Parfois, certaines personnes traversent votre vie en apparence par accident, puis elles restent et ont un impact profond sur vous. Rabbi Méir Zlotowitz et moi nous étions contactés par téléphone à mes débuts, puis nous nous sommes entendus et sommes devenus très proches. Rabbi Zlotowitz a joué un rôle très spécial dans ma vie. Sa mort est un événement personnel pour moi.
Nous lisons dans la Torah : « Vayirou Kol Ha’am Ki Gova Aharon - La communauté, voyant qu’Aharon avait cessé de vivre » (Bamidbar 20,29). Moché, Aharon et Elazar ont gravi ensemble le Har Hahor. L’âme d’Aharon a quitté son corps et Moché et Aharon sont retournés au campement.
Rachi explique que lorsque le peuple a vu Moché et Elazar descendre de la montagne sans Aharon, il s’est demandé où il se trouvait. Lorsqu’on leur annonça qu’il était décédé, ils refusèrent d’accepter la nouvelle. « Ce n’est pas possible », s’écrièrent-ils. Comment était-il possible qu’Aharon fût décédé ?
Moché implora la compassion divine et les anges montrèrent au peuple l’image du Mita, le cercueil d’Aharon, et seulement alors le peuple le vit et le crut.
Raou Véhééminou.
Rav Chmouel Berenbaum se demande comment ces deux termes peuvent être employés. Réiya signifie voir, être capable de percevoir. La Emouna signifie de croire même si on ne voit rien du tout.
Comment ces deux concepts peuvent-ils être vrais ?
Le Roch Yéchiva de Mir a expliqué que le peuple ne pouvait envisager la possibilité qu’Aharon Hacohen, qui avait vaincu l’Ange de la mort et mis fin à une épidémie, pouvait être vaincu par cet ange de la mort.
Lorsqu’ils virent l’image du Mita, ils crurent enfin que l’inconcevable était devenu réalité. Aharon les avait quittés.
Il fallut passer par l’étape de la vision pour qu’ils y croient.
A l’issue du Chabbath, alors que la nouvelle de la disparition de Rabbi Méir Zlotowitz circula, un grand nombre d’entre nous eut un sentiment similaire. Comment était-ce possible ? Un homme d’une telle énergie, de vie et d’action qui incarnait la vie même.
Il était toujours en perpétuel état de mouvement, pensant, agissant, parlant, écrivant, communiquant, produisant, et voyageant aller et retour d’Erets Israël. Comme était-ce possible qu’il soit soudain mort ?
Puis, nous intégrâmes la nouvelle.
Il était parti. Une légende nous avait quittés.
Il avait pénétré dans des domaines où personne ne s’était aventuré. Le besoin était présent, mais personne ne l’avait saisi. Il publia un livre, un Séfer en anglais sur la Méguilat Esther, et ainsi, il créa et combla le vide. Il passa le reste de son existence à ressentir les manques et à les combler.
Le premier livre a été publié comme Hakarat Hatov, signe de gratitude à un cher ami défunt. Peut-être comme récompense pour la grande Mitsva d’exprimer sa Hakarat Hatov, il a été récompensé pour avoir été le Chalia’h, l’envoyé d’une révolution en Torah.
Il y a de nombreuses années, je l’avais aidé dans un certain domaine. Il ne l’a jamais oublié. Il me rappelait souvent cette faveur et exprimait son appréciation bien après le délai de prescription. C’était embarrassant à quel point il me remerciait à ce sujet, mais il était comme ça. Il était férocement loyal, un grand ami sur lequel vous pouviez toujours compter pour de bons conseils, des plaisanteries révélatrices, et surtout une amitié à l’ancienne.
J’aurais aimé publier quelques livres au fil des ans, mais je ne lui ai jamais demandé, car cette amitié était plus importante pour moi que tout, et je ne voulais pas qu’il pense que c’était un moyen pour arriver à mes fins.
Il insistait pour que je l’appelle oncle Méir, et je m’y pliai volontiers. Je ne me sentais pas vieux jeu ou banal. Cela sonnait juste. Pour moi, il était comme un oncle préféré, qui encourage et conseille et est toujours présent pour partager de bons moments. C’était un ami précieux, un mentor apprécié, et un avocat loyal et passionné. Il va me manquer.
Il a enrichi les vies des Juifs de langue anglaise partout. Il a créé plusieurs genres qui n’avaient jamais existé par le passé.
Lorsqu’il avait fini un projet majeur, on pensait : « Ok, il l’a fini. Que va-t-il faire à présent ? ». Et lorsque vous pensiez qu’il n’y avait plus de nouveaux horizons à conquérir, il vous prouvait le contraire.
