Nous vivons dans une société extraordinaire, à une époque formidable, où les occasions de grandir sont innombrables. Contrairement à nos aïeux, nous n’avons pas besoin de braver l’inquisition ou les pogroms pour exprimer notre amour à D.ieu. Il nous suffit de révéler les « petits » défis de notre temps. Le choix entre être et avoir est l’un d’eux. La Paracha de Vayichla'h nous raconte les retrouvailles de Yaacov et Essav. Après plus de quatorze ans de séparation, les deux frères se retrouvent enfin. Yaacov prépara longuement ce moment. Il organisa sa famille en plusieurs camps. Il envoya des cadeaux à Essav. Et il pria afin qu’Hachem le sauve des mains de son frère, des mains d’Essav. Rabbi Yossef Dov Halevi Soloveitchik, l’auteur du Beth haLevi, explique que Yaacov redoutait tant la fraternité d’Essav que son hostilité. Car une proximité avec Essav n’est pas sans risque. Elle suppose un partage des valeurs pour ne pas dire un véritable fourvoiement. Yaacov connaissait bien Essav et le danger spirituel qu’il représentait pour lui et sa famille. Il pria donc afin qu’Hachem le préserve tant de son glaive que de sa main. La Paracha relate ensuite l’un des moments les plus épiques de la Torah : le combat entre l’ange d’Essav et Yaacov. Cette lutte profondément spirituelle marqua Yaacov dans sa chair et dans ces générations. Selon le Zohar, elle est un présage de notre exil. Nous luttons cette même lutte dans exil d’Edom. Cette dernière, à l’instar de celle de Yaacov, cessera au petit matin avec la venue du Machiah’.
Mais quel est donc le déclencheur de ce combat ? Pourquoi l’ange d’Essav s’en est-il pris à Yaacov ?
Rabbi Salomon Éphraïm de Luntschitz, l’auteur du Keli Yakar, explique comment Yaacov a créé une brèche qui l’a rendu vulnérable. En effet, le Yetser Hara est comparable à une mouche. Il ne crée pas les failles, mais les exploite. Lorsque Yaacov est retourné chercher ses fioles, il engendra une fissure dans son être. Il se montra « cupide ». Il s’exposa ainsi au mal. Le Keli Yakar souligne que ce soupçon de matérialisme fut le déclencheur de cette lutte. Yaacov en ressortit vainqueur, mais blessé. Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Quelle était donc la nature de cette lutte ? On peut répondre à cette question en analysant les paroles que Yaacov et Essav échangèrent lors de leurs retrouvailles. Essav dit : « J’en ai amplement etc. » Yaacov répondit : « Reçois donc le présent que de ma part on t’a offert, puisque Hachem m’a favorisé et que j’ai tout. » Comment Yaacov pouvait-il affirmer une telle chose ? Le Midrach affirme pourtant qu’un homme quitte ce monde sans avoir satisfait la moitié de ses désirs (Cf. Midrash Kohelet 1, 13). Ce principe s’applique au pauvre comme au plus riche de tous les hommes, a fortiori à Yaacov qui céda une bonne partie de sa fortune à Essav. Selon Rachi, Essav dit qu’il possédait plus qu’il ne lui fallait, tandis que Yaacov répondit qu’il avait tout le nécessaire. On peut désirer ou posséder tout un tas de choses, cela ne signifie pas que l’on en a besoin pour se réaliser. En revanche, une petite fortune peut suffire à être. Nous bénissons chaque matin Hachem qui comble tous nos besoins. Là encore, il ne s’agit pas de nos désirs, mais de nos besoins. Car Hachem nous donne chaque jour tout ce dont nous avons besoin pour nous réaliser. Yaacov vivait cette réalité à la perfection. Il n’existait pas par le biais de ses possessions. Il œuvrait chaque instant à sa réalisation avec les moyens dont il disposait. Il était semblable à un bâtisseur disposant de tout le nécessaire pour construire un bel édifice. Essav, quant à lui, vivait pour avoir. Sa fortune définissait sa personne. Selon Essav, avoir beaucoup c’est être « beaucoup ». Lorsque Yaacov est retourné chercher ses fioles, il donna l’impression d’embrasser l’idéologie d’Essav. Cet écart créa une faille. Le Yetser Hara l’exploita pour s’attaquer au patriarche. De nos jours, nous sommes confrontés à un défi semblable. Faut-il être ou avoir ? A priori, la réponse paraît évidente : il faut être. Nous vivons néanmoins dans une société si consumériste qu’on en perd la boussole. Il suffit de regarder nos garde-robes... ou les bagarres un jour de Black Friday…
Yaacov Avinou nous invite à être tout en ayant. Suivons-le !