Mis à part nos grands-parents, nous avons souvent eu du mal à nous rapprocher des personnes âgées et ce pour différentes raisons.
Lorsque nous étions plus petits, nous allions visiter les personnes âgées pour réaliser la Mitsva de Bikour ‘Holim mais souvent par obligation, souvent poussés par nos parents, nos enseignants ou autre. Et pourquoi si facilement, nous associons le mot vieillesse à Bikour ‘Holim, "visite des malades" ?
Il y a maintenant plus de quatre ans de cela, j’ai intégré la Maison de retraite de la Fondation Rothschild en tant qu’officiant et très vite j’ai dû me faire à ce nouveau cadre.
D’une synagogue jeune et dynamique je me retrouve à diriger les offices de la synagogue de la Fondation, en large partie fréquentée par les pensionnaires de celle-ci.
Il ne faut pas se le cacher, ma première réaction a été la crainte… La crainte de ne pas être capable de leur parler, la crainte de devoir les aider tout le temps dans leurs quotidiens, dans les moments où je suis présent etc...
J’ai pu m’apercevoir que le cheminement de la vie était vraiment bizarre. Voir des personnes âgées avoir une couche, devoir être aidés dans tous leurs besoins quotidiens, avoir un déambulateur pour se déplacer etc..., c’est assez poignant. Car on a réellement l’impression d’avoir devant nous ce chemin de la vie, fait d’une courbe montante puis descendante, en retrouvant ces mêmes images que nous voyons pour un bébé.
Mais mon relationnel avec eux a été très différent de celui que je pensais et ce, très rapidement.
A la Fondation Rothschild, l’officiant et le Rabbin n’ont pas comme seul tâche de diriger les offices. En plus de ceux-ci, à chaque Shabbat et fêtes, nous faisons le Kidouch à l’ensemble des pensionnaires dans le grand réfectoire puis dans l’ensemble des étages, en leur servant ensuite un peu de ce vin.
Dès mes premiers contacts, lors du 1er Kidouch fait pour eux, ils ont été très heureux et moi-même j’ai été agréablement surpris. Ils avaient la visite d’une nouvelle personne, jeune et ont cherché à savoir ce que je faisais ici et m’ont remercié d’être là et de donner de mon temps pour eux. Lorsque l’on voit des personnes de leur âge avec ce sourire et la larme à l’oeil qui nous remercient en nous disant " ça me rappelle quand j’étais plus jeune, mon père faisait cette prière ", nous comprenons notre rôle à notre âge.
Dès lors, je me suis dit qu’en réalité, il ne fallait en aucun cas leur porter un regard de peine, mais plutôt leur apporter tout mon dynamisme et des sourires.
En discutant avec eux, nous avons nous-mêmes la possibilité d’apprendre énormément de choses. Combien de fois suis-je allé voir mes grands-parents et parents pour savoir si le souvenir de jeunesse que m’avait évoqué l’un des résidents leur rappelait quelque chose.
Plusieurs d’entre eux ont eu un rapport très proche avec la Shoah et de pouvoir discuter avec eux nous apprend beaucoup plus qu’un manuel d’histoire.
De même, quand nous discutons avec une personne ayant les mêmes origines que nous, tunisiens, marocains, algériens, etc.. ils nous apprennent énormément sur notre patrimoine, sur notre passé, sur nos coutumes.
Pour ma part, je prends toujours énormément de plaisir à parler avec eux, de leur rappeler à mon tour les souvenirs de certaines fêtes, comme le Msoki de Pessah, comme des plats typiques du Shabbat… Tout ce qu’ils n’ont malheureusement plus en étant dans une maison de retraite, certes Casher, et qui leur rappellent leur jeunesse
Je n’ai jamais voulu leur parler avec une once de peine ou de chagrin dans ma voix, mais plutôt toujours là pour plaisanter avec eux, les taquiner. Ca leur permet d’oublier le cadre dans lequel ils sont et de les faire sourire. Pour moi-même c’est quelque chose de très important.
Mais je remarque encore plus à quel point pour eux, la jeunesse est nécessaire, lorsque je viens avec mes enfants pour les visiter, leur servir le Kidouch... Lorsqu’ils voient ces petits enfants en train de courir, de leur sourire, de m’aider à les servir, ça leur donne énormément de baume au coeur.
Depuis que je suis arrivé dans la Fondation Rothschild, il m’est arrivé à de nombreuses reprises de me demander "qui serai-je à leur âge" ? Celui qui est encore capable à 90 ans de courir tous les matins autour de la Fondation ?
Celui qui est en train de perdre la mémoire ? Celui qui a besoin d’un déambulateur ou d’une chaise roulante ?
Il n’empêche que mise à part ces questions, toutes ces personnes, quelles qu’elles sont, pourraient être nos grands-parents.
Ils ont toujours le mot pour nous faire sourire, pour nous remercier de nos actes et à nous de le leur rendre par notre aide, en les amenant à l’endroit voulu, en nous asseyant pour discuter avec eux ne serait-ce que 5 minutes, de présenter les membres de nos familles etc...
Toutes les craintes que j’avais au début se sont dissipées et ont au contraire laissé place à une joie de venir les voir, car on se dit qu’un jour ce sera notre tour.
Cependant, ce qui restera toujours le point le plus difficile, c’est le bout du chemin de la vieillesse… Lorsque pendant des années, nous côtoyons quotidiennement ces personnes, et qu’un jour l’un d’entre eux quitte ce monde, c’est toujours assez difficile à supporter.
Quand en seulement quelques jours nous ne les voyons plus car ne pouvant plus sortir de leur chambre et se déplacer et qu’assez rapidement ils partent…
Les semaines qui suivent nous voyons ces places vides dans la synagogue ou dans le réfectoire et qui quelques semaines après sont occupées par de nouvelles personnes.
Cela nous fait comprendre ce que nous sommes sur cette terre et qu’en réalité nous ne sommes que de passage.
Par moment, il m’est arrivé de me demander si je devais m’attacher ou être capable de prendre du recul par rapport à ma relation vis-à-vis d’eux. Mais en fin de compte, je préfère la sincérité et ne mettre aucune distance, en apprenant par la suite à tirer les différents enseignements que ces personnes ont pu me transmettre de par leur expérience de la vie.
Souvent à mon âge, 30 ans, on considère la vieillesse comme une "maladie". Car nous ne savons pas comment nous serons, comment nous supporterons cette maladie.
Mais chaque jour, nous prions pour continuer à vivre longtemps et être à notre tour atteint de cette «maladie» qui en fait n’en est pas une.
C’est simplement les étapes par lesquelles nous devons passer et se dire qu’arriver à cet âge là, les jeunes de notre entourage puissent nous apporter tout leur dynamisme pour avoir une vieillesse des plus simples et apaisée.
Yonni CHEMLA (Paris)