Ce Chabbath dernier, j’étudiais la Paracha dans le ‘Houmach Mikraot Guédolot qu’il avait publié. On peut vous pardonner de penser : « Pourquoi publier encore un autre Mikraot Guédolot ? Il y en a tellement sur le marché ». Mais, de même que son Siddour a modifié la manière dont les gens prient et nombreux sont ceux qui ne penseraient pas à prier dans un autre support, comme le Siddour d’Artscroll est le plus présent dans chaque synagogue du monde entier, de même que son ‘Houmach est le ‘Houmach de choix où que vous vous alliez, ce Mikraot Guédolot ouvre de nouveaux horizons, et l’étudier est un plaisir spécial.
Ce qu’il a fait pour le Siddour et le ‘Houmach, il l’a fait pour les Michnayot, la Guémara, le Midrach et tant de livres. Il a mis à profit son esprit particulièrement tranchant pour produire des livres propres, soignés et beaux, avec une police de caractères adaptée et une mise en page parfaite pour que les mots sautent de la page et pénètrent dans votre cœur.
Il y a un ‘Houmach Artscroll pour les étudiants et les érudits, et un commentaire novateur sur les Michnayot en anglais et hébreu. Il y a des Siddourim avec des traductions et sans, et si vous aimez avoir la traduction en-dessous des mots, il existe un tel Siddour pour vous aussi, ainsi qu’un pour les débutants et pour ceux qui prient depuis des décennies. Il y a un Téhilim pour l’étude, et pour la récitation, et il y en a même un en gros caractères, ce qui est plus facile pour se tourner vers Hachem. La Guémara a été une révolution en soi. Standard partout où vous vous rendez, l’édition Schottenstein est à sa place aussi bien dans la maison du Rav Eliachiv que dans un Beth Midrach de Satmar.
Il a publié des biographies de grandes figures que personne n’avait publiées jusque-là. Il a produit des romans et histoires pour enfants, des livres de ‘Hizouk et d’inspiration, des livres de Halakha accessibles à tous, et des commentaires sur le ‘Houmach. Il popularisa l’étude et la connaissance de l’histoire et de la pensée juive, permettant à des générations d’étudier et d’apprécier la Yiddishkeit, le judaïsme authentique. Pour lire un bon livre, il n’était plus nécessaire de se rendre à la bibliothèque et les biographies ne se limitaient plus à celles de présidents ou de dirigeants laïcs. Regardez vos étagères et comptez combien vous voyez d’ouvrages Artscroll. Observez la variété et remerciez Rav Zlotowsky pour avoir rendu cela possible. Et vous ne devez pas uniquement le remercier pour les livres d’Artscroll. Grâce à lui, le monde des publications orthodoxes est grand ouvert, et de nombreuses autres maisons d’édition suivent la voie qu’il a tracée.
Avant que cette idée ne germe dans son esprit, notre monde était plus pauvre et plus sombre. Des livres étaient publiés sporadiquement, et même alors, ils visaient un public limité.
On se rappellera de lui dans beaucoup de domaines, qu’il a affectés par son impact. Qui peut estimer combien de Torah, de Halakha, d’informations et d’inspiration il a lancé ?
Mais pour moi, c’était bien plus simple que cela.
Il y a deux ans, nous étions tous deux à Jérusalem pour Chavou’ot. Je lui rendis visite à l’hôtel Plaza, où il séjournait toujours. Nous étions assis dehors et il faisait extrêmement chaud. La température frisait les 40 degrés. Je retirai ma veste.
Oncle Méir me lança un regard critique : « Tu devrais porter une veste peu importe la chaleur, même si personne ne se trouve autour. Mes enfants ne m’ont jamais vu sans veste et cravate. »
J’appréciai le commentaire, même la leçon de morale inhérente, car c’était bien plus profond que cela en avait l’air. Ce n’était pas un conseil de mode, c’était un conseil pour la vie.
Sachez qui vous représentez, sachez qui vous êtes, et sachez ce que vous pouvez faire.
Tout autant qu’il était un rebbe en Torah du peuple juif, il était un enseignant en ce sens qu’il menait une vie pour poursuivre une Chli’hout, un sens de la mission. Il incarnait le don d’être capable de comprendre et de suivre les messages envoyés par les Cieux. Il était prêt à entendre l’appel à l’action et à aller de l’avant.
Il était plus grand que nature, mais lorsque vous vous trouviez en sa compagnie, il était un gars ordinaire, classique, sympathique, agréable, drôle et normal.
La mission et une vie ordinaire formaient un tout chez lui. Il n’était pas lourd, sombre ou si concentré qu’il en devenait incapable de voir au-delà de son but. Bien au contraire. Il avait un regard bienveillant pour ceux qui agissaient en faveur du Klal et pour toute personne qui se sentait investie d’une Chli’hout, d’une mission.
