Londres. Quartier de Stamford Hill, 23h30. La ville active et animée entre progressivement dans le sommeil de la nuit, et les alentours de la synagogue sont calmes. Au dernier Minyane de la nuit, Reb Its’hak, un des notables de la communauté, vient de finir de prier. Il est resté quelque peu après la prière du soir, puis s’est dirigé vers sa magnifique voiture garée sur le parking derrière le bâtiment.
Et soudain, derrière la voiture, il aperçut trois costauds de grande taille qui l’attendaient depuis longtemps. Ils le prirent par surprise, frappèrent fortement sur son épaule, et hurlèrent sur lui en anglais : « Tu veux nous donner ton argent et rester en vie, ou le donner après la mort ? Que choisis-tu ? » lui demandèrent-ils en poussant d’effroyables cris.
Reb Its’hak est paralysé, abasourdi, troublé, et surtout, saisi d’effroi. Il voit la mort devant lui, et tout en jetant des regards furtifs tout autour, il remarque qu’il n’y a pas âme qui vive. Personne ne l’entendra s’il crie. Privé de choix, il commence à procéder à une introspection, sachant que seule une main divine peut le sauver, selon les lois de la nature, il n’a plus aucune chance.
Il lève des yeux implorants au Ciel. L’espace d’un instant, il tente de ne pas perdre ses moyens. D’une voix la plus calme possible, il s’adresse au chef du groupe : « Dis-moi, tu m’as l’air d’un homme sensé, pas d’un homme qui va commettre un meurtre en pleine nuit. Dis-moi, pourquoi as-tu besoin d’argent et quelle somme ? Je te donne ce dont tu as besoin. »
Le malabar a l’air surpris, il s’attendait à des cris, à ce qu’il perde ses moyens ou qu’il cherche à leur échapper. Et soudain, il commence à leur parler…Il se hâte de lui répondre par un rire sauvage : « Je veux boire, et je n’ai plus d’argent. J’ai besoin d’argent... » « Tu as besoin d’une bouteille ? Si c’est le problème, lui répondit Reb Its’hak, je peux t’aider à le résoudre. Combien d’euros as-tu besoin pour une bouteille ? » « 5 euros, répondit le non-Juif, » et Reb Its’hak reprit : « Je te donne 10 euros, marché conclu ? Un homme sensé comme toi, pourquoi t’embourber dans un meurtre ? Prends cet argent, et bois autant que tu veux ! » Reb Its’hak lui tendit un billet de 10 euros, et le non-Juif, le prit et partit, suivi par ses deux acolytes.
Reb Its’hak leva les yeux au Ciel, empli de reconnaissance. La bonté du Créateur ne l’avait pas quitté, il venait de vivre un miracle…il mit sa voiture en marche, les mains tremblantes, et pendant de longues minutes, son cœur trembla. Il eut beaucoup de mal à fermer l’œil cette nuit-là, pris entre des sentiments de peur et ses sentiments de reconnaissance face au miracle.
Comme chaque matin, à 5h15, son réveille-matin sonna pour son Minyane du Nets, de l’aube. Il avait les yeux lourds de fatigue, il ne s’était pas libéré de l’impression de l’incident de la veille, mais il se hâta vers la synagogue pour la prière de Cha’harit. Il gara sa voiture au même emplacement que la veille, et en sortant de la voiture pour se diriger vers la synagogue, il découvrit, effaré, le même malabar que la veille, qui l’attendait à nouveau.
