Bonjour Rav,
Pourquoi autant de juifs religieux sont touchés par ce satané virus ?
Pourquoi les communautés orthodoxes et ultra orthodoxes en Israël ont des taux de contaminés nettement supérieurs à la moyenne ?
D.ieu devrait les épargner !
Bonjour,
Votre question touche aux fondements du judaïsme : pourquoi le Tsadik souffre-t-il ?
Moïse lui-même a posé cette question à Hachem, le Talmud la rapporte dans le traité Brakhot page 7. Et le livre de Job (que certains Sages attribuent à Moise, voir Baba Batra 15) tourne autour de votre question précisément...
La Torah nous donne plusieurs éléments de réponses à ce sujet, clefs de compréhension. Ils ne s'appliquent pas forcément tous indépendamment à chaque situation, parfois, les causes s’entremêlent et les raisons se jonchent, par conséquent, nous n'aurons pas d'idée exacte sur telle ou telle situation, nous devrons donc composer les éléments entre eux. Sans pouvoir établir un jugement définitif sur ce type d'événement.
Commençons par le Talmud.
Dans le traité Baba Kama page 60, la Guémara dit que lorsque la "punition" (l'épidémie) s’abat dans le monde, elle s’empare d'abord des Tsadikim (justes) avant d'embraser les Récha'im (impies), ce que le verset dans Yé'hézkiel (21,8) dit explicitement : "Me voici contre toi, je sortirai mon épée de son fourreau et j'extirperai de toi justes et impies", d'abord "justes" puis seulement ensuite les "impies". Étonnant, non ?
Abayé nous en donne la raison : "Cela est bénéfique pour eux" ! Rachi explique : "Afin qu'ils ne voient pas le mal à venir...", comme le prophète Isaïe dit (57,1) : "Nul ne s'avise que c'est à cause de la perversité [régnante] que le juste disparaît."
Si bien que le Talmud nous dit que lorsque, lors d'une épidémie, les justes s'en vont, la raison est qu'on veut leur éviter de vivre "l'après", qui est apparemment plus douloureux.
Une autre façon de comprendre pourquoi les Justes sont plus touchés que les autres, est cette fois-ci plus profonde. Elle touche à la réincarnation. L'âme de chacun est immatérielle, donc intemporelle, personne n'en est à son premier passage dans ce monde. D.ieu attend de l'âme qu'elle se parfasse dans ce monde de l'action, qu'elle s’achève. Pour ce faire, Il la soumet à toutes sortes d'épreuves, de défi. "En conclusion, le but de l’existence de l'homme dans ce monde est uniquement l'accomplissement des commandements, le service de D.ieu et le dépassement des épreuves", nous disait le Méssilat Yécharim à la fin de son premier chapitre. Cependant, D.ieu, dans Son infinie bonté, sachant qu'il serait difficile à l'homme de se parfaire dans une vie unique, a donc donné à l'âme la possibilité de se travailler au travers de plusieurs passages dans ce monde-ci.
C'est ainsi que l'homme, pour le bien de son accomplissement, "subit" parfois les fantômes des ses anciennes vies et ainsi, bien que nous ne le voyons pas (lui non plus d'ailleurs), son destin ici-bas est entremêlé avec un pré-requis à accomplir (ou subir) qui le dépasse.
Plus que cela, Rabbénou Bé'hayé dans son commentaire sur la Torah (Dévarim 22:8) explique que D.ieu sait (évidemment !) et montre à l'homme chacune des épreuves qu'il va vivre dans ce monde et il ajoute : "Et tous ont voulu et ont accepté". De sorte qu'une fois que D.ieu montrera à l'âme tout ce qu'elle allait traverser pour obtenir sa rédemption, elle a accepté son sort. De quoi nous rassurer un peu...
Et enfin, une autre explication (bien qu'il en existe de nombreuses autres), cette fois beaucoup plus terre à terre est aussi à prendre en compte.
La Guémara dit dans Kétouvot (page 30) et dans Baba Batra (page 124) : "Tout vient des cieux sauf les maux de froid et de chaud" (Pakhim, Tsinin - coup de chaud et coup de froid, comme l'explique Rachi dans une de ses deux explications dans Baba Batra). Le Ritva dans Baba Batra (Ibid) explique que le chaud et le froid ne sont que des exemples donnés, mais qu'en réalité, toute chose qui pourrait nuire à l'homme, s'il néglige de s'en protéger comme "des aliments qui néfastes, etc.", dit le Ritva, entre dans cette catégorie. Et Rachi explique dans Kétouvot qu'ils peuvent endommager la personne, bien que D.ieu ne l'ait pas décrété : "Sans le décret du Roi" (Rachi).
Pourtant, le Ramban nous dit dans Chémot (13:16) et le 'Hazon Ich abonde à le développer que : "La foi en D.ieu est de savoir qu'il n'y a pas de hasard dans le monde, tout est dirigé par D.ieu dans les moindre détails" (Emouna Oubita'hon, chap. 2). Comment se fait-il donc qu'un homme puisse subir une punition qui ne lui aurait pas été décrétée ?
Les choses sont très subtiles et très fines, mais les grandes lignes sont qu'il y a plusieurs sortes de Providence Divine, dont celle de Pahim Tsinin (chaud et froid). Ces facteurs providentielles sont responsables du fait que si un homme sort en hiver sans son manteau, il risque de tomber malade, sans son masque en période de Corona, il risque pire, mais ces causalités sont une des sortes de gérances dont D.ieu se sert pour la maîtrise cachée de Son monde et le maintien du libre arbitre. Cela n'enlève rien au fait que, parfois, un homme peut ne pas tomber malade même s'il sort sans manteau, ne pas être contaminé s'il sort sans masque, car ses mérites l'ont peut-être secouru, ou bien qu'il ne pouvait pas le savoir et donc est exempté de la "punition" due à la nonchalance (parfois seulement)...
Mais dans certains cas, D.ieu laisse un homme aux conditions "naturelles" dont il sera la victime s'il n'a pas fait le nécessaire pour s'en protéger. Tantôt par punition pour vouloir violer les lois établies de la nature auxquelles D.ieu tient, tantôt pour avoir surestimé ses mérites, etc.
Comme je vous l'ai dit, chacun des éléments de réponse n'est peut-être pas LA réponse à cette question, mais je doute qu'en l'absence d'un prophète nous pourrions réellement l'avoir. En attendant, je vous laisse ces quelques éléments de réflexions qui sont vraies, pour poser en vous les bases d'une analyse saine et rationnelle d'après la Torah.
Cordialement.