La veste était le signe de l’estime qu’il ressentait face à cette Chli’hout. Il avait la vision et le cœur d’un homme qui diffuse la Torah, sous le couvert du prestige et du professionnalisme d’une multinationale. Il dirigeait Artscroll avec précision et efficacité, mais le produit phare était la Torah même. Ses yeux s’illuminaient lorsqu’il parlait des Talmidé ‘Hakhamim exceptionnels de son équipe, les écrivains et les éditeurs, son Kollel, comme il aimait le surnommer.
Il détestait le terme de « visionnaire », préférant la version qu’il avait simplement saisi l’occasion lorsqu’elle s’était présentée et n’avait jamais regardé en arrière. Ce n’était pas un projet. C’était un jeune homme de Yéchiva, un élève du Rav Moché Feinstein qui tenait une affaire d’imprimerie. Il imprimait des cartons d’invitation et instillait la joie chez ces familles.
Si la célèbre histoire du Natsiv est applicable, elle l’est à Rabbi Méir Zlotowitz. Le Natsiv célébra en grande pompe la publication de son ouvrage et se rappela à quel point il était presque devenu cordonnier. Il décrit à quoi sa vie aurait ressemblé s’il était devenu un cordonnier honnête offrant des chaussures de qualité à des clients reconnaissants, il aurait senti sa réussite. Puis, il s’imaginait arriver au Ciel après 120 ans et la Cour Céleste l’aurait mis au défi : « Où est le Méromé Sodé ? Où est le Haamek Chéél ? Où sont les livres classiques que tu aurais pu écrire ? ». Et il n’aurait eu aucune idée de quoi ils parlaient.
Rabbi Méir était cet imprimeur d’invitations, un homme honnête et respecté, qui était sur tous les points un bon Juif. Et puis un jour, il découvrit qu’il était destiné à bien plus. Et il ne l’oublia jamais. Il passa le reste de sa vie à son « Méromé Sodé ».
Sa veste était toujours sur lui, prête et attendant des ordres, un Chalia’h prêt à agir.
Je me souviens d’une histoire qu’il m’avait relatée un jour.
C’était le jour de la condamnation horrible et choquante de Chalom Mordékhaï Rubashkin. Nous avions attendu une condamnation beaucoup plus légère, ou une grâce, et puis la nouvelle affreuse du verdict cruel était tombée.
Nous étions sous le choc. Nous avions un rassemblement organisé pour ce soir-là à Boro Park et ne savions comment le gérer. De manière étonnante, environ dix mille personnes y participèrent, pour se joindre à ce malheur et prier. On me demanda de prendre la parole, mais j’étais littéralement perdu, je ne savais pas quoi dire.
Rabbi Méir m’appela lorsqu’il apprit le verdict. Nous en parlâmes un peu. Je lui parlai du rassemblement et du fait que je devais prendre la parole. « Laisse-moi te raconter une historie fascinante. Raconte-la au rallye. »
Il me raconta une histoire qu’il avait entendue du Rav Ya’acov Eliezer Schwartzman sur un élève étudiant à Kletzk venu chez son Roch Yéchiva, Rav Aharon Kotler, pour demander une Brakha afin qu’on le trouve impropre au service militaire russe.
Il paniqua et expliqua au Roch Yéchiva qu’il se rendait dans une autre ville, à une heure de là, où il pensait pouvoir trouver des documents pouvant l’aider à éviter la circonscription forcée.
Rav Aharon lui donna sa Brakha.
Le lendemain, le jeune homme se rendit à la gare pour prendre le train en direction de la ville voisine. Il n’avait aucune idée de ce qui l’y attendait. Il n’avait que de l’espoir. Alors que le train commençait à produire de la vapeur et à avancer un peu, il regarda par la fenêtre et vit Rav Aharon courir frénétiquement de wagon en wagon en frappant sur les vitres. Il appelait : « Ba’hour ! Ba’hour, vu bist du ? Où es-tu ? »
Le jeune homme ouvrit la fenêtre et s’écria : « Rebbe, rebbe, vos iz ? Qu’y a-t-il ? »
Rabbi Aharon lui cria, couvrant le son du train, de la gare et des gens : « Je viens de recevoir un télégramme : des papiers t’attendent dans le Shtetel où tu te rends. Bochur, ihr zolt nit zorgen, ne crains rien ! Tes papiers t’attendent là-bas. »
La station de train était à une heure de la Yéchiva. Rav Aharon avait couru pendant une heure pour atteindre la gare puis une heure de retour à la Yéchiva pour éviter à l’élève l’incertitude.
