Brigitte : Bonjour monsieur le Rabbin. Mon fils est à la recherche d’une jeune femme à épouser et on nous dit qu’il est conseillé de passer par des Chadkhanim, des marieurs, que c’est la coutume depuis des siècles au sein du peuple juif… mais je ne suis pas convaincue. Comment, en quelques rendez-vous avec une inconnue, pourraient-ils être sûrs d’être faits l’un pour l’autre ?
Le Rav : Bonjour Mme Ganem. Je comprends vos craintes concernant les Chiddoukhim. Sceller un engagement pour la vie sur la base de quelques rendez-vous succincts, cela vous paraît assez aventureux. Il semblerait plus logique d’apprendre à bien se connaître au préalable, voire même de vivre ensemble avant de se lancer dans l’aventure ultime du mariage…
Brigitte : Tout à fait...
Le Rav : Laissez-moi vous faire part de certaines études psychosociologiques. Une récente enquête menée sur 1000 couples américains de 18 à 34 ans mariés depuis moins de 10 ans a révélé que 20% des couples vivant ensemble avant le mariage ont évoqué une fois l’alternative du divorce, contre 10% de ceux qui se sont installés ensemble après leur mariage, soit le double1. L’université de Haïfa publiait récemment une étude selon laquelle le risque de divorce des couples vivant ensemble avant le mariage était trois fois plus élevé que ceux ne vivant ensemble qu’après le mariage.2 Je vous invite à aller consulter toutes les études sur le sujet, pour une fois qu’il y a unanimité chez les chercheurs…
Brigitte : J’aurais parié pour l’inverse, les deux jeunes gens se connaissent bien, ils savent parfaitement qui ils ont épousé… Comment s’explique ce phénomène ?
Le Rav : Lorsque le couple vit ensemble en dehors des règles du mariage, chacun est en quelques sorte “libre” : libre de faire plaisir à l’autre ou non, il n’y a pas d’obligation vis-à-vis de son compagnon, chacune des attentions est une sorte de faveur et si la vie commune ne convient plus à l’un ou l’autre des membres du couple, il peut franchir la porte en toute simplicité. Cette bonté intentionnelle créé un fort sentiment d’attachement vis-à-vis de l’autre, la sensation que l’autre me fait du bien alors qu’il n’en a pas la moindre obligation… En revanche, dès que les deux tourtereaux se marient, le thème de leur vie change. Là, chacun a, en quelque sorte, l’obligation de satisfaire l’autre et l’ardoise est dressé sur la table. La romance philanthrope est révolue, on perçoit ce que l’on reçoit comme un dû et c’est un tout autre refrain qui se joue pour le couple.
Brigitte : C’est pour ça qu’ils divorcent ?
Le Rav : Il peut y avoir des raisons propres à chaque couple, mais les principales embûches que rencontrent ces couples sont principalement dues au fait que dans leur vie d’avant, ils n’étaient pas obligés de satisfaire les besoins de leurs conjoints, tandis que maintenant si. C’est ce que la Guemara nous enseigne lorsqu’elle nous dit qu’un homme qui est tenu de réaliser la volonté de D.ieu est plus méritant qu’un homme qui s’y engage de lui-même3. Le Maharal de Prague explique que celui qui est contraint devra, pour assumer son obligation, livrer bataille à son mauvais penchant pour se soumettre à la volonté de D.ieu , tandis que l’autre la réalise selon son bon vouloir sans aucune contrainte4…
Brigitte : Dans le couple, faire du bien à l’autre lorsqu’on y est contraint est moins prestigieux que de la réaliser par amour alors !
Le Rav : Cela dépend de quel amour il s’agit…
Brigitte : Comment cela ?
Le Rav : Lorsqu’un homme n’est pas marié avec sa femme et qu’il n’a donc pas l’obligation de la rendre heureuse, la raison pour laquelle il la gâte peut être due au fait qu’il l’aime ou du fait de sa bonne nature ou encore, par pur égoïsme, afin de recevoir quelque chose en retour. Tandis qu’un homme marié qui a des devoirs vis-à-vis de sa femme satisfait ses besoins et tente de la rendre heureuse parce qu’il l’aime ou parce qu’il a l’obligation de la satisfaire ; dans ce cas, il devra lutter contre sa propre nature afin de puiser en lui les forces de satisfaire sa compagne. Ce sont justement ses efforts qui créeront en lui un amour toujours renouvelé. « Plus on s’investit plus on aime », disait le Rav Dessler.
