Mon troisième bébé est visiblement impatient de venir au monde et, selon les médecins, il s'apprête à sortir de mon ventre d’un moment à l’autre. “C’est trop tôt”, pensais-je… mais je n’ai pas d’autre choix que d’accepter cette réalité qui s’impose à moi. Je dois me préparer à devenir maman alors que rien n’est prêt… ni à la maison, ni même dans ma tête.
Et voilà. Il est né. Un si petit corps et pourtant un si grand cri. Mon bébé était prêt à se battre sans même savoir ce qui l’attendait. La sage-femme l’embarque immédiatement, il doit être placé sous couveuse.
En l’espace de quelques minutes, il est de nouveau enfermé dans une poche, beaucoup moins humaine et chaleureuse cette fois-ci. Des tas de fils sont branchés à ce tout petit être sans défense qui ne comprend rien à ce qui lui arrive. On l’a arraché d’un univers confortable et rassurant pour le loger dans une boîte en plastique froide et pétrifiante.
Mon bébé est petit, mon bébé est fragile. Les semaines qu’il a voulu « économiser » en sortant plus vite étaient importantes. Certains membres de son tout petit corps n’ont pas eu le temps de se développer. Je passe de longues heures à côté de cette « boîte en plastique », je le contemple, je pleure, je prie, et surtout je réfléchis. Effectivement, lorsqu’on passe des journées entières au chevet de son bébé sous couveuse, notre esprit fonctionne à plein régime.
« Mon trésor, qu’est-ce que tu dois bien penser ? Tu n’as aucune notion du jour et de la nuit, l’équipe médicale entre et sort à n’importe quelle heure tout en criant les instructions et les consignes sur un ton constant et bruyant. Toi qui étais bercé dans un cocon obscur, tu te retrouves agressé par une lumière aveuglante. Je me surprends des fois à couvrir ta couveuse d’un de mes foulards pour que tu puisses connaître la sérénité d’une ambiance feutrée, mais très vite, on le retire, ce n’est pas conforme. Tu ne m’entends pas, tu ne me sens pas, toi qui avais l’habitude de vivre avec moi à l’unisson. Tu reçois tout ce dont ton corps a besoin, tu es nourri par sonde, tu reçois les traitements nécessaires, la chaleur de cette boîte est réglée à la température qu’il te faut, mais ton cœur, lui, réclame sa part. »
Je l’entends crier et s’époumoner :
« Maman où tu es ? Tu m’as amené jusqu’ici pour m’abandonner ? Maman reviens, j’ai peur sans toi !! Tu m’as dit qu’on serait heureux ensemble, que tu attendais avec impatience de me rencontrer, je suis là, et toi, où tu es ? Maman, c’est qui tous ces gens qui me piquent et me font mal toute la journée, dis-leur de partir, je ne veux plus souffrir. Tu avais l’air tellement heureuse lorsque j’étais dans ton ventre, tu chantais pour moi, je veux te réentendre chanter, je veux te voir danser maman. Je veux tout simplement rentrer à la maison avec toi. Je ne veux plus rester ici, ces méchantes personnes te disent tous les soirs qu’il est temps de partir et je reste seul toute la nuit. J’ai peur. Maman, je t’en prie, emmène-moi à la maison. »
« Tu ne me vois pas, tu ne m’entends même pas tellement le bruit des appareils est fort. Toutes ces machines aux noms savants couvrent ma voix qui essaye en vain de te rassurer. J’ai beau te dire que la vie dehors est autre, que le monde est coloré et parfumé, que bientôt tu connaîtras les fous rires avec tes deux sœurs qui attendent impatiemment ton retour à la maison, que nos câlins et nos étreintes remplaceront bientôt cette boîte en plastique si glaciale et rigide, que bientôt je te nourrirai d’un lait qui contient tellement d’amour. Mais je vois bien que tes petits yeux sont réticents, ils ne comprennent pas pourquoi moi ta maman qui disait tellement t’aimer, t’ai conduit dans un monde si effrayant. Je te dis les larmes aux yeux et le cœur serré que toutes ces souffrances que tu rencontres aujourd’hui, sont là pour ton bien et qu’elles t’épargneront de plus lourdes souffrances par la suite. »
Je comprends. Tu ne comprends pas. Je sais. Tu ignores.
Puis, ma réflexion ne s’est pas arrêtée là. Je me suis mise à penser que, dans un certain sens, je ressentais moi aussi les mêmes angoisses et les mêmes incompréhensions que mon bébé, à une échelle différente. En effet, c’est exactement ce que nous ressentons, nous, peuple d’Israël, aujourd’hui, alors que nous sommes privés du Beth Hamikdach, de la maison de D.ieu. Hachem nous a promis un monde de merveilles et nous vivons malheur après malheur. Nos yeux n’ont pas le temps de se sécher d’une peine à l’autre. Nous tentons de croire à un monde meilleur, nous voulons y croire, mais la dure réalité nous rattrape et nous désespère. Nous implorons, nous voulons que la Chékhina (Présence divine), la partie féminine du Créateur du monde ait pitié de nous et se dévoile, pour que nous puissions vivre un bonheur parfait. Nous pleurons notre supplication depuis ce tunnel obscur et effrayant qu’est la vie.
« Hachem, où es-Tu ? Dévoile-Toi, j’ai peur sans Toi à mes côtés. Tu m’as promis tellement de belles choses, où sont-elles ? Tous ces ennemis qui me font du mal, pourquoi Tu ne les fais pas partir ? Pourquoi Tu les laisses m’atteindre ? Hachem, Tu m’as parlé d’une maison chaleureuse et accueillante, pourquoi Tu ne m’y emmènes pas ? Ne me laisse pas dans cet endroit qui ne me plaît pas, qui me fait peur et surtout qui m’éloigne de Toi. Je T’en prie, emmène-moi à la maison ! »
Mais malgré la profonde tristesse que notre Père ressent en nous voyant ainsi, Lui sait que cette étape est indispensable et qu’elle a été orchestrée pour notre bien. Sans celle-ci, nous ne pourrons pas vivre pleinement l’étape de joie intense qui nous attend.
Aujourd’hui, ces mauvais moments sont derrière nous, mon bébé nous a rejoints à la maison, et il a enfin compris que tout ce que je lui avais promis lorsqu’il était dans mes entrailles était vrai, et que chaque journée passée au sein de sa famille est encore plus magnifique que ce qu’il avait imaginé.
Espérons à notre tour retirer le bandeau qui est sur nos yeux et puissions-nous voir très rapidement la Providence divine se dévoiler et la délivrance finale se hâter. Amen Véamen.