Les rescapés de la Shoah ne pensaient pas qu’après s’être extraits de l’enfer, ils devraient encore se justifier auprès de ceux qui n’avaient pas connu le même destin. En effet, une idée répandue à l’époque consistait à considérer ces victimes comme des “brebis menées à l’abattoir”. “Comment les Allemands seraient-ils parvenus à éliminer des millions de Juifs si ces derniers avaient opposé de la résistance ?” Cette calomnie trouvera appui dans la révolte du ghetto de Varsovie, “preuve” selon certains qu’il était possible de se défendre. C’est ainsi que le jeune État d’Israël choisira comme jour de commémoration de la Shoah la date marquant ce soulèvement et l’appellera “Yom Hashoah Véhaguévoura” (jour de la tragédie et de la vaillance), réveillant là aussi l’indignation des rescapés des camps.
Ce ne sera que lors du procès d’Eichmann en 1961 que l’on commencera à comprendre la démarche diabolique qu’avaient conçue les nazis pour neutraliser toute opposition. Les témoins des camps de la mort, après avoir longtemps gardé le silence, commencèrent alors à parler. Beaucoup de livres biographiques de ces rescapés paraîtront et permettront aussi de mieux saisir l’horreur qui régnait dans les camps de concentration et de rétablir l’honneur des victimes.
Les Juifs laïques trouveront aussi dans cette période sombre de l’histoire juive un appui “solide” pour se débarrasser du joug des Mitsvot : “Où était D.ieu durant la Shoah ?”, “En quoi ce peuple est-il élu s’il se fait massacrer sans pitié ?”, “Est-ce là la récompense prévue pour les justes, écrasés sous les bottes des Allemands ?”, “Je ne veux plus désormais que l’on m’appelle Juif !”
Il est évident que ceux qui ont effectivement subi ces malheurs ne peuvent pas être jugés sur ce genre de réactions, comme nous l’enseignent nos Sages à propos de Job (Baba Batra 16b). Et pourtant, combien de témoignages nous sont-ils parvenus de ces Juifs qui avaient déjà perdu femme et enfants, travaillaient sous les coups des nazis, affaiblis et affamés, et qui pourtant se levaient tôt pour pouvoir mettre les Téfilin, se privaient de nourriture pour ne pas manger de pain à Pessa’h, allumaient les bougies de ‘Hanouka, priaient lors des Jours Redoutables, et tenaient à réciter le Chéma’ Israël avant de mourir ? Combien de Juifs et Juives mariés avec des Aryens regretteront-ils leur passé en réalisant l’indifférence et la lâcheté de leur conjoint lors de leur arrestation ?
L’un de ces rescapés, Sylvain Kaufmann, qui a connu Drancy, Auschwitz et la marche de la mort pour Dachau-Mühldorf, racontera dans son livre “Au-delà de l’enfer” sa terrible expérience durant les 3 années de son incarcération. Pourtant, on ressort de cette lecture revigorés dans sa Émouna. Comme nous le livrera son fils le Rav Moché Kaufmann (cf. “Les mémoires de Sylvain Kaufmann” sur le site Torah-Box), c’est justement dans les camps que son père se renforcera dans sa foi, en côtoyant des personnages remarquables tels que le Admour de Tsanz, et en trouvant dans la prière les forces morales nécessaires pour résister. Il refusera de dénoncer qui que ce soit même au prix de coups terribles qui ont failli lui coûter la vie, et n'hésitera pas à donner sa faible ration d’eau à un compagnon pour le sauver d’une mort certaine. Il sera heureux d’avoir survécu ne serait-ce que pour voir ses petits-enfants étudier la Torah à Bné-Brak !
S’il est important de se souvenir de la Shoah et de ce que nous ont fait les nazis, il est tout aussi primordial de nous inspirer des victimes qui ont souvent démontré un héroïsme inouï dans des situations qui ne s’y prêtaient pas.