Brigitte : Vous m’avez expliqué pourquoi vivre ensemble avant le mariage n’était pas la meilleure solution, mais je ne vois pas en quoi passer par des Chadkhanim est préférable.
Le Rav : Le problème que nous avons évoqué là (c’est-à-dire le passage d’un couple aux attentions “bénévoles” à celui d’un couple dont les attentions sont obligatoires), les gens qui se marient par l’intermédiaire des Chiddoukhim ne les rencontrent pas.
Brigitte : Mais ils ont une vie bien morose alors, sans magie !
Le Rav : Bien au contraire, ils savent qu’ils « s’engagent » de but en blanc, et ils construiront leur idylle au fils du temps avec des fondations solides.
Brigitte : Ils ne se marient donc pas par amour…
Le Rav : Effectivement, et c’est peut-être pour ça qu’ils auront plus de chance de s’aimer en fin de compte.
Brigitte : Comment cela ?
Le Rav : Eh bien, mis à part le problème que nous avons évoqué plus haut, un autre problème se cache derrière l’échec de ces couples qui partageaient leurs vies ensemble avant le mariage, et plus généralement concernant tous les couples qui ont des relations amoureuses avant le mariage. Lorsque les deux se marient en fin de compte, pouvons-nous être sûrs que le mariage est le fruit de leur choix pur ?
Brigitte : Bien oui, puisqu’ils se sont mariés ...
Le Rav : Le fait qu’ils se soient mariés ne nous donne pas d’indications sur les vraies raisons qui les ont poussées à se marier. Peut-être qu’ils étaient habitués tous deux l’un à l’autre et qu’ils ont décidé de prolonger leur vie commune alors qu’au fond, ils ne s’aimaient plus depuis longtemps ? Peut-être qu’ils ne pensaient pas pouvoir trouver mieux ? Peut-être même qu’ils ne voulaient pas se faire de la peine l’un l’autre ? Ou encore qu’ils étaient tous les deux pris dans leur chimère affective ? Vous le comprenez, les résultats de toutes ces éventualités - dont la réalité nous rend compte chaque jour - sont dans le meilleur des cas le divorce, dans le pire une vie gâchée !
Brigitte : Mais en Chiddoukh, on ne se connait pas assez pour partager toute une vie.
Le Rav : Et pourtant, les statistiques en Israël révèlent là encore que les couples religieux dont les mariages sont le fruit des Chiddoukhim divorcent trois fois moins que les non-religieux, dont les rencontres sont le fruit de la “loterie”.5 Mais je reste tout de même circonspect face à ces statistiques dont la raison des non-divorces peut être due à la pression sociale, à la crainte du Ciel, à la peur de l’échec etc. En tout cas, je les ramènerais au même niveau que ceux dont le mariage n’est pas dû au Chiddoukh (en étant très large).
Brigitte : Comment l’expliquez-vous ?
Le Rav : Tout simplement par le fait que les gens en Chiddoukh vont droit au but. Dans un esprit de construction, ils ciblent des questions de fond auxquelles, parfois, des gens après 2 ans de vie commune hors mariage ne savent toujours pas répondre… Il en va des goûts de la personne, du niveau de religiosité recherché, de la direction de vie commune à prendre... le tout présélectionné par l’intermédiaire de l’entremetteur pour éviter de perdre inutilement du temps.
Brigitte : Ça a l’air très intellectuel comme ça, mais où est la romance ?
Le Rav : Il n’y en a pas justement ! Mais ce n’est pas un tort, au contraire, cela permet un choix basé sur la raison où les sentiments d’attachement éphémères qui pourraient corrompre le jugement sont mis de côté.
Une fois le physique apprécié, chaque conversation dont l’esprit tourne autour de l’essentiel permet aux deux jeunes gens une analyse objective de celui avec qui ils ont trouvé des atomes crochus. Ainsi, nous avons plus de garanties que leur choix est le fruit de leur volonté propre et non de leurs instincts exacerbés.
1 Journal of Family Psychology, Pr Galena Rhodoes
2 Site d’informations Walla 10 Avril 2006 , (Pour plus d’études sociologiques sur le sujet, voir aussi : Site d’information Ynet 30 Août 2005)
3 Traité Baba Kama p. 38, traité ‘Avoda Zara p. 3
4 Maharal de Prague, Hidouché Hagadot, partie 2