Les papiers étaient là-bas, mais Rav Aharon voulait que le jeune homme le sache de suite, pour dissiper sa douleur et son angoisse plus tôt. Il courut une heure dans chaque sens pour pouvoir dire au jeune homme : « Ne crains rien ».
« Chalom Mordékhaï, dis-je à la foule ce soir-là. Ihr zolt nit zorgen. La Yéchou’a, la délivrance va venir » (puissions-nous la voir vraiment bientôt). C’était la phrase-clé, un message d’espoir et des mots de ‘Hizouk de Rav Zlotowitz à Chalom Mordékhaï et aux gens en détresse rassemblés ce soir-là.
Quelqu’un qui fait du Chimouch, qui sert les Takmidé ‘Hakhamim possède ce sens de la réaction, il sait ce qui est approprié et adéquat. Rabbi Méir était au service des Talmidé ‘Hakhamim par quintessence. Sa relation avec ses Rabbanim le définissait. Il s’entretenait chaque jour avec le Rav David Feinstein, parfois plus d’une fois, et il voyageait avec le Roch Yéchiva en vacances d’été.
Les gens évoquent son charisme et la force de sa personnalité. Ce qui attira les autres à lui et ce qui rendait sa fréquentation si agréable, c’était son authenticité. Il se considérait comme une personne ordinaire avec une grande Chli’hout, cela ne lui est jamais monté à la tête. Il travaillait dur pour garder ses relations. Invariablement, il était parmi les premiers, accompagné de sa merveilleuse épouse, à participer à nos Sma’hot, nos fêtes de famille, un type ordinaire avec tout le temps au monde pour participer à la fête d’autrui. Il était ami de mes enfants également, avec toujours un mot gentil, une belle pensée, et une raison pour sourire et être optimiste. Ils se sentaient proches de lui et appréciaient sa compagnie.
Pendant une période, son fils et le mien étaient dans la même classe à la Métivta de Long Beach. Il m’appelait régulièrement pour me faire savoir que son fils lui avait dit que mon fils réussissait bien. Pendant des années, il me posait des questions sur ce fils. « Comment va-t-il ? Comment va ton fils qui était en classe avec ‘Haïm ‘Haikel ? J’ai un intérêt particulier pour lui », me disait-il. Il avait un sens rare de raffinement et d’amitié.
Il aimait les bonnes blagues et il donnait le sentiment à ceux qui avaient moins réussi que lui d’être son égal.
Il découvrit la distinction cruciale entre se prendre au sérieux et prendre ce que vous représentez au sérieux.
Une fois, il y a plusieurs années, il me téléphona.
« Pinny, tu as abîmé ma troisième chemise cette année. Ça suffit », me dit-il.
Il s’expliqua : « Je n’aime pas l’encre que vous utilisez pour le Yated. Elle est bon marché et elle déteint sur mes doigts et ma chemise. Change-la. »
Puis, il ajouta : « Si cela se produit à nouveau, c’est toi qui paies mon pressing », et il éclata de rire.
C’était Reb Méir - l’exigence d’excellence et de perfection en présentant la Torah, le respect pour ces véhicules qui reflètent son idéologie et vérité, et la blague très humaine qui s’ensuivit.
Nous apprenons dans la Paracha de cette semaine que lorsqu’Aharon Hacohen est mort, « Vayivkou Oto Kol Beth Israël - tous les Bné Israël, hommes, femmes et enfants, pleurèrent sa disparition » (Bamidbar 20,29).
Rabbi Méir, tu as fait de nous des gens meilleurs. Tu nous as rassemblés, car tu as vécu en plus grand. Tu nous as élevés en nous rendant la Torah accessible et belle, et nous a relié à ses pages. Tu étais un trésor national nous unissant dans la joie partagée de la Torah.
Oui, tu as été, oncle Méir, un cher ami avec lequel nous avons ri et pleuré. Tu as été un élève de la condition humaine et a magnifiquement contribué à notre monde. Tu étais un géant.
Et nous pleurons, nous tous, savants et élèves, érudits et ignorants, adultes et adolescents, Ba’alé Téchouva et religieux de naissance. Tu nous as donnés la vie même.
Ton nom, Méir, signifie illumine. Méir, tu nous as montré comment un gars ordinaire peut illuminer le monde par la lumière de la Torah, la clarté en Halakha et en Hachfaka, la lumière de son sourire, sa personnalité et sa gentillesse. Méir, tu as été si brillant de si nombreuses façons et tu as mis cette luminosité à profit pour illuminer des dizaines de milliers de vies.
Une lumière s’est éteinte.
Yéhi Zikhro Baroukh, que son souvenir soit une bénédiction.
Rav Pin’has Lipschulz - Yated