Bonjour,
Je vous écris en ce jour pour vous faire part de mon interrogation quant à la pérennisation des Minhaguim (coutumes) et comportements Séfaradim au fil du temps.
En effet, comme il apparaît dans notre génération, la Hachkafa (mode de pensée) Ashkénaze a, de façon directe ou non dans la période d'après-guerre, influencé grandement notre communauté allant jusqu'à changer les habitudes des familles dans leur foyer.
Je m'explique.
En tant que descendant d'émigrés d'Afrique du Nord (Tunisie, mais cela se pose aussi dans la communauté issue du Maghreb en général), les habitudes qui étaient présentes pendant des siècles ont été bouleversés par une adoption de masse d'habitudes jusque là véhiculées par une période de restructuration du peuple juif après la guerre par les communautés Ashkénazes.
Par exemple, d'après plusieurs témoignages que j'ai pu écoutés de personnes natives du Maghreb, il apparaît que seuls les Talmidé 'Hakhamim d'un certain niveau portaient le Talith Katan et non la communauté dans son ensemble.
Cependant, comme on le voit aujourd'hui, il est devenu standard pour une personne se revendiquant un minimum orthodoxe de porter ce vêtement qui équivaut, comme le disent les Sages, à toutes les Mitsvot réunis.
Autre exemple, le fait de dire que l'homme juif doit se différencier du Goy ne justifie en rien une tenue noire (costume) avec un chapeau, comme c'est le cas aujourd'hui dans la communauté 'Harédit (orthodoxe).
En effet, il ne suffit pas de chercher très loin pour remarquer qu'à aucun moment les juifs Séfarades (Maroc, Tunisie, Algérie, Irak) ne s'habillaient de cette façon, qui encore une fois montre l'impact de la communauté Ashkénaze de notre communauté...
Mais malheureusement, cela ne s’arrête pas là, puisqu'aujourd'hui, les gens considèrent que la meilleure éducation se fait dans les établissements Ashkénazes, constituant bien évidemment les étapes prépondérantes de la vie d'un enfant ('Hédèr, Yéchiva, Collel...), et comprenant bien entendu ses méthodes, étant à l'origine réservées à cette communauté, qui est en soi louable.
Or, la Torah exprime également le fait de ne pas s'éloigner de la Torah de sa mère et d'écouter les paroles de son père, alors il est évident que lorsque l'on rencontre de nos jours des enfants ou jeunes qui ont totalement perdu cette héritage si riche qu'est l'héritage Séfarade, au niveau de sa Hachkafa, son Limoud (étude) etc. pour adopter un mode de vie et de pensée Ashkénaze, on ne peut qu'exprimer un minimum de peine et d'empathie pour toutes ces générations qui ont oeuvrées à la préservation de ces pratiques pendant des siècles transmis par des Grands Maîtres si nombreux qu'on ne pourrait les citer.
Pour conclure, je doute que l'on pourrait se permettre de réfuter l'argument cité ici quand il représente le constat net de la situation actuelle.
Kol Touv.
Chalom Ouvrakha,
Tout d'abord, je tiens à préciser que ma mère est tunisienne, mon père algérien, mes premiers Rabbanim marocains, et que j'ai étudié dans des Yéchivot Ashkénazes. Je dirige une synagogue et une communauté Séfarades, et exerce en parallèle le rôle de Dayan (juge rabbinique) au Beth Din du Rav Chlomo Zalman Grossman qui est Ashkénaze, et auprès de qui j'ai le plaisir de prendre conseil et de m'instruire.
Tout cela pour vous assurer que j'aime et respecte tout le monde.
Mais pour analyser le problème et trouver une solution, nous sommes contraints d'avoir un esprit critique, mais 'Hass Véchalom, que D.ieu me préserve d'accuser ou de vexer qui que ce soit, je ne fais que soulever des évidences et des différences qui vont nous permettre de comprendre le problème.
J'ai beaucoup hésité à répondre, car ce sont des sujets qui se discutent de vive voix et non par écrit, mais, partageant votre réaction et vos sentiments, j'ai décidé de vous écrire malgré la très grande difficulté que cela me pose.
