Bonsoir,
Je ne suis pas juive, mais sioniste.
C'est quoi être juif si on n'est pas religieux ?
Chalom,
Vous posez une excellente question.
Dans un premier temps, il est nécessaire de vous donner un bref aperçu du contexte dans lequel est apparue l'idéologie sioniste.
Le sionisme est une idéologie politique née dans un contexte socioculturel et géopolitique bien précis. Il résulte pour ainsi dire de la conjonction de deux facteurs : d'une part l'émergence du mouvement de la Haskala (mouvement dit des "Lumières juives", en écho au mouvement philosophique des "Lumières" dans la société environnante) vers la fin du 18ème siècle, qui a entraîné une assimilation importante dans les communautés juives européennes, amenant à une sécularisation majoritaire de ces communautés (on parle de 90% de juifs assimilés à la veille de la Shoah).
D'autre part, l'émergence du mouvement dit des nationalismes en Europe vers 1870, autour de l'idée d'Etat-nation, avec l'accession consécutive à ce mouvement d'un certain nombre de petits peuples, notamment dans les Balkans, à l'indépendance.
Les tenants de la Haskala et notamment le plus célèbre d'entre eux, Moïse Mendelssohn, étaient au départ des juifs religieux qui se sont ouverts à la culture non-juive environnante et notamment à la philosophie. Mendelssohn, constatant le peu de crédit accordé par le public allemand et notamment les théologiens à une pièce de théâtre écrite par l'écrivain et philosophe allemand Gothold Ephraïm Lessing "Les juifs" (1749), qui mettait en scène un juif accomplissant un acte héroïque et désintéressé, comprend qu'il lui sera extrêmement difficile, voire impossible de parvenir à déraciner par ses écrits, l'antisémitisme allemand. Il décide alors de se tourner vers la communauté juive en décidant délibérément de l'initier à la culture allemande, s'imaginant que par cette démarche les Juifs se rapprocheront de la population locale et qu'il sera mis un terme de ce fait à l'antisémitisme. Pour ce faire, il décide de traduire en allemand littéraire le Pentateuque. Cette traduction est publiée entre 1780 et 1783.
Le résultat de cette démarche est le déclenchement d'un mouvement d'assimilation de grande ampleur. Quatre-vingt ans après, l'antisémitisme n'a toujours pas disparu et a même redoublé de force ; en témoigne l'Affaire Dreyfus en France (1894). Face à cet échec patent de la Haskala, les tenants de ce mouvement décident de changer leur fusil d'épaule. Puisque l'assimilation en masse n'a pas fait disparaître l'antisémitisme, loin de là, c'est que la cause de l'antisémitisme ne doit pas être la méconnaissance de la culture non-juive par la communauté juive mais doit résulter d'un autre facteur.
Désormais, pour l'intelligentsia juive Ashkhénaze et laïque, le facteur responsable de l'antisémitisme est la dispersion du peuple juif à travers le monde, qui entretient des clichés comme "le juif errant" ou "le juif apatride". La réponse à cet antisémitisme sera donc la création d'un Etat juif, comme l'écrit Théodore Herzl dans son livre "L'Etat juif" (1896). Cette nouvelle idée est évidemment inspirée par les différents mouvements nationalistes qui font alors florès en Europe.
Plus de soixante-dix ans après la création de l'Etat d'Israël, force est de constater sans l'ombre d'un doute que l'antisémitisme n'a pas disparu. De cette brève vision d'ensemble, il ressort que l'analyse aussi bien des tenants de la Haskala que du sionisme était erronée. L'antisémitisme a d'autres causes qui nous sont révélées par les Sages et ni l'assimilation ni la fondation d'un Etat juif n'ont pu le faire disparaître.
Le judaïsme n'est assimilable à aucune idéologie politique ; ainsi que l'a exprimé magistralement Rabbénou Saadia Gaon dans son célèbre ouvrage "Séfer Haémounot Véhadé'ot" : "Notre nation n'en est une que par sa Torah". En d'autres termes, l'essence nationale du peuple juif est consubstantielle à la Torah. Il ne peut exister aucune définition du peuple juif qui fasse abstraction de son essence exclusivement spirituelle.
Or précisément, c'est là que se situe le débat avec le sionisme, puisque cette idéologie moderne a tenté de donner une autre définition du peuple juif sur des critères purement nationalistes, tels que l'appartenance à une terre ou le fait de parler une même langue. Cependant, comme le rapporte Aharon Guitlin dans son livre "Judaïsme de la Torah et Etat d'Israël", nos Sages nous enseignent que le Klal Israël (le peuple juif) est un concept unique qui ne peut être défini parce qu'il ne se rattache à aucune catégorie traditionnelle existante. Les notions de "nation" ou de "religion", couramment employées dans le jeune Etat d'Israël, sont des notions traduites et empruntées au langage des peuples et qui ne s'appliquent qu'à ces peuples et nullement au peuple juif. Le peuple d'Israël est une création unique en elle-même : "Ce peuple, Je l'ai créé pour Moi" (Yécha'ya 43, 21), "Ce peuple, Tu l'as acquis" (Chémot 15, 16) et "La pensée qui a présidé à la création d'Israël a devancé toute chose" (Béréchit Rabba 1, 2).
Le peuple d’Israël, explique Rabbi Yéhouda Halévy dans le Kouzari, est une entité séparée du reste de la création. La différence qui réside entre lui et les autres peuples ressemble à la différence qui existe entre le règne animal et le règne végétal ou encore entre l’animal et l’homme. C’est dans cet esprit que le Zohar peut affirmer que D.ieu, la Torah et le peuple d’Israël ne constituent qu’une seule chose. La Torah, quant à elle, constitue l’essence même du peuple juif. Ce n’est qu’après avoir reçu la Torah au mont Sinaï que nous fûmes appelés "peuple", comme il est dit : "Aujourd’hui, tu es devenu un peuple" (Dévarim, 26, 9). Sans la Torah, ce n’est pas seulement qu’il manque quelque chose au peuple d’Israël, mais il cesse d’être.
Votre adhésion au sionisme ne vous positionne pas comme un futur membre du peuple juif mais vous octroie en quelque sorte un statut de sympathisant de la cause juive. Si vous désirez un jour vous convertir, il vous faudra adhérer au contrat exclusif qui lie le Créateur de l'univers et Son peuple. En d'autres termes, il vous faudra adhérer à la pratique de la Torah et de ses commandements, ainsi qu'en comprendre l'esprit et les grands principes.
Pour répondre à votre question, il ne rime à rien d'être non-religieux quand on est juif. C'est un contresens ou davantage encore un non-sens. Dans les faits, cela n'est possible que parce que le judaïsme, bien qu'étant de l'ordre d'une appartenance spirituelle, se transmet de manière filiale, indépendamment du niveau de pratique et de conviction du transmetteur de l'identité juive aussi bien que du récepteur.
Cependant, lorsque l'on souhaite devenir juif, cela n'est possible qu'en adhérant à l'essence spirituelle du peuple juif, à l'exclusion de toute autre considération.
En vous souhaitant lucidité, courage et réflexion !