Hanouka, pour le résumer en quelques mots, c’est l’histoire incroyable d’une poignée d’hommes qui partent en guerre contre un empire immense… Et pourtant ces hommes n’étaient pas des guerriers, c’étaient avant tout des Talmidé-‘Hakhamim (Sages étudiant la Torah). En tant que juifs contemporains, c’est quelque chose qui ne peut nous laisser indifférents. La Torah nous demande-telle de partir en guerre dans de telles conditions, sans aucune chance rationnelle de succès ? Certes, il y a eu un grand miracle et les ‘Hachmonaïm ont vaincu. Mais il est certain que les miracles ne constituent pas une preuve du bien-fondé de leur action et ce d’autant plus que les Sages nous ont demandé de célébrer à ‘Hanouka le miracle de la fiole d’huile (qui est restée allumée huit jours au lieu d’un seul jour) et ont complètement laissé de côté la victoire militaire.
Pour répondre à cette question, nous allons rapporter les propos de Rav El’hanan Wasserman dans son livre Kovets Maamarim. Rav El’hanan pose la question de la différence entre ‘Hanouka et Pourim. Pourquoi à ‘Hanouka les juifs sont sortis en guerre, alors qu’à Pourim ils se sont mis à prier de tout de leur cœur et à faire Téchouva ? La réponse est la suivante : lorsque le décret émis contre le peuple juif est un décret d’anéantissement physique, la seule réponse possible est la Téfila et la Téchouva. Par contre, lorsque le décret est dirigé contre la pratique religieuse et vise à empêcher les juifs d’accomplir les Mitsvot de la Torah, comme à ‘Hanouka, où les Grecs ont interdit le respect du Chabbat, la pratique de la circoncision et la proclamation de Roch ‘Hodech, la réaction souhaitée est d’ordre militaire ; il faut prendre les armes et détruire physiquement l’ennemi.
Quel est le fondement conceptuel de cette différence drastique d’approche ? Rav El’hanan Wasserman explique que l’être humain est confronté à deux types d’adversité. Parfois, il doit affronter le Yetser Hara’ (le penchant au mal) et parfois, il doit affronter Hachem lui-même. Quand on doit affronter Hachem lui-même, la seule chose qu’on puisse faire bien évidemment c’est de prier et de faire Téchouva (se repentir) ; par contre quand on doit affronter le Yetser Hara, on doit sortir en guerre au sens littéral du terme. Comment peut-on savoir dans quel cas de figure l’on se trouve ? S’il s’agit d’un décret d’extermination physique, comme à Pourim, il s’agit d’un décret divin et pour l’annuler, seuls le repentir, la prière et la Tsédaka (aumône) peuvent être utiles. Par contre, s’il s’agit d’un décret de persécution religieuse, là il est nécessaire de prendre les armes pour combattre physiquement l’état ou l’empire qui veut nous empêcher d’accomplir la volonté d’Hachem et qui n’est rien d’autre qu’une projection du Yetser Hara.
Un exemple contemporain
En fonction de cet axiome, le ‘Hafets ‘Hayïm a affirmé qu’à l’époque ou le communisme commença à étendre son emprise malfaisante sur la Russie, les juifs auraient dû prendre les armes et se battre militairement contre les Bolcheviks. En effet, le communisme s’est révélé être une terrible machine de guerre contre la Torah et les juifs. Sous le régime communiste, la pratique religieuse était interdite et taxée de complot contre-révolutionnaire. Ainsi par exemple, pratiquer la circoncision mettait en grand danger ceux qui la pratiquaient. C’est pourquoi la Brit Mila (circoncision) était pratiquée de manière clandestine pour essayer d’échapper au Goulag (camps de concentration soviétiques).