Il est vrai que, chez les Séfaradim, nous pouvons constater qu'ils n'attachaient pas trop d'importance au Talith Katan (et à la Kippa) et à tout ce que vous soulevez dans votre question. Mais, tout d'abord, il faut comprendre que les Rabbanim Séfaradim en général évitaient de faire des reproches à leur entourage, peut-être par crainte de les repousser et d'obtenir l'effet inverse.
On peut constater que les Rabbanim, comme Rav Raphaël Baroukh Tolédano et Baba Salé, qui ont très sévèrement condamné les écoles de l'Alliance, n'ont pas été écouté ! On peut aussi constater que d'autres Rabbanim n'ont pas protesté ouvertement contre ce fléau (à l'exception peut-être de Rav Kalfon Hacohen de Djerba).
Ma mère (que D.ieu lui donne une longue vie) me raconte qu'à Tunis, il y avait un groupe de filles qui partait à la plage Chabbath. Aussi, il y avait beaucoup de Hilloulot de Tsadikim qui étaient réalisées sans respecter les règles minimales de Tsniout (pudeur), et les Rabbanim en général n'intervenaient pas.
On ne peut donc pas tirer de conclusion sur des coutumes de personnes qui n'étaient pas proches de leur Rav, puisque le Rav ne leur faisait pas de reproche. Peut-être qu'il fallait mettre un Talith ou une Kippa, mais que le Rav ne protestait pas, comme il ne protestait pas pour d'autres choses.
Aussi, les Séfaradim se sont toujours un peu sous-estimés - ce que l'on va cataloguer comme "Anava" (humilité) -, et cette humilité leur a parfois joué des mauvais tours... Ils se sentaient tellement petits qu'ils ne se sentaient pas à la hauteur de mettre un Talith Katan etc.
Et c'est là où nous devons apprendre des Ashkénazim (comme l'a soulevé à plusieurs reprises le Rav Its'hak Yossef) : avoir des grandes ambitions pour pouvoir arriver à quelque chose.
Beaucoup de Rabbanim Séfarades deviennent très vite rabbin de petites communautés ou dans des Mochavim etc., mais il faut vouloir plus (je reprends les paroles du Rav Its'hak Yossef).
En ce qui concerne l'habillement, cela changera toujours en fonction des époques et des endroits. Même à Kissé Ra'hamim, qui est la seule Yéchiva à ma connaissance qui étudie avec les méthodes Séfarades d'avant, on se vêtit d'une veste et d'un chapeau noirs. C'est là aussi une forme de distinction, tout en restant sobre, et de réaliser que le Ben Torah (homme de Torah) est important, tout autant qu'un soldat qui porte son uniforme.
Notre génération et notre époque nous contraignent à employer des grands moyens pour contrer les tentations extérieures tellement fortes, et peut-être bien qu'il y a 100 ans, le monde (surtout Séfarade) n'avait pas besoin de tout ce dispositif pour combattre le monde laïc etc.
En ce qui concerne les écoles etc., Baroukh Hachem, aujourd'hui, nous sommes plus ou moins à la page, et nos écoles, Yéchivot, et Collelim équivalent à celles de nos frères. Nous avons eu beaucoup de mal à réaliser quelque chose de potable; cela est peut-être dû au fait que nous sommes beaucoup plus "chauds" et ouverts. Les Séfaradim peuvent se retrouver en famille, même si celle-ci est à peine traditionnaliste. Cela joue parfois des mauvais tours en ce qui concerne l'éducation des enfants (et je sais de quoi je parle). Par contre, la rigueur et la froideur Ashkénazes (on peut retrouver cette mentalité chez certains marocains) leur a donné plus de facilité à réussir leur éducation religieuse.
Néanmoins, la grande majorité des Yéchivot Séfarades ("Porat Yossef" inclus - sous l'égide du grand Rav Chalom Cohen) ont choisi la méthode d'étude Ashkénaze, car c'est celle qui convient le mieux à notre époque.
