Je m’appelle Alexandre Bismuth, j’aimerais parler de ma sœur Chloé ‘Haya. Au moment où j’écris, Chloé nous a quittés depuis 6 jours, elle était ma petite sœur adorée. Elle me manque tellement !
Comme le veut la tradition, nous nous asseyons pendant 7 jours pour penser à elle. Je crains de passer ce terme et de l’oublier. Elle n’a malheureusement laissé personne derrière elle, pas de mari, pas d’enfant. Chloé était une petite fille handicapée depuis la naissance parce qu’elle avait manqué d’oxygène dans le ventre de ma mère. La seule chose qu’elle ait laissée est en nous. Une foule de valeurs spirituelles et de qualités intrinsèques à sa personne que nous devons garder et même diffuser. C’est là l’objet de ce texte.
Chloé est née en 1994, le 6 octobre. Elle avait 23 ans lorsqu’elle est partie. Pour d’autres, elle était cette enfant handicapée IMC incapable de parler, marcher, manger seule. Pour nous, c’était un ange tombé du ciel, blessé par sa chute. Nous le croyons peut-être naïvement, mais sincèrement. Si je réussis à exprimer mes propos tels que je les ai perçus, vous croirez également à la présence d’anges sur cette terre.
La période que l’on vit nous encourage à traverser plusieurs phases de compréhension et d’acceptation. Je ne comprends rien. Une personne nous a dit que, peut-être un jour, nous accepterons. Que si cela devait se représenter, nous voudrions à nouveau profiter de notre petite pour 23 nouvelles années. Le plus intrigant est qu’à l’unanimité, nous répondîmes que nous recommencerions sans aucune hésitation.
J’imagine son âme monter très haut, traverser les différents cieux pour atteindre les phases célestes des plus grands justes des générations antérieures. J’imagine le ciel pleurer pour cette vie de tant de bonheur marquée par tant de souffrances.
Je t’imagine mon cœur, si heureuse de rejoindre la plénitude de la lumière infinie du ciel. J’aimerais tellement que tu me dises à quel point tu te sens bien là-bas. Nous aurions préféré que tu sois parmi nous. C’est toi qui savais le mieux nous réconforter.
Chloé était l’Amour sur terre. Elle n’avait aucun filtre, elle aimait tout le monde sans aucune distinction de classe sociale, milieu ou appartenance. Elle était l’Amour à l’état pur. Une âme comme la sienne ne peut qu’être pure, c’était une bénédiction pour notre famille.
Chloé donnait sans compter, elle n’appartenait pas à ce monde, mais bien à quelque chose d’autre, de plus grand, plus puissant. Elle devait être la reine de son monde, explosant de beauté, de lumière et de force.
Nous parlions souvent d’elle pour dire qu’elle était notre combat. Aujourd’hui, je comprends qu’elle était notre victoire.
Ma ‘Haya, si tu savais à quel point tu nous manques. Avant, tu étais notre ange protecteur, aujourd’hui tu protèges le monde entier. J’ai peur de ne plus te revoir, ne plus te sentir. Je ne me remettrai jamais de ton absence, comment me passer de tes yeux, ton sourire ?
Chloé passait son temps à distribuer de l’Amour, elle ne faisait qu’embrasser. D’ailleurs, il n’est pas étonnant que la valeur numérique de son nom soit égale au mot hébreu « Nachka » « elle a embrassé ». Chloé n’avait que quelques mots de vocabulaire, près de 7. Nous pouvons dire que 7 mots suffisent pour vivre, se faire comprendre et distribuer plus d’Amour que le monde ne peut contenir.
Elle n’a jamais eu de mauvaise parole, jamais de mot déplacé envers qui que ce soit. Combien devons-nous prendre la mesure de cet exemple dans notre conduite à tenir !
Lorsque je parle au monde, les mots qui me sortent sont approximatifs, ils manquent de précision. J’aimerais pouvoir appliquer l’enseignement de Chloé, parler peu, mais avec clarté. Dire les choses vraies, laissant de côté le superflu. J’ai peur de trahir sa mémoire, ne pas pouvoir assumer son enseignement, ne pas appliquer les valeurs qu’elle nous a transmises.
Mon Amour, comment as-tu pu toutes ces années rester aussi pure ? Tu n’as jamais subi aucune influence de l’extérieur. Tu es restée intègre, tu n’as jamais dévié de ta ligne directrice : tout est Amour. J’aimerais que tu me serres dans tes bras, que nous soyons à nouveau réunis à la maison, te chanter ces chansons que j’essaie aujourd’hui d’oublier tellement elles me sont douloureuses. Tu me regardais avec une telle clairvoyance que rien en moi n’avait de secret à ton égard. J’aimerais me repasser tout le film de ta vie, l'arrêter sur ces si doux moments que l’on a vécus ensemble, contempler à nouveau ta si profonde beauté. Qu’est-ce que tu étais belle. Je n’arrive pas à croire que tu es partie...
