Vous êtes-vous déjà émus aux larmes devant une transaction bancaire ? Ou l’achat d’un bien immobilier ? Ça paraitrait bizarre, n’est-ce pas ?! Et pourtant, sachez que dès que vous vous émouvez lors d’un mariage, vous êtes en fait en train d’assister littéralement à une transaction ! Oui, vous n’avez pas rêvé, c’est bien ce que nous dit le Talmud [1], qui décrit le mariage comme un acte d’acquisition !
Regardons le texte de Béréchit de plus près : lorsqu’Hachem constate qu’il “n’est pas bon que l’homme soit seul”, Il décide alors de créer une partenaire pour Adam et c’est à ce moment-là qu’Il crée Eve. Il endort Adam, prend une partie de lui, et crée la femme à partir de cette partie. “Et Adam dit : Celle-ci, pour le coup, est un membre extrait de mes membres et une chair de ma chair” [2]. Et donc voici comment commence le premier mariage de l’histoire du monde : par un sentiment de fascination.
D'où vient cette fascination d’Adam vis-à-vis d’Eve ? Le Maharal [3] nous explique que cela vient de leurs différences ! Elle lui ressemble, mais, en même temps, il voit qu’elle est tellement différente de lui, et c’est cela qui le fascine… La femme est appelée dans la Torah une “aide qui s’oppose à lui”. Elle a été construite à partir de lui, mais c'est d’elle dont il a besoin pour se construire. Sans elle, il n'y a rien qui vienne le remettre en question pour le faire grandir et le faire progresser. Nous explique le Maharal : "Une femme, c’est une partenaire qui a exactement la même valeur et la même importance que son époux, et qui l'aidera en sachant s'opposer à lui."
En fait, lorsque nos opinions sont contestées, cela nous aide à grandir. Les différences et les désaccords dans le mariage, nous obligeant à relativiser notre subjectivité, sont de vrais exercices quotidiens pour parvenir à l'humilité. À l’inverse, si l'on n’accepte pas d'être remis en question à cause de notre ego mal placé, on ne pourra jamais progresser dans la vie et on ne fera que stagner et rester prisonniers de nos idées préconçues. Le Talmud nous parle de deux grands Sages, Rabbi Yo’hanan et Reich Lakich. Ils étaient beaux-frères, amis proches et partenaires d’étude. À la mort de Reich Lakich, Rabbi Yo’hanan pleura si profondément qu'il ne put être consolé. Il s’écria : "Havrouta Oumitouta” [4], “Sans mon partenaire d'étude, je ne peux pas continuer à vivre ! Quand je vous donne mon avis, vous me montrez de nombreuses preuves pour soutenir mon opinion, mais quand j'étudiais avec Reich Lakich, il venait contredire mon avis avec de solides arguments à l’appui !". Rien ne vaut de vivre, si ce n’est pour se raffiner, progresser et devenir quelqu’un de meilleur ! Mais on ne peut faire cela que si on a quelqu’un en face pour remettre en question nos idées figées, capable de nous dire “je pense que tu te trompes” !
Grâce à la femme, l’homme a une partenaire bienveillante et de confiance, qui pourrait comprendre sa nature et son psychisme, et lui dire quand elle pense qu’il fait erreur. Il est évident que l’idée n’est pas que l’homme ou la femme essayent à tout prix d’imposer leur point de vue à l’autre ou de réussir à déterminer “qui a raison ou qui a tort”. La confrontation d’idées doit se faire avec compréhension mutuelle et respect, afin de parvenir à déceler les étincelles de vérité contenues dans chacun des deux points de vue et réussir à parvenir ensemble à la vérité.
C’est pourquoi Rachi [5] nous dit que l’homme a besoin d’une épouse afin qu’il n’en vienne pas à se prendre finalement “pour D.ieu” ! Lorsqu’un être humain n’a pas d’altérité face à lui, il se croit autosuffisant, il pense qu’il connait tout sur tout et qu’il a toujours raison. À l’inverse, il faut également que la femme soit capable de montrer qu’elle a besoin de son mari pour progresser. C’est ce mouvement de va-et-vient qui va permettre aux époux de s’enrichir et de progresser ensemble.
