Benjamin et moi sommes dans le taxi de l’aéroport, et nous voilà pris en train de sourire en regardant nos photos de vacances à Cuba.
Après l’épisode de la paella aux lardons au restaurant de l’hôtel, puis la rencontre émouvante avec M. et Mme Perez (cf. épisode 16), nous avons pris la décision de manger strictement Cachère. Sauf que nous étions dans un hôtel pension complète, à Cuba, où il n’y a aucun restaurant Cachère, ni aucune épicerie Cachère… Du coup, pendant toute la semaine de vacances, nous avons dû être très inventifs : nous avons pic-niqué, nous avons fait des feux de bois au bord de la plage, des grillades de poissons que nous avions pêchés dans la mer... Qu’est-ce qu’on a ri !
Le plus drôle ce fut lorsque nous avons été trempé notre vaisselle dans la mer - à défaut d’un Mikvé. Les gens nous regardaient de façon totalement incrédule en se demandant bien ce que ce jeune couple faisait avec des casseroles, des assiettes et des couteaux dans la mer. Nous voilà dans la gadoue, les habits remontés, et quand même trempés, à essayer de faire en sorte que toute la vaisselle soit immergée d’un seule coup, sans la faire tomber. J’avoue que nous avons perdu quelques petites cuillères au passage, mais cela valait bien les fous rires que nous avions ensemble ce jour-là.
Finalement, nos repas tous les deux sur la plage avec le feu de bois étaient bien plus romantiques et agréables que ceux que nous aurions eus à l’hôtel.
Les paroles de ‘Hanna résonnaient dans ma tête :
“La société nous pousse à croire que pour être heureux il faut consommer, aller au restaurant, voir des films, des spectacles... C’est un leurre de croire cela ! Le bonheur véritable est dans le couple. Et si l’on s’entend bien, nous n’avons pas besoin de tous ces divertissements : ça reste un petit agrément, mais sans plus.
Notre bonne entente, nos joies, nos discussions, nos débats et nos fous rires… c’est ça ce qui nous rend véritablement heureux. Et si nous sommes heureux dans notre couple, alors nous sommes remplis de l’intérieur, et tout ce que le monde va nous proposer nous paraîtra dérisoire…”
Notre expérience ne pouvait que confirmer ces propos : ces moments uniques et précieux que nous avons vécus ensemble, aucun spectacle aussi beau fût-il, aucun restaurant aussi gastronomique fût-il, n’aurait pu nous les offrir…
Dans le taxi, Benjamin me dit : “Emma, je vois que tu bailles, tu dois être fatiguée par le voyage ma chérie… et aussi, je viens de penser que l’on doit faire des courses, car il ne reste plus grand-chose à la maison. J’ai une idée : je vais faire des courses à l’épicerie Cachère pendant que toi, tu reprends un peu de forces. Tu as besoin de te remettre de ce long voyage.”
J’arrive donc à la maison et après avoir défait nos valises, je vais m’allonger comme prévu. Finalement, j’avoue avoir du mal à m’endormir, car j’ai assez faim et, effectivement, les placards sont vides.
J’attends patiemment Benjamin comme prévu qui doit ramener de quoi cuisiner.
Au bout de deux heures, je commence à tourner en rond ! Il ne répond même pas au téléphone et moi je suis tiraillée par la faim. J’ouvre le frigo et les placards, mais toujours rien à se mettre sous la dent. Au bout de deux heures, Benjamin revient tout fier de lui… “Voilà, dit-il tout sourire, c’était laborieux, mais j’ai fait les courses ! J’ai approvisionné toute la maison !”
Je prends les paquets et là… Quelle ne fut pas ma surprise !
J’ouvre les sacs un à un et voilà les denrées que je découvre : des chips, des chewing-gums bazooka, des bambas, des bonbons Haribo (à la gélatine Cachère bien sûr), du ketchup, des pop-corns, des cornichons, de la glace aux smarties, des fausses crevettes surgelées, des Matsot (“Mon D.ieu, pourquoi des Matsot ! Pessa’h est dans 6 mois…”), et des nouilles lyophilisées avec une écriture en mi-hébreu mi-chinois...
Et là, j’ouvre le dernier sac, et c’est la cerise sur le gâteau : je vois 6 pots verts tout huileux.
- Mais qu’est-ce que c’est ?, demandais-je avec un air horrifié.
- De la pkaila. 100% pure huile d’olive !, me répondit-il.
- Et c’est tout ?
- Comment ça, c’est tout ?
- Tu n’as pas pensé à prendre de vrais aliments ?
- Comment ça de vrais aliments? Je n’ai pas acheté des aliments en pâte à modeler !