Le ‘Hafets ‘Hayïm affirma que si les juifs étaient sortis en guerre contre les communistes, il y aurait eu beaucoup de pertes humaines, mais l’impact du communisme sur le peuple juif aurait été extrêmement affaibli. En effet, le régime communiste, de par sa politique de persécution religieuse a généré une assimilation très importante au point de faire pratiquement disparaître la pratique religieuse juive. C’est dans ce but qu’avait été créée en 1918 la Yevsektia, section juive du parti communiste, qui s’est acharnée à faire disparaître toute trace de judaïsme et qui a continué de sévir jusqu’en 1929. Le ‘Hafets ‘Hayïm affirme que si le peuple juif avait réagi militairement, les communistes auraient essuyé un échec cinglant, exactement comme les ‘Hachmonayïm ont infligé une défaite cuisante à l’occupant grec.
Lorsque l’on parle de partir en guerre pour protéger physiquement la Torah, il ne s’agit pas d’établir un plan de campagne militaire très précis. Il s’agit davantage d’une action spontanée d’hommes de conviction, qui ne sont nullement assurés du succès mais qui vont se battre de toutes leurs forces pour mettre fin à l’état de persécution religieuse.
Aujourd’hui en Israël
Si nous étudions la situation actuelle du peuple juif en Israël aujourd’hui, on peut constater que le peuple juif est soumis à deux types de danger. D’une part un danger d’extermination physique de la part des états arabes environnants ainsi que des arabes résidant en Israël ; d’autre part un danger spirituel lié au caractère laïque de l’Etat d’Israël, qui s’est traduit notamment par une politique de déjudaïsation de communautés entières en provenance des pays arabes (Yémen, Maroc ,Tunisie etc).
Selon les enseignements de Rav El’hanan, la réponse à ces deux menaces doit être différente. A la menace d’extermination arabe, il faut répondre par la Téchouva (repentir) et la Téfila (prière). Par contre à la menace de déjudaïsation que représente l’état d’Israël, il faudrait répondre par les armes…
Mais de quelles armes parle-t-on ? Il est bien évident qu’on ne peut envisager de faire comme les ‘Hachmonayïm qui sont sortis en guerre contre les Grecs. Les seules armes qu’on peut envisager aujourd’hui sont celles de l’amour et de la diffusion de la Torah. Pour illustrer cela, nous allons rapporter quelques anecdotes mettant en scène d’illustres Sages de la Torah.
Quelques exemples concrets
Rav Eliahou Lopiane, directeur spirituel de la Yéchiva Knesset ‘Hizkiahou (Rékhassim), marchait non loin de Méa Chéarim, du côté de la grand-route qui longeait les hôtels, avec un élève. Lorsque soudainement, un touriste juif américain dans un gros 4x4 s’arrêta à sa hauteur, baissa la fenêtre et lui demanda en hébreu : « Monsieur le rabbin, pouvez-vous m’indiquer la route pour arriver à Ré’hov Yaffo ? ». Alors se produisit quelque chose d’étrange… Rav Eliahou Lopiane se mit à pleurer : « Je ne peux pas vous répondre… Je ne sais pas quoi faire… Je ne peux pas vous répondre… Chabbath Kodech (c’est Chabbath)… Mais comment puis-je vous le faire comprendre ? ». Rav Eliahou Lopiane était perplexe. D’une part, il souhaitait aider ce juif et lui indiquer son chemin. Mais d’autre part, c’était Chabbath et il ne pouvait pas l’aider à transgresser Chabbath.
