Nous ouvrons cette semaine un nouveau livre de la Torah, le livre de Bamidbar, mot signifiant « dans le désert », bien qu’il soit désigné en français comme le livre des Nombres. En effet, il est vrai que nous assistons notamment dans notre Paracha à de multiples dénombrements du peuple.
Toutefois, ce qui intéresse la Torah, c’est davantage l’expérience que vont vivre les Bné Israël dans le désert où ils vont expérimenter pour la première fois la vie en société de manière autonome. Cette collectivité est à la fois le moyen de glorifier D.ieu et de Le servir avec un prestige et une force particulière, mais aussi le lieu de rivalités et de jalousies. Le livre que nous ouvrons cette semaine nous amènera à constater toutes ces facettes et bien d’autres.
Mentionnons également en préambule, toujours à propos du choix du terme de désert pour désigner notre livre, que ce lieu a une signification particulière dans la Torah. Il représente un lieu vierge et authentique, un espace qui a échappé à la volonté de conquête et d’appropriation de l’homme. Or, c’est précisément ce lieu qui est choisi par D.ieu pour donner lieu à l’éducation des Bné Israël, car il incarne l’état d’esprit idéal que doit cultiver l’homme pour accueillir la Torah et la faire résonner en lui. Il doit s’efforcer de développer l’humilité et une capacité à s’abstraire de ses calculs personnels afin de ne pas faire obstacle à la réception authentique des prescriptions de la Torah.
Ces premiers éléments semblent indiquer que le lieu dans lequel l’homme évolue n’est pas neutre, il influence ceux qui l’habitent et oriente leur ouverture spirituelle. Ce qui est vrai du désert et de l’expérience initiatique des Bné Israël à leur sortie d’Égypte est également vrai de tous les lieux que fréquentent les hommes et dans lesquels ils vivent au quotidien. L’espace est ainsi porteur d’une spiritualité, l’air qui le traverse a une odeur particulière et oriente les hommes dans des voies spécifiques.
Par exemple, notre tradition nous enseigne que l’air de la terre d’Israël rend sage. De même, la fréquentation des synagogues et des lieux d’étude transmet à ceux qui les fréquentent un sentiment d’apaisement et de bien-être. En revanche, certains lieux marqués par une grande emprise matérielle mettent mal à l’aise, diffusent un sentiment de pression, d’angoisse. Une coutume conseille ainsi à celui qui entre dans une nouvelle maison d’en repeindre les murs afin de rompre symboliquement avec l’esprit qui prévalait précédemment dans ce lieu.
Un des éléments essentiels de l’espace où l’homme fixe sa résidence repose sur la qualité du voisinage. Ce principe est abordé dans notre Paracha de manière symbolique à travers l’agencement des tribus dans le camp autour du tabernacle. Chaque tribu avait un emplacement spécifique à côté d’une autre tribu, et cette proximité géographique avait un impact spirituel, comme le souligne Rachi dans deux commentaires :
Les familles des fils de Kéhat camperont […] au sud : Et contigu leur était le drapeau de Réouven, qui campait également au sud. « Malheur au méchant, malheur à son voisin ! » C’est pourquoi ont été frappés parmi eux Dathan, Aviram et 250 hommes en même temps que Kora’h et son assemblée, dans la querelle desquels ils s’étaient laissé entraîner (Midrach Tan‘houma).
Moché et Aharon et sesfils : Et contigu leur était le drapeau du camp de Yéhouda, près duquel campaient Yissakhar et Zévouloun. « Bonheur au juste, bonheur à son voisin ! » (Midrach Tan‘houma). Du fait qu’ils étaient les voisins de Moché, lequel étudiait la Torah, ils sont devenus grands en Torah, comme il est écrit : « Yéhouda est mon législateur » (Téhilim 60, 9), « et les enfants de Yissakhar, experts en la connaissance des temps […] 200 chefs du Sanhédrin » (I Divré Hayamim 12, 33), « et de Zévouloun, ceux qui manient la plume du scribe » (Choftim 5, 14).
C’est ainsi que Rachi nous rappelle que l’homme subit les influences de son environnement dans le négatif comme dans le positif. Aussi doit-il s’efforcer de choisir avec soin son environnement et rechercher les voisins les plus porteurs « spirituellement », ceux qui sont susceptibles de l’orienter vers le bien, vers l’étude de la Torah et le raffinement des Midot. Leur fréquentation amène ainsi l’homme à s’élever et à chercher à les imiter.
Inversement, les mauvais voisins, D.ieu nous en préserve, peuvent avoir une influence délétère sur un homme en le nivelant par le bas, et en lui montrant des exemples de vie contraires au chemin de la Torah. Bien sûr, l’homme est toujours libre théoriquement de garder son indépendance et de ne pas suivre les mauvais exemples, mais il n’est pas toujours aisé pour soi comme pour sa famille de se sentir en rupture avec le milieu dans lequel nous vivons, et d’être perçu comme « marginal ».
Nos Sages mettent en garde ainsi les parents de ne pas placer leurs enfants face à des épreuves trop difficiles à surmonter. Particulièrement, un père ne doit pas conseiller à son fils des métiers qui peuvent l’amener à fréquenter des personnes éloignées du chemin de la Torah.
Pour conclure, revenons au désert qui représente la toile de fond dans laquelle vont se dérouler les prochaines sections de la Torah. Ce désert présente précisément l’intérêt de ne pas être coloré par un voisinage quelconque, il est vierge de toute influence extérieure. La seule influence à laquelle les Bné Israël sont invités à s’ouvrir est celle d’Hachem, le Voisin par excellence. A cet égard, il est significatif de noter que la Présence divine est désignée par le terme de « Chékhina », qui a pour origine la racine Chakhène/voisin. En effet, Hachem se trouve toujours près de l’homme, Il l’accompagne partout où il se trouve et l’enveloppe de Son amour, de Sa tendresse et de Sa sollicitude permanente.
En cette veille de Chavouot, puissions-nous, avec l’aide d’Hachem, avoir le mérite d’orienter nos vies vers une proximité permanente avec la Présence divine, grâce notamment à l’étude de la Torah et la pratique des Mitsvot. Mais aussi, en essayant de retrouver l’innocence des premières rencontres avec Hachem dans le désert, dans un lieu authentique où rien ne faisait obstacle au dialogue entre D.ieu et l’homme. C’est à la pureté de cette expérience originelle que D.ieu souhaite ramener l’homme lorsqu’Il s’exclame, dans notre Haftara, à travers le prophète Osée (2.16-17) : « C'est pourquoi Je veux le regagner, en le conduisant dans le désert, et là Je parlerai à son cœur. Là Je lui rendrai ses vignobles, et la Vallée du Malheur deviendra comme la Porte de l'Espérance ; il y entonnera [des chants] comme aux jours de sa jeunesse, comme au temps où il sortit du pays d'Egypte ».