Que penseriez-vous d'un rabbin qui vous montre un verre d’eau vide et vous dit qu’il est plein ? Vous le prendriez probablement pour un fou ! Et pourtant, si vous décidez de ne pas tourner les talons mais de lui accorder du crédit, vous pourriez lui demander : “Comment se fait-il que vous me certifiiez que ce verre est plein alors que moi, je le vois vide ?”. Il vous rétorquerait : “Il est vide d’eau, mais il est plein d’air. Tout dépend comment on considère les choses...” Effectivement, vous n’auriez pas vu les choses comme cela, mais maintenant qu’il le dit, cela vous parait évident.
C’est un des messages que nous donne notre Paracha : nous devons avoir confiance dans les Sages de notre peuple, même lorsque ce qu’ils disent nous paraît difficile à croire. Il est écrit : “Ne t'écarte pas de ce qu'ils (les érudits) t'auront dit, ni à droite ni à gauche [1]”. Rachi commente de façon surprenante : “Même s’ils te présentent la droite comme étant la gauche et la gauche comme étant la droite” ! Comme c’est curieux ! Doit-on vraiment leur accorder notre confiance même lorsqu’on a l’impression qu’ils nous disent le contraire de la réalité ?
Cela nous rappelle le fameux épisode du four de Rabbi Eli’ézer et Rabbi Yehochou’a, rapporté dans le Talmud [2]. Dans une discussion à propos de la validité d’un four, Rabbi Yéhochou’a et la majorité des Sages soutiennent une opinion, tandis que Rabbi Eli’ézer en soutient une autre. Et si Rabbi Eli’ézer refuse d’accepter leur opinion, en dépit de la règle que l’on doit se plier à la majorité, c’est parce qu’il considère que son opinion est vraie ! Et il peut même le prouver ! Ainsi, Rabbi Eli’ézer s’efforce d’apporter des preuves de la véracité de son opinion jusqu’au point où on va carrément finir par entendre une voix céleste déclarer : “Rabbi Eli’ézer a raison !” [3].
Et que va-t-il se passer ? Dans le silence qui s’ensuit, Rabbi Yéhochou’a se lève et déclare haut et fort : “Lo Bachamayim Hi !” “Elle (la Torah) n’est pas dans les Cieux !”. Et à notre grand étonnement, la voix céleste n’est pas prise en compte ! On passe au vote et la loi est fixée comme… Rabbi Yéhochou’a ! La Torah n’est pas dans le Ciel, elle a été remise en possession des hommes, ou plus précisément des Sages de notre Torah.
Le Talmud n’a pas l’habitude de raconter des histoires pour leur piquant, mais pour nous enseigner une leçon importante sur la confiance. D.ieu a donné la Torah au peuple juif, cela signifie qu’Il a pris sa Torah et l’a placée entre les mains des Sages. Cela implique donc un “renoncement” de la part de D.ieu au profit des Sages. En effet, il faut bien comprendre une chose, c'est que si Hachem a DONNÉ la Torah, ça veut dire qu'elle n'est plus entre Ses mains et qu’Il l'a mise entre les mains des Sages d'Israël. Que cela signifie-t-il ? Cela signifie que la Torah, qui est la source de toute réalité, est issue de la bouche de nos Sages, et non pas de la bouche de D.ieu. Et que Hachem Lui-même Se plie à leurs décisions parce qu’Il leur a remis la Torah. Il en a fait don aux hommes. Elle n’est pas dans le Ciel : elle est dans la bouche de nos Sages. Comme le dit le No’am Elimélèkh : “Hachem accomplit le décret du Juste.” [4]
Comment une telle chose est possible ? Que D.ieu confie à des êtres humains la responsabilité d’exprimer la voix de la Torah sur terre ? Pourquoi leur a-t-Il confié une telle responsabilité ? La raison est très profonde : afin que les Sages s’impliquent corps et âme dans la compréhension de la Torah pour être à la hauteur du rôle que D.ieu leur a confié ! En effet, les Talmidé ‘Hakhamim vont devoir peiner jour et nuit pour être à la hauteur de l’immense responsabilité que D.ieu leur a accordée, c’est-à-dire comprendre la Torah, l'intégrer pleinement et parvenir ainsi à trancher des décisions ! C’est la raison pour laquelle lorsqu’un Sage tranche, Hachem tranche automatiquement la même décision que lui. Mais cette “renonciation” de la part d’Hachem est nécessaire pour leur permettre de s’investir dans l’acquisition de la connaissance de la Torah. Et effectivement, cela fait 3500 ans que, jour et nuit, 365 jours par an, et partout dans le monde, se trouvent des Talmidé ‘Hakhamim qui étudient la Torah avec exaltation et engouement pour être à la hauteur de la tâche que D.ieu leur a confiée.
C’est un pari fou qu’Hachem a fait en confiant Sa Torah aux Sages d'Israël, mais la responsabilité que met Hachem en Ses Talmidé ‘Hakhamim est une condition sine qua non pour qu’ils s’impliquent pleinement dans l’acquisition de la Torah et donnent le meilleur d’eux-mêmes. De même, la confiance des parents en leurs enfants est une condition sine qua non pour que les enfants grandissent et deviennent des êtres autonomes, impliqués dans la prise de décisions face aux défis de la vie, donnant ainsi le meilleur d’eux-mêmes.
Mais tout comme Hachem Lui-Même est prêt à lâcher prise sur Sa Torah pour que les Talmidé ‘Hakhamim s’impliquent dans l’étude, de même, il faut que les parents acceptent de lâcher prise pour pouvoir permettre à leurs enfants d'acquérir leur autonomie. Le parent doit être capable de se mettre de côté pour laisser son enfant prendre de l’autonomie, faire des choix et vivre les conséquences de ses actes. Arrivé à un certain stade, l’enfant n’a plus besoin qu’on lui enseigne certaines choses, ni encore moins qu’on les fasse à sa place, mais il a besoin qu’on le laisse faire et vivre ces choses-là. Mais pour en arriver là, il faut que le parent accepte un certain lâcher-prise.
Par exemple, cela veut dire qu’on va laisser un enfant mettre la table, même s’il risque de casser un verre ou une assiette au passage, afin qu’il puisse apprendre par lui-même la gestion d’une maison. Cela veut dire aussi qu’on va laisser notre fille faire les courses, même au risque qu’elle choisisse des marques qu’on n’a pas l’habitude d’utiliser, ou, pire encore, qu’elle oublie des choses sur la liste, pour qu’elle apprenne à se responsabiliser. Cela signifie qu’arrivé à certain un stade, on ne fait plus à la place de l’enfant, on ne décide même plus pour lui, au profit de cadeaux formidables comme la maturité, la prise d’autonomie et le sens des responsabilités.
Ainsi, la prise d’autonomie qu’on va décider d’initier chez nos enfants, à l’image de celle que D.ieu a initiée chez les Sages, c’est ce qui va leur permettre de s’impliquer activement dans la prise de décisions. Mais si, même pour D.ieu Lui-même, cette confiance implique un lâcher-prise, de même, en tant que parents, nous devons accepter de lâcher prise pour permettre à nos enfants de grandir, de mûrir et de devenir pleinement des adultes impliqués dans leurs choix.
Si c’est un pari fou que D.ieu Lui-même a fait avec nous pour nous permettre de nous réaliser pleinement, alors à nous d’en faire autant avec nos enfants !
[1] : Devarim (17,11)
[2] : Baba Metsia 59b
[3] : “Halakha kemoto bekhol makom”
[4] : צדיק גוזר והשם יתברך מקיים