Le Rav Chimchon Raphaël Hirsch va encore plus loin [6], en disant qu’il vaut mieux pour l’homme de choisir une femme assez différente de lui, et non pas une femme trop similaire, car leur mariage ne peut devenir un lieu où ils complètent leurs spécificités de l’un avec l’autre qu’à condition qu’ils n’aient pas trop de similitudes. S’il est vrai que "qui se ressemble s'assemble", il vaut mieux faire l’effort d’aller vers une personne différente et d’aller vers un “opposé qui nous attire”. À partir du moment où l'on a des objectifs et un projet de vie communs, alors il préconise de rechercher un caractère, non pas similaire mais complémentaire au nôtre, car c’est, selon lui, ce qui va nous permettre de nous ouvrir et de raffiner notre personnalité. Une femme énergique pour un homme calme, un homme déterminé pour une femme indécise, ou encore une femme spontanée pour un homme pondéré ! C’est en fait ce mélange des contraires qui va venir enrichir les personnalités des deux conjoints au cours de leur vie.
Enfin, le Maharal explique qu’il n’y a rien de plus puissant qu’un couple construit sur ce modèle. En effet, lorsque deux puissances opposées se joignent en une seule équipe, alors une force entièrement nouvelle émerge, une force beaucoup plus intense que l'une ou l'autre. À l’instar des pôles positifs et négatifs qui, lorsqu’ils sont réunis dans un circuit électrique, créent une incommensurable énergie, de même l’homme et la femme, lorsqu’ils opposent leurs forces, vont créer ensemble une toute nouvelle forme d'énergie lorsqu’ils savent jouer de leurs différences mutuelles. En fait, il ne s'agit plus seulement de tolérance et d'humilité, il s'agit d'utiliser les différences pour créer une équipe puissante et contribuer à améliorer le monde ensemble !
C’est de cette acquisition dont nous parle le Talmud. Eve représente la partie perdue d’Adam. Et, de même, chaque femme représente la partie perdue de son mari, qu’il va réintégrer à lui au moment du mariage. Le problème vient du fait que nous pensons que “acquérir” (Kinyan) signifie “posséder” ou “contrôler”. Mais il existe des acquisitions auxquelles la Torah fait référence qui n’ont rien à voir avec la possession et le contrôle. Par exemple, le Talmud nous parle de Kinyan Hatorah, l’acquisition de la Torah. Contrairement aux objets matériels, le lien qu’on entretient avec la Torah va venir compléter notre intériorité, tout comme l’épouse va également venir compléter l’intériorité de son époux. Cela requiert une responsabilité de la part de l’homme : la Torah, on doit l’aimer, la chérir, et prendre soin d’elle ; de même pour la femme, il se doit de l’aimer, la chérir, et prendre soin d’elle, car elle est la partie de lui-même qui vient le bonifier.
En d’autres termes, le mariage n’a rien à voir avec une acquisition en tant que telle. Il s’agit de l’aboutissement d’un être incomplet venant rechercher la complétude avec son alter ego.
Par conséquent, rien d’étonnant à ce que les cérémonies de mariage nous émeuvent aux larmes… Et souhaitons que cela continue toujours ainsi !
[1] Kiddouchin 2a
[2] Béréchit 2,18
[3] Maharal sur Béréchit (2,18)
[4] Talmud Ta’anit 23a
[5] Rachi sur Béréchit (2, 23). Pour qu’on ne dise pas qu’il y a deux autorités : le Saint béni soit-Il en-haut, seul et sans compagnon, et l’homme ici-bas, seul et sans compagnon.
[6] Rav C. R. Hirsch sur Béréchit (2, 24)