Comme vous pouvez vous l’imaginer, je reçois d’innombrables e-mails de toutes les parties du globe. Tragiquement, nous vivons dans un monde chaotique dans lequel la violence et les turbulences règnent, pas uniquement sur des champs de bataille éloignés, mais dans nos rues, et oui, même dans nos maisons. Malheureusement, les problèmes ne manquent pas… la douleur et les souffrances abondent. Que faire ? Comment naviguer dans ces eaux turbulentes ? Telles sont les questions de notre génération.
De temps en temps, je reçois un e-mail tellement ridicule que, si je ne le voyais pas sur mon propre ordinateur, je dirais qu’il est fictif, une plaisanterie. C’est le cas de la lettre que je vous présente, reçue par e-mail. Merci de la lire, car je suis curieuse de savoir ce que vous en pensez. Je pense qu’un grand nombre d’entre vous estimera que cette lettre est fabriquée de toutes pièces, par quelqu’un voulant faire une blague.
Néanmoins, bien que ce fût ma réaction initiale, j’enquêtai et découvris que la lettre était authentique. Je demandai à leurs auteurs la permission de la publier, et ils acceptèrent volontiers. La voici :
Chère Rabbanite Jungreis,
Je suis si confuse et troublée. Je dois me marier dans deux semaines. Il y a deux mois, mon père annonça qu’il devait se rendre à Paris pour une affaire très importante. Ma mère a aimé l’idée d’aller à Paris et a décidé de se joindre à lui. Bien que nous n’ayons pas fini nos courses en vue du mariage, ayant eu du mal à trouver une robe de mariée, et sans parvenir à nous décider sur un modèle, nous choisîmes au moins un certain designer. « Tout ce que tu choisiras ici, m’assura ma mère, sera fantastique. » Quant à ma mère, elle décida d’acheter sa robe à Paris. « Que pourrais-je trouver de mieux ? », dit-elle sur un ton assuré.
Au retour de mes parents, ma mère lança un regard à ma robe et la trouva moche ! « Comment as-tu choisi celle-là ? A quoi as-tu pensé ? » J’avais déjà payé presque toute la somme - une somme énorme, et ils refusèrent de me rembourser. Nous sommes à présent à deux semaines du mariage, et je doute qu’ils puissent avoir une nouvelle robe prête d’ici là. Je suis triste… je n’arrête pas de pleurer. J’ai des cauchemars, je crains d’avoir l’air ridicule à mon propre mariage ! Comme je vous l’ai dit, ma mère a acheté sa robe à Paris, et franchement, elle est de mauvais goût, je suis embarrassée. Ma mère et moi nous sommes disputées. Nous ne cessons de nous accuser l’une l’autre - alors que faire ? Merci de répondre aussi vite que possible, soit par e-mail ou mieux encore, par téléphone !
Bien à vous,
Une jeune femme paniquée
Alors, mes chers lecteurs, pensez-vous que cette lettre soit réelle ou fabriquée de toute pièces ? Pour être totalement honnête avec vous, je l’ai complètement inventée ! Alors, pourquoi ? Parfois, dans le but de communiquer une idée, il faut une illustration graphique. Nous, vous et moi, sommes la Kalla et la famille. Le jour le plus beau de votre vie, le jour du mariage, approche à grands pas, et pour notre malheur, nous ne sommes pas prêts. Vous et moi, la Kalla, sommes allés chez un couturier pour une robe spécialement design. Nous avons dépensé une petite fortune pour découvrir que nous ne pourrons pas porter les costumes que nous avons achetés et pour lesquels nous avons investi tant d’argent, de temps et d’énergie en vain. A la fin de la journée, D.ieu préserve, nous serons comme des Schnorrers, des mendiants implorant d’entrer dans la grande salle de mariage. Nous, les enfants du vingt et unième siècle, sommes victimes d’une obsession de l’argent. Notre idole est la dernière mode et nos regards sont tournés vers Paris, Milan et Madison Avenue pour nous guider. Ils nous renseignent sur les tenues les plus séduisantes et les plus exquises, et nous les suivons aveuglément, et acceptons leur jugement comme la vérité ultime. Nous allons découvrir trop tard, que D.ieu préserve, que ce pour quoi nous nous sommes sacrifiés et avons dédié notre vie, est une perte abominable, le mariage approche à grands pas, et nous ne sommes absolument pas prêts. Nous nous battons, crions et trouvons des boucs-émissaires. Qui est responsable de cet horrible fiasco ? Qui a été le cerveau de cette vie vide et perverse ? Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai choisi de relater cette histoire ?
La réponse est douloureusement simple. Nous sommes au milieu des trois semaines qui signalent la destruction de notre sainte ville de Jérusalem, qui a culminé par la tragédie de Ticha’ Béav, le 9 Av, lorsque notre saint Temple a été mis en flammes et réduit en fumée.