- Des vrais aliments, je veux dire des pâtes, du riz, du poisson, du fromage, des escalopes de poulet, du pain…Qu’est-ce qu’on va bien manger ce soir ??? J’ai FAIM.
- On peut manger par exemple des chips au ketchup ! Sinon, j’ai pensé euh… justement que tu pourrais peut-être faire une pkaila ??
- Faire une pkaila ce soir ? Après 9 heures de voyage ?? Mais sur quelle planète vis-tu ? La planète Terre ou la planète la Goulette ??
- Désolé d’avoir cru bien faire… je voulais juste te faire plaisir en allant faire les courses… Ne t’en fais pas, je n’y retournerai plus, tu pourras y aller toute seule et acheter exactement ce dont tu as besoin.
- Oui, merci, tu as compris où je voulais en venir…
En fait, non, ça n’était pas du tout là où je voulais en venir. Pourquoi je me sens comme prise au piège par la tournure des choses ?
Tout d’un coup, je me souviens d’un dialogue que j’avais eu avec ‘Hanna lors de notre préparation au mariage.
- Tu veux faire de ton mari un égoïste ?
- Mais quelle idée ! Pourquoi voudrais-tu que j’en fasse un égoïste ? Quelle femme ferait ça ?
- C’est très simple, et sache que c’est l’erreur de nombre de femmes. Sache que si tu ne dis pas merci, ton mari ne sera plus motivé à prendre des initiatives pour t’aider et, petit à petit, tu vas te retrouver à tout faire toute seule. Tu finiras par être épuisée, et le pire c’est que tu vas finir par le traiter d’égoïste ! Si tu reconnais et valorises ce que ton mari fait, cela le motivera à en faire plus. Apprécier les petites actions, même les plus maladroites, est la clef pour l’encourager à toujours contribuer.
Tu sais Emma, je me souviens lorsque j’étais jeune mariée, mon mari a voulu m’aider en cuisine. Il a fait deux oeufs au plat qu’il a tellement laissé longtemps sur la poêle que le dessous était noir, le blanc était devenu gris, le jaune dur comme de la pierre et le tout avait un goût de charbon. “Mmmmmh… c’est délicieux, merci de m’avoir déchargée de faire la cuisine ce soir”, lui dis-je ! Il a tellement été touché par mes compliments qu’il a souvent eu envie de refaire la cuisine. Eh bien je peux t’assurer qu’aujourd’hui il sait mieux cuisiner que moi !
- Mais c’est de l’hypocrisie. Je me souviens m’être écriée.
- Ça n’est pas de l’hypocrisie, c’est de l’intelligence et du pragmatisme. Sache qu’à chaque fois que tu sauras te montrer encourageante et reconnaissante, tu seras la première à gagner.
Pourquoi je repense à ce dialogue ? Parce que je me souviens que sur le coup, j’étais un peu dubitative face aux propos de ‘Hanna. Et aujourd’hui, ils prennent vraiment sens pour moi !
Lorsque je ne dis pas merci, la première à perdre finalement, c’est moi. Un point c’est tout.
Peu importe le résultat, même si cela a donné quelque chose de maladroit, je dois reconnaître que les intentions de Benjamin étaient bonnes.
Et à moi de mettre en valeur ses belles intentions pour l’encourager à contribuer. Sinon, il n’osera plus rien faire et je finirai par lui en vouloir. CQFD...
Je retournais voir Benjamin dans la cuisine. Il m’attendait avec une assiette.
- Tiens, tu m’as dit que tu avais faim, alors je t’ai fait des nouilles lyophilisées avec des fausses crevettes et des cornichons, le tout agrémenté de chips au ketchup… j’espère que tu vas aimer.
- Mmmmmmmh… ça a l’air délicieux ! (Je mimais à la perfection la réplique de ‘Hanna !) A part ca, tu sais que les bazookas sont mes chewing-gums préférés ? Donc vraiment, merci d’en avoir acheté.
- Ah bon ? Si j’avais su j’aurais pris 5 paquets !
- Je suis désolée d’avoir eu une réaction un peu brutale en t'accueillant. Cela m’a vraiment touché ta proposition d’aller faire les courses pendant que je me repose. D’ailleurs, la prochaine fois, je te donnerai une liste, comme ça je ne pourrai pas être déçue. Et, à part la liste, tu pourras rajouter autant de bonbons et chips que tu veux !
- Tant que cela t’aide et que cela te fait plaisir… it’s my pleasure !
Je goûtais le plats de nouilles industrielles agrémentées de toutes sortes d’aliments un peu bizarres, et je dois avouer que cela avait un goût particulier…
Devinez lequel ? Le goût... de l’amour !
Décidément, le plus grand bonheur du monde, ça n’est sûrement pas un restaurant gastronomique qui va nous l’offrir… mais c’est bien l’amour que l’on partage à deux.