« Et ceci est la loi du Nazir : le jour où seront emplis les jours de son naziréat, il le fera venir (Yavi Oto) à l’entrée de la tente d’assignation. » (Bamidbar 6,13)

La Torah détaille ce que le Nazir doit faire à la fin de son naziréat (durant lequel il ne but pas de vin et ne se coupa pas les cheveux). Les commentateurs soulignent l’emploi d’une expression inhabituelle – il le fera venir [pour parler de lui-même]. Il aurait été plus simple et plus logique d’écrire « il viendra ». Personne d’autre ne l’amène, alors à quoi la Torah fait-elle référence quand elle affirme qu’il soit « se faire venir » ?

Le Méchekh ’Hokhma explique qu’un homme devient Nazir, parce qu’il sent que ses désirs le submergent, qu’il n’est plus maître de lui-même et qu’il a donc peur des conséquences du vin. Pour reprendre le contrôle de sa propre personne, de ses passions et de ses désirs, il devient Nazir et choisit de s’abstenir de vin.

Mais comment peut-il être sûr que son naziréat a atteint le but souhaité ? D'après le Méchekh ’Hokhma, quand il considère ses actes comme il verrait les actions d’autres personnes, c’est le signe que l’objectif a été réalisé[1]. Celui qui est soumis à un désir ne peut pas se voir objectivement et ce n’est que quand il parvient à être neutre, intègre avec lui-même, qu’il peut s’estimer libre de ses désirs.

Rav Issakhar Frand utilise l’analogie suivante. Imaginez que vous soyez au restaurant ou à un mariage et que vous voyez quelqu’un se servir exagérément ; il ajoute, dans son assiette déjà pleine, d’autres mets, sans s’arrêter. Vous voyez bien que cette personne est en surpoids. Vous vous dites : « Pas étonnant qu’il ait des kilos en trop, regarde tout ce qu’il a mis dans son assiette. » On voit tout de suite que cette personne souffre d’une alimentation déséquilibrée, il n’arrive pas à se maîtriser. Mais si l’on arrive à le voir de cette façon, c’est évidemment, parce qu’il s’agit d’une tierce personne.

Le naziréat est un processus dans lequel la personne doit reprendre le dessus au point de pouvoir se voir, à la fin du processus, comme quelqu’un de tout à fait différent de la personne qu’il était auparavant. Par exemple, un ancien alcoolique se souviendra de son ancienne situation quand il verra un homme qui souffre encore de cette dépendance. « C’était moi, j’étais comme ça. Il me suffisait de sentir une boisson alcoolisée pour ne pas pouvoir m’empêcher de boire… Mais je ne suis plus comme ça, j’ai repris le dessus ! »[2]

Le Méchekh ’Hokhma rapporte ensuite une Guémara[3] concernant le Nazir. Chimon Hatsadik était un Cohen qui témoigna n’avoir jamais consommé de sacrifice expiatoire provenant d’un Nazir à l’exception d’une fois. « Un jour, un Nazir arriva du Sud [et me demanda d’approcher pour lui un sacrifice]. Je lui ai demandé pourquoi il était devenu Nazir et il me répondit qu’étant berger, il alla une fois puiser de l’eau d’une source pour son troupeau. En voyant son reflet dans l’eau, son mauvais penchant s’éveilla. Le berger raconta : "Je lui ai dit : ‘Méchant ! De quoi te vantes-tu ? Je jure que je couperais tes cheveux en l’honneur du Ciel.’ " En entendant ceci, Chimon Hatsadik se leva, embrassa le berger sur le front et lui dit : "Mon fils, je souhaite qu’il y ait beaucoup de gens comme toi en Israël qui font vœu de naziréat avec de si nobles motivations !" »

Cette histoire est racontée de façon quelque peu étrange. Le Nazir parle de lui-même à la troisième personne. N’aurait-il pas été plus logique de dire : « Je me suis dit » plutôt que « Je lui ai dit » ? Le Bné ’Hiya[4] répond que ce Nazir comprit qu’il était dominé par son Yétser Hara et il décida de changer, de devenir quelqu’un d’autre. Il fut capable de sortir de lui-même et de voir objectivement ce qui se passait. C’est pourquoi il parle de lui à la troisième personne.

Cette idée ne se limite pas aux gens très dépendants de leurs désirs, mais elle s’applique à plusieurs domaines de la vie. Le Yétser Hara s’évertue à empêcher l’individu d’analyser rationnellement la situation et utilise les passions et les désirs de l’homme pour troubler son objectivité. Pour contrer ce piège du Yétser Hara, il faut être capable de prendre du recul et de réaliser que c’est le Yétser Hara qui s’adresse à lui et non le Sékhel (l’intellect). C’est le travail de toute une vie et pour y arriver, il faut l’accompagner d’étude de la Torah, d’étude du Moussar et d’introspection. Le Nazir est un homme qui, grâce à sa conscience (de ce que la Torah exige, de sa personne et de ses failles), peut sortir de lui-même et voir ce qu’il est devenu. Ce n’est qu’alors qu’il peut contrôler ses désirs et les utiliser pour le bien.

 

[1] Mechekh ’Hokhma, Bamidbar 6,13.

[2] Notons que même celui qui s’est défait d’une dépendance et qui est capable de voir les choses objectivement ne doit pas sous-estimer le danger de la rechute ; souvent une petite brèche risque d’enclencher un déclin spirituel qui le ramènera à ses anciennes mauvaises habitudes.

[3] Nédarim 9b.

[4] Rapporté par Rav Frand.