Le Talmud nous enseigne que lorsque le grand sage, Rabbi Akiva, a vu cette innommable catastrophe, le Mont du Temple rasé avec des animaux sauvages errant sur le site sacré, il a souri et nous a réconfortés : « Cette prophétie de destruction passera, et nous pourrons assister à la réalisation de la prophétie de la rédemption et de la renaissance. Le Messie viendra et le Temple brillera encore dans toute sa splendeur et sa majesté, illuminant le monde entier par la Parole d’Hachem. »
De nombreux siècles se sont écoulés depuis ce jour-là. Nous avons traversé des tortures indicibles. Notre sang a coulé librement sur la face de la terre, et remarquez, ce n’est pas seulement l’épée et le feu qui nous a consumés, mais l’assimilation a aussi montré son impact et avalé nos enfants dans le melting-pot des nations. Et nous sommes dorénavant entrés dans une époque de l’histoire, les « Ikvé Démachi’hé », lorsque les pas du Messie deviennent audibles, si nous savons les écouter. Bientôt, nous allons assister à ce « grand mariage », et, tout comme dans mon histoire fictive, nous serons mortifiés - nos habits ne seront absolument pas appropriés. Marquons une pause et demandons-nous comment nous nous sentirons à ce mariage en rencontrant les Patriarches et matriarches, nos grands-pères et grands-mères - comment allons-nous nous tenir devant notre Roi, notre Père céleste ? Dirons-nous que nous devons nous occuper de nos sociétés, que nous cherchons de la haute couture et que nous avons totalement oublié le code vestimentaire ? De telles rationalisations seront-elles acceptées ? Vont-elles prendre notre défense ? Comment allons-nous tout expliquer ?
Nous avons perdu notre argent, notre énergie, nos années, notre vie même. Nous nous sommes laissés aller à employer un langage méprisable ; nous nous sommes disputés pour des broutilles, nous avons blessé et détruit nos proches. Chaque matin, alors que nous sommes sur le point de conclure la prière du matin, nous prononçons cette prière poignante et bouleversante : « Chélo Néga Lérek Véchélo Nélèd Labéhéla », nous implorons D.ieu de nous aider pour n’avoir pas œuvré en vain et être nés pour rien…
Hélas, la vaste majorité de notre peuple ne prononce jamais ces termes. Ils ne savent pas qu’ils existent, et ceux parmi nous qui prient, les prononcent certainement machinalement et ne réfléchissent pas à son sens profond. Mais le temps passe sans répit, le mariage approche vite. Demandons-nous : « Sommes-nous prêts ? Avons-nous la tenue appropriée, ou allons-nous, que D.ieu préserve, apparaître ridicules ? ».
Chaque veille de Chabbath, alors que nous accueillons la Reine du Chabbath, nous chantons un cantique d’amour dans lequel on nous demande de « vous renouveler, de secouer votre poussière, et de revêtir vos habits de prêtrise ». Alors, nous allons encore faire des courses pour ces vêtements de prêtrise… ne perdons pas notre temps. D.ieu préserve, nous ne pouvons être embarrassés en ce jour immense et imposant.
Il y a de très nombreuses années, lorsque le concept de Kirouv était inconnu, lorsqu’il n’était qu’un produit de mon imagination, un rêve que j’espérais atteindre, un rêve qui verrait notre peuple rassemblé au Madison Square Garden pour un grand réveil spirituel, oui, c’était un rêve, mais j’étais déterminée qu’il se réalise ; dans mon cœur et mon esprit, je savais que, tout d’abord, je devais obtenir, avant tout, les Brakhot de grands sages de la Torah. Je demandai à mon révéré père, le Rav et Gaon Avraham Halévi Jungreis, de me conduire chez des géants en Torah pour être armée de leurs bénédictions. Nous nous rendîmes chez Rav Moché et de nombreux autres géants spirituels. Grâce à D.ieu, ils m’accordèrent tous leurs bénédictions et je me sentis fortifiée.
Je vous raconte tout cela pour évoquer notre visite chez le Zakèn Hador, le Rav et Gaon Henken zatsal. Il était très malade, aveugle des deux yeux et relié à différents appareils.
Mon père l’informa de ma mission et il me donna sa Brakha, et nous communiqua un message important qui parle à chacun d’entre nous. Il parla en Yiddish et montra ses yeux : « Tzvei shtick fleisch... deux morceaux de chair. Men darf lernen vee lang dee tzvei shtik fleisch kenen noch zayen... Nous devons étudier la Torah tant que ces deux morceaux de chair peuvent encore voir, mon enfant, dites cela à tous les Juifs », conclut-il.
Puis, il s’assit à table avec mon père. De ses yeux aveugles, il chercha un livre, l’ouvrit et commença à étudier. Je n’oublierai jamais cette scène imposante… deux géants en Torah étudiant la parole de D.ieu, l’un avec des yeux aveugles, mais des yeux qui pouvaient toujours voir… de façon incroyable, ces deux morceaux de chair pouvaient non seulement voir et percer l’obscurité la plus dense par des paroles de Torah, des termes qui donnent non seulement la vue, mais aussi la vision.
Ne devons-nous pas intégrer cette leçon et aller « faire des courses » ? Secouer notre poussière ? Revêtir nos habits de prêtre ? Et nous préparer à ce jour imposant lorsque Ticha’ Béav deviendra une célébration joyeuse, lorsque le mariage des mariages aura lieu…
Puissions-nous assister à ce jour - notre Guéoula - notre rédemption totale, rapidement et de nos jours, et puissions-nous tous nous tenir debout, dans nos vêtements de prêtrise.