Un instant, la peur s’empara de lui et gagna son cœur : « Qui sait ce qui va advenir maintenant ? » pensa-t-il, et il commença à dire le Chéma Israël, tendu…Devant lui, le malabar l’accosta et lui tendit un billet de cinq euros, en disant : « Je t’ai demandé hier de me donner 5 euros, le prix d’une bouteille », expliqua-t-il en s’excusant, « mais tu m’as donné 10 euros, tu as droit à 5 euros de monnaie. »
Reb Its’hak, surpris, ne bougeait pas. Il ne s’attendait pas à un tel développement…que le suspect de la veille vienne lui rendre de l’argent ?! S’agissait-il d’un film d’horreur ou d’un incident produit par son imagination ? Comment était-ce possible ? Au bout d’un instant, Reb Its’hak se remit de son choc, s’approcha de l’homme et lui serra la main…
« Nous ne nous connaissons de nulle part », répondit Reb Its’hak, et nous nous sommes rencontrés deux fois en six heures. En ces deux occasions, j’ai été livré à toi, à la première rencontre, tu as menacé de m’abattre, et la seconde fois, tu me rends de l’argent. Je suis confus. Tu te moques de moi ? Tu es sérieux ? Que cherches-tu ? »
L’homme rit à nouveau et répondit : « Ecoute, je suis étudiant à l’université, et pour le dire délicatement, mes études, ça ne marche pas vraiment, j’échoue constamment, et mon entourage a fini par me mépriser. Du fait de cette situation, je suis devenu dépendant de l’alcool, chaque soir, j’ai besoin d’une bouteille d’alcool pour me faire oublier les tribulations de la vie. Mais comme tu peux te l’imaginer, trouver un financement pour ces bouteilles est difficile. Donc, pas le choix, soupira-t-il. J’ai choisi l’extorsion. Chaque soir, je choisis une victime à qui j’extorque de l’argent. Parfois, par des menaces, parfois par des coups, par tous les moyens possibles. Quelqu’un doit bien financer ma bouteille, non ? Hier soir, c’était toi, et crois-moi, en un instant j’aurais pu…mettre fin à tes jours, et sortir avec l’argent qui emplissait bien ton portefeuille…mais alors, je t’ai entendu dire quelque chose que je n’avais jamais entendu de ma vie. Tu as prononcé des paroles qui ont pénétré directement dans mon cœur.
Tu m’as l’air d’un homme sensé, ce que tu fais ne convient pas à ta personnalité.
Cela fait des années que j’attends qu’on me tienne de tels propos, des années ! Tous les jours, j’entends que je suis un raté, que je n’ai pas de talent, je suis insensé, malhonnête, je n’ai aucune chance, je suis un criminel. Et soudain, au milieu de la nuit, quelqu’un, qui aurait pu être ma victime, vient me dire que je suis un homme sensé ? Que ces actes ne me conviennent pas ? Sais-tu ce que tu m’as fait à ce moment-là, par ces quelques mots ? » Pour la première fois, son grand sourire disparut, une pointe de tristesse transparut. « A ce moment-là, j’ai décidé de ne te faire aucun mal. J’ai pris les 10 euros et je suis parti, et après avoir acheté la bouteille et récupéré 5 euros de monnaie, j’ai décidé de te les rendre. L’homme qui m’a dit un gentil mot et m’a fait revivre, je ne peux lui faire aucun mal. Si j’avais la possibilité de te rendre les 5 autres euros, je te les aurais également rendus. »
Le costaud essuya une larme et tourna les talons. Seul Reb Its’hak resta sur place, figé. Il se pinça pour se convaincre que c’était bien la réalité, et à la synagogue, il relata l’histoire de son sauvetage, et l’un des membres de la synagogue la rapporta au Gaon et Tsadik, Rav Aharon Tvitig chlita.
Le pouvoir de quelques mots est tout simplement incroyable, les changements qu’ils peuvent introduire sont inimaginables. Reb Its’hak n’avait même pas le sentiment d’avoir fait quelque chose de spécial, il se peut qu’en ces instants d’effroi, il n’ait pas fait attention à ce qu’il avait dit. Mais il avait proféré des paroles positives, qui avaient sauvé sa vie et protégé d’un homme menaçant et violent. Ces quelques mots avaient instillé une nouvelle vie à cet étudiant cruel, et sauvé la vie de Reb Its’hak. Car quelques mots sont porteurs d’un changement, susceptibles de provoquer une révolution dans l’esprit. Dans la majorité des cas, nous ne le saurons jamais, mais nos mots peuvent créer un changement chez l’auditeur et le faire accéder à des hauteurs inégalées. Un homme qui entend des paroles encourageantes se sent subitement admiré, il retrouve goût à la vie. Prodiguons du bien à tout notre entourage, car tout le monde a besoin d’un mot gentil. Disons-le de tout cœur, avec joie ! Sauvons la vie d’autrui, grâce à nos paroles !