Et cela ne pose pas de problème, tout celui qui tient à garder ses racines peut trouver "sa" place dans une Yéchiva comme "Kissé Ra'hamim" ou autres. A "Porat Yossef", par exemple, le Machguia'h (directeur spirituel de la Yéchiva) est Ashkénaze. Les Ba'hourim (jeunes hommes) en général n'ont plus la force de tenir une étude avec la méthode Séfarade.
Garder la Torah de sa mère, c'est garder les coutumes qui touchent à la Torah, c'est-à-dire la Halakha, comme par exemple ne réciter que deux Brakhot de "Haguéfèn" le soir du Séder de Pessa'h (coutume Séfarade), mais cela n'est pas dit en ce qui concerne la cravate ou le chapeau que l'on met, ou la façon avec laquelle l'on va aborder un thème talmudique...
Je peux être tunisien, marocain, etc., et étudier à la Yéchiva de Brisk ou à Poniowitz. Certes, il me sera difficile de trouver un Minyan qui suivra mes coutumes, et là, chacun se débrouille comme il peut. Moi-même, à la Yéchiva, j'organisais des Minyanim de Séli'hot Séfarades dans une synagogue à côté de la Yéchiva...
Je suis moi-même abonné au journal du Rav Abdelhak de Beth Chemech, qui combat pour sauvegarder les coutumes marocaines. Je possède aussi des livres comme le 'Alé Hadass, qui me guide dans nos coutumes. Il y a aussi un livre extraordinaire du Rav Tolédano de Ramot (Divré Chalom), où sont rapportés tous les Minhaguim des juifs du Maroc (Brakha sur le Hallel à Roch 'Hodech etc.).
Je voudrais aussi ajouter un point important. Ce n'est pas uniquement "à cause" des Ashkénazim que nous avons perdu beaucoup de nos coutumes, mais c'est aussi en grande partie à cause des Séfaradim eux-mêmes !
Je m'explique. Le Gaon Rav Ovadia Yossef, ainsi que tous ses enfants, sont d'avis que le Choul'han Aroukh est le Rav de tous les juifs de la terre d'Israël (qui suis-je pour contester l'avis de ces géants, mais ce n'est pas l'avis de beaucoup de Rabbanim); c'est donc qu'ils ont instauré :
- Le 'Halak Beth Yossef pour les Séfaradim (alors qu'à Tunis nous ne mangions pas 'Halak Beth Yossef, comme l'écrit le 'Alé Hadass, et dans certains endroits du Maroc non plus),
- La Brakha sur les bougies de Chabbath avant l'allumage (alors qu'à Tunis, comme l'a dit ma grand-mère - que D.ieu repose son âme -, on avait l'habitude de dire la Brakha après l'allumage, comme le rapporte le Kaf Ha'haïm, que certains Séfarades disent la Brakha après, et ainsi écrit le Rav Mazouz dans la préface de son Michna Broura, et d'autres encore).
- Pas de Brakha pour le Hallel de Roch 'Hodech (alors qu'au Maroc et en Tunisie, on la disait).
- Les Téfilines de Rabbénou Tam (alors que chez les Séfaradim, cette Mitsva n'était réalisée que par les grands Tsadikim).
- La sortie de Chabbath et Yom Tov comme Rabbénou Tam (alors que dans tous les manuscrits qui se trouvent chez moi, il est clair qu'aucun Séfarade ne faisait Rabbénou Tam, malgré le fait qu'ils connaissaient tous cet avis).
Il ressort donc de tout cela que le changement géographique, bon grés mal grés, a des répercussions sur nos coutumes; c'est un fait ! Il faut savoir trouver un juste équilibre avec l'état de fait que nous vivons.
Je reçois souvent des Ba'hourim qui cherchent à savoir où étudier, et, selon le Ba'hour, je constate que l'étude Séfarade ne leur conviendra pas, et je les dirige parfois alors vers des Yéchivot Ashkénazes qui leur conviennent. Parfois aussi, je vois que cela peut tout à fait leur convenir, et je les dirige alors vers la Yéchiva du Rav Mazouz, par exemple (Kissé Ra'hamim). On ne peut pas casser un enfant pour garder des coutumes !
En conclusion, il faut trouver sa place et avoir un équilibre, c'est l'essentiel.
Je vous souhaite beaucoup de Na'hat.
Kol Touv.