‘Haya ne s’est jamais plainte de la moindre douleur. Elle faisait preuve d’une telle résistance face à ses épreuves qu’il n’est pas perceptible en ce monde qu’il en soit ainsi. Après l’opération qu’elle avait subie au dos, les médecins nous disaient qu’elle souffrirait le martyre pendant quelques jours. Elle n’a jamais montré aucune souffrance. Dès son réveil, elle a souri à mon père et l’a serré contre son corps si fin. C’était bluffant ! Les médecins ne revenaient pas d’une telle force de caractère. Comme je vous l’ai dit, elle n’appartenait pas à ce monde.
Avant son départ, elle ne se nourrissait presque plus. Malgré sa dénutrition évidente, Chloé était toujours heureuse. Elle n’a jamais perdu son sourire si lumineux. Mon père nous disait à l’époque, qu’arrivée à l’âge de l’adolescence, elle se rendrait compte de son état et de son incapacité à mener une vie dite normale. Mais en 23 ans, jamais elle n’a perdu ce sourire qui la caractérisait tant.
Les médecins ont décidé de lui poser une sonde gastrique. Nous redoutions cette opération et avons tout fait pour la repousser autant que possible. Et pour cause. À la suite de l’opération, ‘Haya a décompensé et contracté une infection aux poumons. Les médecins de l’hôpital, après de nombreux examens, se sont rendu compte que l'opération du dos faite des années auparavant n’avait pas tenu et que les broches posées pour tenir sa colonne vertébrale avaient cassé pour venir écraser son poumon droit. Elle ne tenait depuis plusieurs années qu’avec un poumon utile.
Est-ce que l’on pourrait imaginer la difficulté de respirer avec un seul poumon ? Chaque souffle devait être un combat, chaque inspiration devait être une bataille. Elle a gagné des milliers de batailles, jusque perdre la dernière.
J’imagine qu’elle pourrait dire qu’elle n’a pas perdu cette guerre. Pour elle, le combat était sa victoire. Pour nous, sa vie était notre victoire.
Personne ne peut imaginer la perte que nous avons subie. C’est un drame pour notre famille, et pour toute l’humanité. L’exemple vivant de la vie, la vie dans toute sa quintessence, notre ‘Haya.
J’imagine que là-haut, tu occupes une place de choix, la place que tu as, de toute manière, toujours occupée. Je te suis tellement reconnaissant. Je peux dire aujourd'hui que tout ce qui est bon en moi, c’est à toi que je le dois.
‘Haya connaissait sa condition, elle n’était pas bête, ni même naïve. Elle avait un caractère qui la protégeait de toute personne qui n’était pas authentique. C’était la Vérité incarnée dans un corps humain.
Parler d’elle à l’imparfait me fait une peine terrible. J’attends de terminer ces jours de deuil pour la retrouver à la maison, assise sur son fauteuil en écoutant de la musique.
Lorsque nous étions préoccupés par tel ou tel événement, elle le sentait. Elle nous ramenait face à une réalité implacable, celle de la réelle importance que nous devons donner aux choses. Avec ses mots et ses gestes, elle nous disputait. Nous n’avions d’autre choix que d’abdiquer. ‘Haya nous a appris à pardonner, car qu’est-ce qui a vraiment de l’importance ? Rien, sauf la vie. Je l’ai appris de cet ange vivant.
Maintenant que tu n’es plus sur terre mon ange, continue, s’il te plaît, de veiller sur moi et tes proches. Nous n’avons en rien fini d’apprendre de toi, nous n’avons rien compris de ta grandeur exceptionnelle. Il te faudrait une nouvelle vie pour que nous puissions connaître cette infime partie du message que tu incarnais.
Je fais mine de supporter la peine, mais que vais-je devenir sans toi quand je rentrerai à la maison ? À qui vais-je penser lors de mes prières ? Pourrai-je continuer à prier pour ton rétablissement ? D’où vas-tu revenir, si ce n’est du ciel ? Là où tu dois maintenant être entourée de lumière et de chaleur. Ici, j’ai froid, tu étais la seule à me donner la chaleur nécessaire pour voir le bon en chaque homme. Je dois être triste sans tomber dans la tristesse, me rappeler de toutes tes facettes en oubliant ma douleur de t’avoir perdue. N’en serai-je jamais capable ?
Tu voyais le meilleur en chacun de nous, et nous nous reposions sur toi pour calmer notre animosité. J’ai si peur de ton absence.
