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Cacheroute du chocolat noir & cuves non nettoyées

Rédigé le Mardi 6 Décembre 2022
La question de Gabriel M.

Bonjour,

J'aimerais adresser cette question à Dan Cohen, que je félicite et remercie pour tout ce qu'il fait au sein de Torah-Box.

Concernant le chocolat produit chez les non-juifs, vous avez affirmé que les cuves ne sont pas nettoyées avant de produire du chocolat noir. C'est donc ceci qui lui donne le statut 'Halavi.

Cependant, pourquoi ne pas considérer que le reste de lait est annulé dans la grande quantité de chocolat qui est introduit dans la cuve ?

Ce sont des produits fabriqués par des non-juifs, pour des non-juifs, il me semble qu'on n'invoque pas le principe de "Ein Mévatlim Issour Lékhat'hila".

De plus, même dans les productions Cachères (Badats Yérouchalayim) de chocolat, la mention trace de lait est aussi présente alors que le statut est Parvé.

Deuxième question : est-ce que, selon vous, il serait permis de consommer un chocolat où il est mentionné explicitement "absence de trace de lait" ?

Merci beaucoup.

En attendant votre réponse, on se contentera de se régaler avec vos enseignement et vidéos passionnantes.

La réponse de Dan COHEN
Dan COHEN
2836 réponses

Bonjour,

Je vous remercie pour vos encouragements.

En préambule, je me dois de rectifier quelques éléments de votre question.

1. Mon affirmation sur le chocolat noir ne vise pas particulièrement le chocolat des non-juifs, mais tout le chocolat produit, dans toutes les usines de confection. En effet, de manière générale, un industriel ou un artisan, qu'il soit juif ou non, n'a aucune raison de posséder plusieurs conches, ni de réserver certaines conches à la confection du chocolat au lait et d'autres à la confection du chocolat noir. Donc, de fait, et sauf exceptions, les conches sont présumées utilisées pour le chocolat noir et le chocolat au lait.

2. Si on ne lave pas les conches à l'eau entre deux productions, c'est parce que l'eau détériore le chocolat. Ca n'est pas que ça qui confère le statut de chocolat 'Halavi au chocolat noir, comme je vais l'expliquer.

3. Je n'ai jamais dit qu'il fallait invoquer le principe selon lequel "on n'annule pas un interdit a priori" dans notre cas.

4. La mention "trace de lait" ou, de manière générale, toutes les mentions "traces de ..." n'ont absolument aucun impact sur la Cacheroute, que ce soit dans les productions sous surveillance rabbinique ou non. Il s'agit de simples avertissements allergènes, sans conséquence sur la Cacheroute. Pour se protéger juridiquement contre des attaques, les marques précisent la présence de "traces de lait ", dès que l'usine travaille avec du lait, même si le produit en question n'en contient absolument pas. Pas étonnant donc qu'il y ait des mentions "traces de lait" dans du chocolat Parvé sous la surveillance de la 'Eda 'Harédit.

Je réponds à présent à vos questions :

Ce que j'ai dit, c'est que le chocolat noir confectionné dans des conches où l'on a fabriqué du chocolat au lait est interdit et 'Halavipour les personnes qui ne consomment que du lait surveillé.

Chaque mot de cette phrase a son importance, en particulier les mots en gras.

Selon la plupart des décisionnaires, le lait des non-juifs a été interdit par les sages par un décret élaboré en comité rabbinique (Gzéra Chébéminyan), à moins qu'un juif n'assiste à la traite. Il s'agit donc d'un décret très fort, et immuable, qui demeure, même si la raison du décret n'est plus. Seul un quorum rabbinique aussi important en nombre et en sagesse pourrait revenir sur ce décret.

Il est vrai que chez les A'haronim, on trouve plusieurs avis qui tendent à modérer la rigueur de cet interdit. La liste ci-dessous est non exhaustive, mais elle donne les avis principaux sur la question.

1. Le Pri 'Hadach considère qu'il ne s'agit pas d'un véritable décret, et que si la raison à l'origine du décret n'est plus, il serait permis de consommer du lait non-surveillé. (Il affirme que lui-même consommait du lait non-surveillé à Amsterdam, comme c'était l'usage.)

2. Rav Moché Feinstein considère qu'aux Etats-Unis la coercition de l'Etat se substitue au contrôle du Juif, et que le lait des coopératives est considéré comme du lait surveillé. De nombreux Rabbanim pensent que cette autorisation peut s'étendre à la France, en vertu du décret du 25 Mars 1924 mis à jour dans sa dernière version le 16 mars 2017 selon lesquels : "La dénomination "lait" sans indication de l'espèce animale de provenance, est réservée au lait de vache."

"Tout lait provenant d'une femelle laitière autre que la vache doit être désigné par la dénomination "lait" suivie de l'indication de l'espèce animale dont il provient : "lait de chèvre", "lait de brebis", "lait d'ânesse", etc...."

En France, la sanction en cas de fraude est prévue à l'article L.213-1 et L.213-3 du Code de la consommation : prison ferme (2 ans) + amende de 37.500€.