Le touriste, voyant le grand embarras qu’il causait au Rav, descendit de la voiture, cherchant à rassurer cet illustre et imposant personnage. Il s’adressa à lui en ces termes : « Je vous en prie… Calmez-vous… Que se passe-t-il ? ». Et le Rav de lui répondre dans un sanglot : « Chabess, Chabess, Chabess Kodech (c’est Chabbath aujourd’hui)». Ce que voyant, le touriste répondit : « Il n’y a pas de problème, je laisse ma voiture ici. Je vous en prie, calmez-vous… Dites-moi seulement comment je peux arriver à Ré’hov Yaffo ». Le Rav lui répondit « C’est déjà mieux, mais il y a un problème… Il y a encore un problème… ». L’américain de demander : « Quel problème ? ». Le Rav lui rétorqua « Les clefs, les clefs de la voiture, vous les avez dans la main, vous ne pouvez pas les transporter ». Le touriste lui répondit : « Que faut-il faire alors ? ». Le Rav lui expliqua : « Jetez-les, mettez-les dans la voiture ». Alors se produisit l’impensable… Le touriste prit les clefs, les jeta dans sa voiture et déclara : « A partir d’aujourd’hui, je suis Chomer Chabat… (respectueux des interdits du Chabat) ».
Que s’est-il passé ? Ce juif non-religieux a ressenti chez Rav Lopiane un vrai souci de l’autre et davantage encore une véritable crainte du Ciel. Cette authentique crainte du Ciel a éveillé chez lui un écho puissant et a réveillé en fait son âme juive.
Pour illustrer davantage notre propos, nous allons rapporter une anecdote qui s’est produite à Radin, dans la ville du ‘Hafets ‘Hayim. Le Hafets ‘Hayïm dirigeait une Yéchiva et un jour courut le bruit qu’un Ba’hour Yéchiva (étudiant de la Yéchiva) avait transgressé Chabath. Or il faut savoir que le ‘Hafets ‘Hayïm était un des plus grands Sages de la Torah de son époque. Tout le monde à Radin était bouleversé. Le ‘Hafets ‘Hayïm fut mis au courant et demanda qu’on lui amène le jeune homme. Le jeune homme fut introduit dans la pièce où se trouvait le ‘Hafets ‘Hayïm. Ce dernier ne lui adressa pas un long discours. Il prit simplement sa main dans la sienne et tout en pleurant, lui dit en Yiddish : « Chabess, haïliger Chabess » (Chabbath, saint Chabbat). Le jeune homme sentit couler sur sa main les larmes brûlantes du ‘Hafets ‘Hayïm. De ce jour, il prit la décision de ne plus jamais transgresser le Chabbath… Quand une âme juive parle à une autre âme juive, alors il n’y a plus d’écran ; le Yetser Hara ne peut plus faire obstacle et le message d’Hachem est entendu parfaitement.
Nous rapporterons une autre anecdote avec Rav Yé’hezkel Abramsky qui fut l’un des Raché Yéchiva de Slabodka (directeur de la Yéchiva). Non loin de la Yéchiva voisine de Poniovitch, il y avait un petit kiosque alimentaire, très fréquenté par les Ba’houré Yéchiva (étudiants de Yéchiva). Un vendredi soir, plusieurs Ba’houré Yéchiva vinrent taper à la porte de Rav Yé’hezkel Abramsky. Il était déjà tard et le Rav dormait ; il se réveilla et demanda aux jeunes étudiants ce qui les amenait à une heure aussi tardive. Les Ba’houré Yéchiva lui affirmèrent alors qu’un voleur était en train de dévaliser le kiosque. Immédiatement, le Rav répondit qu’il venait. Le temps de s’habiller, le voilà qui descendit avec les Ba’hourim (étudiants de la Yéchiva). Ils s’approchèrent ensemble du kiosque et se rendirent compte qu’effectivement un individu était en train de vider le contenu du kiosque dans un sac prévu à cet effet.