‘Haya, ma petite sœur, s’accrochait à l’essentiel de chaque chose, et au bon de chaque homme. Elle mettait de côté nos défauts sans ne jamais y faire attention. Elle les connaissait, mais nous pouvions voir dans son regard que s’ils n’avaient pas d’importance, alors pourquoi leur en donner ? Elle était un cœur serti de diamants revêtant une couronne de lumière. Elle était ma sœur.
Vous penserez que c’est bien assez pour une seule personne en ce monde. Mais ‘Haya n’était pas que cela. Elle était également l’incarnation de la modestie. Elle faisait preuve d’une humilité sans borne qui forçait l’admiration de tous ceux l’ayant approchée.
Même lorsque nous la mettions de côté, elle ne rechignait pas. Il arrivait qu’on la cache par honte, ou simple peur du jugement de l’autre. Elle ne nous en a jamais voulu. Elle était époustouflante de gentillesse. Son visage disait qu’elle comprenait qu’à notre âge, avoir une sœur handicapée n’était pas le meilleur atout pour se faire des amis. Je pourrais mourir pour revenir en arrière et effacer ces moments de ma mémoire. Ils pourraient me détruire de culpabilité face à un être aussi clément que notre chère Chloé. Elle nous accueillait, par la suite, comme si nous ne l’avions jamais quittée, comme s’il n’y avait pas eu d’interruption. Comme si j’étais encore un homme, alors que je n’étais qu’une bête. Elle n’appartenait décidément pas à ce monde, et elle est repartie dans le sien, là où je ne pourrai plus m’excuser de l’avoir tant délaissée.
Sa patience était également sans borne. Il n’existe pas d’être aussi sain qu’elle sur cette terre. Dans les nombreux centres ou elle a été, elle patientait jusqu’à n’en plus pouvoir dans sa minuscule chambre sans aucune occupation que le seul espoir de nous voir la visiter. Inutile de détailler la douleur psychologique d’une telle attente, le désarroi dans lequel elle a dû être plongée durant tout ce temps d’attente. Plus je l’écris, et plus je comprends. Je comprends à quel point elle était élevée, à quel point nous ne la méritions pas.
Lorsque nous arrivions enfin, elle exaltait de bonheur. Un bonheur qui ne se traduit pas pour la race humaine. Un bonheur qui n'était pas tempéré par quoi que ce soit. Un bonheur authentique, tel qu’elle l’a toujours été.
Nous n’avons jamais ressenti sa détresse. Pas seulement parce que nos cœurs étaient bouchés par nos propres problèmes, mais parce qu’elle ne l’a jamais manifestée. Elle nous recevait comme si nous l’avions quittée la veille, comme si aucune attente n’avait essuyé son moral. D.ieu que je l’aime.
Mon amour, je suis tellement désolé de t’avoir fait autant attendre, je suis tellement désolé de n’avoir pas pris la mesure de ta souffrance. Tu as tellement fait pour nous, avons-nous pu au moins te rendre une infime partie de ce bonheur ? Si c’était à refaire, je referais mieux. Mais nous redonnerais-tu une nouvelle fois cette chance ?
Pourvu que je sache tirer les enseignements de ce passage sur terre. Une âme pure, une bouche propre, un ange vivant.
Une personne m'a dit dernièrement qu’il me fallait parler de ses qualités. Qu’elles sont bien évidemment connues, mais que de les avoir constatées en une personne pourrait impacter plus de monde. Ma petite sœur était jusqu'à présent mon jardin secret, elle était ma force et mon salut. Aujourd'hui, j’écris pour faire comprendre au monde que la réalité dans laquelle nous sommes n’est qu’un écran duquel ne sort aucune vérité. J’écris au monde pour transmettre les valeurs d’un être qui a donné toute sa vie sans ne jamais rien compter, sans ne jamais s’attacher aux valeurs que nous impose la société dans laquelle nous vivons.
Ce qui sûrement caractérise le mieux ‘Haya est sa joie de vivre. ‘Haya respirait le bonheur, elle était tout le temps heureuse. Nous croyions qu’elle ne comprenait pas tous les événements extérieurs, mais elle captait tout. Elle cultivait une joie sincère et pure à l’encontre de toute conjoncture extérieure. C’était une pilule de bonheur. Lorsque je la voyais, elle était comme un médicament que l’on prenait pour oublier, passer outre, se sentir heureux !
Elle communiquait sa joie de vivre à tout être croisant son chemin. Chacun réalisait, en lui parlant, son propre bonheur, d'avoir des enfants, de réussir professionnellement, d’être en vie simplement. La vie, ce cadeau si bafoué par ce monde que notre ‘Haya portait comme un trophée sur ses épaules pour l'offrir au tout venant. En fait, c’est elle la vie. Elle est mon cadeau.