nos maîtres s’élèvent ainsi de manière très ferme contre cette faute majeure qui fait obstacle à l’accueil authentique de la parole divine, qui requiert un cœur pur étranger aux calculs personnels ou à la prétention de tout comprendre et de tout ramener à sa raison.
Au lendemain de Chavouot et de la réception de la Torah, nous trouvons donc un encouragement à travers ce verset à préserver un rapport authentique à la Torah et aux Mitsvot. Cette relation ne doit être dénaturée par aucun écueil qui peut naître dans le cœur de l’homme, ni par l’orgueil qu’il doit combattre de toutes ses forces, ni par l’illusion qu’un service formel suffit alors que ce qu’attend Hachem, c’est aussi, et peut-être avant tout, le service du coeur.
Puisse Hachem nous aider dans cette voie et nous permettre d’ouvrir notre esprit, notre cœur et notre volonté à un service authentique de D.ieu, afin de pouvoir l’accomplir très rapidement dans le Temple reconstruit !