Le Rav Abramsky s’approcha doucement du voleur, lui tapa dans le dos et lui dit : « Mon fils, tu as certainement dû oublier qu’il est marqué dans la Torah de ne pas voler ». Le voleur se retourna, mais nullement incommodé, continua tranquillement à remplir son sac. Rav Abramsky lui redonna une seconde tape dans le dos et lui répéta : « Mon fils, tu as certainement dû oublier qu’il est marqué dans la Torah de ne pas voler ». Et alors, dénouement surprenant, le voleur jeta le sac et se sauva… Le Ba’hour (étudiant) qui accompagnait le Rav, surpris par la tournure qu’avaient pris les évènements, ne put s’empêcher d’interroger le Rav : « Comment avez-vous fait, Rav ? » Et le Rav de répondre : « Je lui ai simplement dit qu’il est interdit de voler. Un juif comprend qu’il est interdit de voler. » Encore une fois c’est une âme juive qui parle à une autre âme juive ; le message passe admirablement…
Se réveiller
Au matin, en commençant à dire les bénédictions, on prononce les mots suivants : « Elokay, Néchama Chénatata Bi, Téhora Hi » (Mon D… l’âme que tu m’as donnée est pure). Ces mots sont extraordinaires et constituent à eux seuls tout un programme. Pourquoi cette âme est pure ? Parce que, comme c’est mentionné par la suite « Ata Néfa’hta Bi » (Tu me l’as insufflée). Cela signifie que le Créateur de l’univers a insufflé en nous une âme et que de ce fait même, elle est pure. Quelles conséquences cela implique-t-il ? Dès lors que je prends conscience de cette réalité, je ne peux désormais faire autrement qu’accomplir la volonté de mon Créateur. Cela explique l’attitude par exemple de Rav Abramsky qui s’est contenté de rappeler au voleur du kiosque l’interdit de la Torah concernant le vol. Car en effet la Néchama (âme) de tout juif, avant de descendre dans ce monde était sous le trône de gloire d’Hachem et connaissait toute la Torah. Par conséquent lorsqu’on rappelle à une personne la Halakha, elle se rappelle inconsciemment de ce qu’elle connaissait avant même de descendre dans ce monde.
L’influence des médias, de la télévision et d’internet constitue un puissant facteur d’éloignement de la Torah. L’âme juive est comme anesthésiée par cet environnement néfaste. Aussi lorsque l’on propose à quelqu’un de non-religieux de se rapprocher de la Torah, il a beau jeu de rétorquer qu’il faut privilégier la tolérance et que chacun peut mener la vie qui lui convient. Et pourtant lorsqu’on est conscient des enjeux spirituels élevés qui se cachent derrière l’accomplissement de la Torah et des Mitsvot pour chaque juif, on ne saurait accepter facilement ce genre d’argument.
En effet, l’âme juive qui est en nous ne peut rester indifférente au spectacle d’un frère juif en train de se perdre dans les méandres du Yetser Hara ; l’enjeu est grave et l’indifférence n’est pas de mise. Et si on n’arrive pas à exprimer à l’autre nos sentiments, c’est que quelque part au fond de nous-mêmes, nous ressentons une certaine indifférence qui provient elle-même d’une tendance insidieuse à l’assimilation.
Conclusion
Pourquoi la prière que l’on fait matin, midi et soir est-elle formulée au pluriel ? Nous ne prions pas seulement pour nos besoins personnels mais aussi et avant tout pour l’ensemble du peuple juif. Dépasser l’égoïsme de l’homme moderne, sortir de l’individualisme, se sentir proche de chaque juif au point de pouvoir prier pour son prochain et pour tout le peuple juif, tel est le message des ‘Hachmonayïm ; travailler sur son intériorité, retrouver une vraie sensibilité à la Torah et à la Téfila (prière), développer sa spiritualité et son altruisme...
Encore nous faut-il comprendre comment treize Sages de la Torah ont pu partir en guerre contre une armée entière. La seule explication rationnelle qu’on puisse donner, c’est qu’ils étaient animés par un authentique esprit juif, c'est-à-dire un esprit d’amour et de dévouement inconditionnel à la Torah, sans calcul, sans petitesse… Et c’est précisément cet esprit là qu’on doit renforcer à ‘Hanouka.
Cours du Rav Bentata
retranscrit et adapté par Rav Emmanuel Boukobza