Le célèbre texte de Echet ’Haïl que nous récitons chaque vendredi soir (bon nombre d’entre nous en fredonnent déjà la mélodie, n’est-ce pas ?) est analysé par le Midrach qui fait un parallèle entre les différents versets et quelques figures féminines du peuple juif. Les deux premiers versets du poème (composé par le roi Chlomo, Michlé chap.31) se réfèrent à Sarah...
Plus exactement, le Midrach relie le premier verset à Avraham et Sarah (en tant que couple) et le deuxième verset à Sarah uniquement.
Pourquoi une telle différence entre les deux versets ? Et qu’y a-t-il de spécial dans le premier verset pour y mentionner les deux conjoints (chose qui ne se reproduit plus tout au long du poème) ?
Commençons par expliquer le sens du mot « ’Haïl » - « une femme « vaillante ». Désigne-t-on une femme cavalière, robuste, « gaillarde » ? Pourquoi la femme idéale ne reçoit-elle pas plutôt l’attribut de « pieuse », « vertueuse » ?
Le mot « ’Haïl » est utilisé dans la Torah pour parler de richesse (Dévarim 8,17), de zèle et d’honnêteté (Chémot 18,21 ; voir interprétations du Ramban et du Daat Mikra). Si l’on associe les trois définitions de ’Haïl (riche, travailleur et craignant D.ieu), on obtient une femme remarquable. Sa fortune découle de son zèle et de son efficacité. Elle a un but, sait que sa vie menée avec honnêteté et intégrité doit être conforme à la volonté divine et aux valeurs de la Torah.
Revenons au Midrach. Il associe le premier verset de Echet ’Haïl au couple « Avraham + Sarah ».
Dans leur œuvre sociale (bienveillance et générosité envers les autres et diffusion du monothéisme et du message divin), Sarah et Avraham travaillaient indépendamment, chacun dans son domaine d’influence (Avraham convertissait les hommes et Sarah convertissait les femmes), afin d’atteindre l’objectif commun ; celui de glorifier le Nom d’Hachem.
Sarah resta la partenaire fidèle et idéale d’Avraham. En dépit des dangers et de l’opposition des hommes les plus influents de l’époque, et malgré la mort de son père (Haran) qui fut tué pour avoir suivi Avraham et avoir cru en un D.ieu unique, elle se tint constamment aux côtés de son mari.
Par ailleurs, Sarah se montra la plus fervente adepte de son époux. Elle fut prête à tout pour Avraham, même quand cela sous-entendait un sacrifice de sa part. Estimant que sa stérilité ne devait pas empêcher Avraham de perpétuer son héritage dans le monde, elle encouragea ce dernier à épouser sa domestique (elle proposa un mariage légitime, pour que Hagar ne soit pas qu’une simple mère porteuse ou concubine – cela ne seyait pas à Avraham Avinou !). Hagar devint donc l’égale, voire la rivale de Sarah, sur les conseils de celle-ci et par la suite, elle se permit de se moquer de la stérilité de la maîtresse de maison !
Mais cela ne freina nullement notre Matriarche. À quatre-vingt-dix ans, Sarah passa la journée la plus chaude de l’année, sans climatiseur ni réfrigérateur, à préparer un banquet pour les visiteurs d’Avraham — des hommes (des anges) qu’elle ne rencontra même pas.
Un an après la visite des anges, Sarah eut le bonheur d’être mère et de donner naissance à Its’hak. Et là, Sarah passa de la partenaire idéale et de l’adepte la plus fervente, à la contestataire la plus radicale ! Réalisant que la présence d’Ichmaël (jeune homme immoral, agressif et aux comportements tout à fait antithétiques aux valeurs défendues par Avraham) menaçait l’élévation spirituelle de son propre fils Its’hak – et donc de l’ensemble du peuple juif –, elle exigea qu’Avraham renvoie Hagar et son fils de leur foyer. Avraham fut déchiré par cette demande. En renvoyant Hagar, il rejetait également son fils. En tant qu’homme de bonté, il estimait que cela allait à l’encontre de tout ce pour quoi il s’était toujours battu.
Bien qu’elle lui demandât de faire quelque chose de difficile, elle n’avait que son intérêt (celui d’Avraham) en tête. Avraham devait prendre en compte les soucis de Sarah, étant donné qu’ils provenaient de profondeurs spirituelles et non de considérations mesquines. Hachem lui dit d’ailleurs explicitement : « Tout ce que Sarah te dit, écoute sa voix. » Ce fut certainement le plus grand cadeau qu’elle fit à Avraham – lui lancer un défi assurant l’avenir de la nation juive.
Elle ne fut pas une contestataire égoïste, mais là aussi, une véritable partenaire ; les objectifs d’Avraham étaient les siens, dictés par ceux d’Hachem — et cette perception guida ses actions.
Avraham et Sarah furent les partenaires ultimes. La mention du couple dans le Midrach nous enseigne que l’on ne peut pas devenir une Echet ’Haïl toute seule. La vraie grandeur s’atteint quand le partenariat avec notre conjoint nous permet de fonder un foyer basé sur des objectifs spirituels communs. Ce partenariat exige une disposition à travailler en équipe, et parfois à travailler seule, à être en seconde place en suivant l’autre et parfois à prendre un rôle principal et à exprimer un avis contraire. Mais il exige aussi une disposition à toujours rester fidèle à notre ambition commune – celle de fonder un foyer basé sur la volonté divine.