« Et quand la nuée prolongeait [son séjour] sur le Tabernacle de nombreux jours, les enfants d’Israël gardaient la garde d’Hachem et ils ne voyageaient pas. Et parfois, la nuée était un nombre de jours sur le Tabernacle ; sur [ordre de] la bouche d’Hachem, ils campaient et sur [ordre de] la bouche d’Hachem, ils voyageaient. » (Bamidbar 9,19-20)
La Torah raconte que les voyages du peuple juif dépendaient du mouvement de la Nuée qui l’accompagnait. Le Ramban précise que les Juifs arrivaient parfois dans un endroit indésirable qu’ils auraient voulu quitter au plus vite, mais dans lequel ils devaient rester tant que la Nuée restait au-dessus du Tabernacle. Et parfois, ils arrivaient à un endroit agréable, ils étaient épuisés et y seraient volontiers restés longtemps, mais après deux ou trois jours seulement, la Nuée commençait à bouger et ils devaient poursuivre leur périple.
Le Ramban ajoute que parfois, ils arrivaient à un endroit où la Nuée s’arrêtait et ils déballaient toutes leurs affaires. Puis, le lendemain matin, le Nuage se déplaçait et ils devaient refaire leurs bagages et reprendre leur route. Imaginons l’inconfort et la difficulté que cela présentait ; quiconque a déjà voyagé en famille pour les vacances pourra en témoigner ! Ces voyages furent donc très éprouvants. Bien évidemment, Hachem n’avait pas pour objectif d’infliger inutilement Son peuple, alors quel était le but de ces dérangements ?
On pourrait répondre, tout simplement, qu’Hachem voulait montrer que même si l’on pense pouvoir organiser sa vie, Il a souvent des plans différents et nous devons soumettre nos projets à ceux d’Hachem. Il arrive que nous comprenions finalement leur sens, mais ce n’est pas toujours le cas et il est probable que tout au long de notre périple dans ce bas monde, nous ne comprenions pas les plans de D.ieu. Pourtant, il est de notre devoir d’agir avec foi et d’intérioriser le fait qu’Hachem sait ce qui nous convient le mieux.
Rav Dessler propose une approche différente qui met en avant les bénéfices de ces voyages imprévisibles. Il explique que durant cette époque de périples dans le désert, les Juifs reçurent et apprirent une grande partie de la Torah. Hachem voulait peut-être que nous en tirions la leçon suivante : nous devons étudier la Torah et accomplir les Mitsvot en dépit des conditions extérieures. Rav Frand développe cette idée :
« Nous disons souvent : "Si seulement nous avions un peu plus de temps libre" ou "Si seulement nous n’avions pas à nous soucier autant de notre gagne-pain... Si seulement nous n’avions pas à nous soucier de nos enfants… Nous aurions pu nous poser, étudier la Torah et prier comme nous devrions le faire, sans nous précipiter !" En tant que Rav dans une Yéchiva, je dois parfois réprimander un élève. J’entends souvent des excuses du genre : "Je suis préoccupé par mes devoirs ou par un Chiddoukh… Si seulement je n’avais pas ces soucis, je réussirais à étudier beaucoup mieux !" Mais la vie n’est pas comme cela ! La vie est toujours jonchée de zones de turbulences. Nous ne vivons pas dans le Jardin d’Eden. Nous rencontrons des problèmes financiers, nous rencontrons des problèmes familiaux, des problèmes d’éducation… Il y a toujours des problèmes ! »
Hillel exprime succinctement cette idée : « Et ne dis pas : "Quand j’aurai le temps, j’apprendrai, parce que tu n’auras peut-être pas le temps."[1] »
Nos Rabbanim, à travers les générations, surent se plonger dans l’étude malgré les périodes tumultueuses. La Yéchiva de Mir dut s’exiler à Shanghaï, loin de toute population juive. Les élèves étaient parfaitement conscients de la probabilité que leurs familles aient péri en Europe. Ils étaient sous le contrôle d’un gouvernement japonais hostile avec une menace de persécution planant au-dessus d’eux. L’hiver était glacial, l’été insupportablement humide. Et pourtant, le programme habituel s’est maintenu, les élèves ont continué à écrire des Livres et à étudier avec zèle. Le Roch Yéchiva, Rav ’Haïm Chmoulewitz gravit des échelons inimaginables dans l’étude, en dépit des événements. Durant leur voyage en direction d’Erets Israël, sur le bateau qui les y menait dans des conditions très inconfortables, on lui demanda : « Où sommes-nous ? » Sans sourciller, il répondit : « Chmatata Guimel ! » en référence au Chev Chmatata, un célèbre et profond ouvrage de Torah. Il était entièrement concentré sur la spiritualité et ignorait allègrement sa situation physique.
On raconte, par ailleurs, qu’il envoyait souvent son brillant fils, Rav Its’hak Zéev – appelé par la suite « le Rav de Brisk » – faire des courses. Lorsqu’on lui demanda pourquoi il envoyait son fils faire les courses, au lieu de le laisser étudier en paix, il répondit qu’il voulait l’habituer à étudier même lorsqu’il était superficiellement impliqué dans des activités non liées à la Torah.
La fête de Chavou'ot que nous venons de vivre nous apprend que la Torah pénètre tous les aspects de la vie et que l’étude de la Torah (qui est une Mitsva constante) doit nous accompagner partout, en toute circonstance.
[1] Avot 2,4.