Cette nomenclature est reprise à l'échelon européen, notamment dans l'Annexe XII du RÈGLEMENT (CE) No 1234/2007 DU CONSEIL du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement «OCM unique»).

On y voit clairement que le terme "lait" employé "seul", ne peut concerner que le lait de vache extrait naturellement par traite.

3. Le Tsits Eli'ézer et Rav Tsvi Pessa'h Frank se montrent stricts sur le lait à l'état liquide, mais pas sur le lait en poudre, suite à un long et brillant développement. Rav Tsvi Pessa'h Frank considère même qu'il est plus facile d'autoriser la poudre de lait que le beurre des non Juifs, pourtant autorisé par une partie des Guéonim, pris en compte par le Rambam et le Choul'han 'Aroukh.

4. Le 'Hazon Ich. Bien qu'il repousse le brillant raisonnement du Rav Tsvi Pessa'h Frank sur la poudre de lait avec un argument extrêmement pertinent, il envisage à partir du Pri 'Hadach et du raisonnement de Rav Moché Feinstein de ne pas interdire le lait non surveillé, ou, du moins, selon certains avis, de l'autoriser dans certains cas particuliers (sans se prononcer trop explicitement).

Donc les 4 avis cités relativisent l'interdit de lait non-surveillé, en particulier de nos jours, dans les pays développés, et en particulier pour la poudre de lait non-surveillé, comme c'est l'usage dans la fabrication des chocolats.

Mais en faisant abstraction de ces 4 opinions brillamment représentées par les Rabbanim cités, si on se contente d'une lecture littérale du Choul'han 'Aroukh, le lait non surveillé devrait être strictement interdit à la consommation. Et cette opinion aussi est défendue encore de nos jours par d'autres Rabbanim non moins brillants tels que Rav Moché Sternbuch.

Revenons à nos moutons. Si on utilise du lait dans une conche, à chaud, et que l'on ne nettoie pas la cuve, celle-ci a absorbé un goût interdit : le goût du lait. Dans la prochaine production de chocolat noir, la cuve va "recracher" le goût du lait interdit dans le chocolat noir, le rendant intégralement interdit. On est dans un cas de Nat Bar Nat Dé Issoura. (goût second interdit). Cela est même aggravé par la présence d'un reste de lait interdit dans le fond de la cuve. C'est exactement comme si on avait cuit une viande non-Cachère dans une marmite, qu'on avait laissé un fond de jus de viande et qu'on avait ensuite cuit une viande Cachère. On ne dira jamais que la viande interdite est annulée dans la viande Cachère, car il faudrait pour cela que les parois de la marmite représente moins d'un soixantième de son contenu, ce qui est impossible. Il en va de même pour la cuve de chocolat.

Le fait que le lait interdit soit interdit par les sages et que la viande interdite le soit par la Torah n'y change rien. Nat Bar Nat Déissoura Béissour DéRabbannan reste interdit.

On pourra éventuellement considérer qu'il y a un Bitoul uniquement si on considère, comme les 4 avis cités, que le lait non surveillé n'est pas interdit.

La raison pour laquelle j'ai précisé que les cuves ne sont pas nettoyées à l'eau était surtout pour montrer qu'il n'y a aucun espoir de Cachérisation entre deux productions, surtout dans des usines qui fonctionnent en trois/huit, donc ouverts 24/24h 7/7j, où l'on ne pourra évidemment pas invoqué le principe de Stam Kélim Chel Goyim Enam Bné Yoman (les ustensiles propres des non Juifs sont réputés ne pas avoir été utilisés pendant 24h).

En résumé :  si le Consistoire affirme que le chocolat est fabriqué dans un équipement laitier et que vous considérez que le lait non surveillé est interdit, il vous faudra considérer que le chocolat est interdit et 'Halavi.

Voici en conclusion 3 avis notables sur la question :

1. Le Consistoire considère qu'un chocolat noir confectionné dans une conche qui a contenu du lait non surveillé est Cachère et Parvé. (Car il considère que le lait non surveillé est autorisé)

2. Rav Wolff, Av Beth Din d'Amsterdam fait une distinction entre les personnes qui s'autorisent le lait non surveillé et les autres. Pour lui les personnes qui s'interdisent le lait non surveillé doivent considérer que le chocolat est interdit et 'Halavi.

3. La 'Eda 'Haredit considère qu'un chocolat noir confectionné dans une conche 'Halavite est 'Halavi, même s'il s'agit d'un lait surveillé. Ils se montrent stricts même dans un  cas de Nat Bar Nat Dé Eteira.

Concernant votre deuxième question : l'absence de mention de "trace de lait" n'est pas un gage de Cacheroute. Un chocolat peut poser des problèmes de Cacheroute pour d'autres raisons, notamment les arômes. Il est nécessaire d'acheter les chocolats avec une surveillance rabbinique ou à défaut les chocolats présents sur une liste de Cacheroute comme celle du Consistoire.

Kol Touv.

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