Rav Ungar était le Rav de la synagogue du ‘Houg ‘Hatam Sofer de Bné Brak. La synagogue comptait 350 fidèles, dont la majorité était des rescapés de la Shoah portant des numéros tatoués sur le bras.
Akiva Steinberg, l’un des fidèles de cette synagogue à Bné Brak, était aussi un rescapé de la Shoah. Lors de cette terrible période, il perdit son épouse et six enfants. À l’âge de 30 ans, il resta seul, solitaire et démuni.
Un matin, plusieurs décennies plus tard, Akiva consulta le Rav de la synagogue, Rav Ungar, secoué par les pleurs : « Rav, j’ai fait un terrible rêve cette nuit, mais pour le raconter au Rav, il faudra d’abord que je vous raconte mon passé. »
« Je suis arrivé à Auschwitz au mois de ‘Hechvan de 5705. J’ai perdu toute ma famille le jour de mon arrivée au camp. On m’a tout de suite envoyé pour des travaux forcés dans une usine de charbon. Au terme de ma première journée de travail, après avoir vécu le meurtre de mon épouse et de mes six enfants, je m’allongeai sur la planche qui me servait de lit, brisé et désespéré.
« Je sentis soudain quelqu’un me toucher doucement l’épaule. C’était un Avrekh nommé Rav Arié. « Akiva, me dit-il, nous n’avons rien étudié aujourd’hui, étudions quelque chose. »
Rav Arié avait perdu ce jour-là ses huit enfants. C’était un érudit et il connaissait les Guémarot par cœur. Nous avons commencé à étudier ensemble, et Rav Arié me fit véritablement revivre. Je ressentis dans ma chair le sens du verset : « Car elle (la Torah) est notre vie… et nous l’étudierons jour et nuit. »
« Un soir, au mois d’Adar, allongé sur ma planche, Rav Arié me dit : "Akiva, dans moins d’un mois c’est Pessa’h - comment pourrons-nous manger un Kazayit (mesure requise) de Matsa ? Comment pourrons-nous accomplir l’injonction : 'Le soir vous consommerez des Matsot' "?! Rav Arié, m’écriai-je, désespéré, de quoi tu parles ? Nous sommes ici à Auschwitz ! Où pourrons-nous trouver ici de la Matsa ? » poursuit Akiva.
« Akiva », répondit posément Rav Arié, « Ne parle pas comme ça, nous sommes certes à Auschwitz, mais D.ieu est omnipotent, et toute personne qui cherche à se purifier bénéficie d’une aide divine. Ne t’inquiète pas, nous aurons le mérite de consommer un Kazayit de Matsa… »
« Cette nuit-là, les bombardements ne cessèrent pas. Les avions ennemis faisaient sauter des arsenaux d’armes. Le lendemain de Pourim, en marchant comme d’habitude en direction de l’usine, nous découvrîmes que deux bombes étaient tombées sur l’entrepôt de blé. C’était un entrepôt immense contenant des tonnes de blé destiné à nourrir l’armée allemande. Le blé s’était dispersé sur toute la surface, formant une couche magique de graines. C’était incroyable : nous avions rêvé la veille d’un peu de blé, et voilà, nous étions à présent entourés de toutes parts de blé.
Lorsque nous sommes rentrés du travail tard dans la soirée, je me suis empressé de ramasser deux poignées de blé, l’une pour moi et l’autre pour Rav Arié, qui fut au comble de la joie. »
Akiva poursuit en décrivant au Rav Ungar comment ils trouvèrent des pierres, avec lesquelles ils broyèrent le blé qu’ils transformèrent en farine. « Toutes les nuits, nous broyions, jusqu’au 5 Nissan. Nous préparâmes alors la pâte : eau, farine, que nous mélangeâmes. Nous l’avons étalée, puis avons fait des trous avec des clous. Nous avons ensuite placé la Matsa dans le four et au bout de 3 minutes, nous avons obtenu de la Matsa Laméhadrine. Nous avons préparé deux Kazétim pour chacun. J’ai caché la Matsa sous ma chemise, et nous sommes revenus au camp, les mains sur la poitrine pour protéger la précieuse Matsa.
Faisons un accord : je mange la Matsa et toi, tu reçois la récompense
« Arrivés au camp », poursuit Akiva, « l’un des gardes remarqua ma position bizarre et s’écria : « Jud (Juif), que caches-tu ici ? » D’un mouvement brusque, je retirai ma main du corps, et des bouts de Matsa tombèrent sur le sol gelé.
Le nazi ne se suffit pas de ce geste, et avec ses bottes cloutées, écrasa la Matsa. Pour finir, il me frappa brutalement. « Je m’effondrai sur la Matsa, ayant perdu connaissance. Au bout de quatre minutes, je repris conscience. Je souffrais terriblement, mais je me rappelai que je possédais un trésor. Une Matsa écrasée, certes, mais par laquelle il était possible de réaliser la Mitsva de consommation de la Matsa. Ensanglanté, je me traînai jusqu’à ma planche, tenant en main mon précieux trésor. »
« De retour sur ma couchette, tout endolori, je montrai à Rav Arié le Kazayit qui restait. Rav Arié fondit en larmes : « Tu as cherché les épis de blé, tu as reçu des coups pour la Matsa, mais de grâce, aie pitié de moi, comment pourrais-je passer la nuit du Séder sans manger de Matsa ? »
« Rav Arié », répondis-je sur un ton ferme. « Je te cède le repas du soir de demain et d’après-demain, mais pour la Matsa, « Ta vie a la préséance », je ne peux y renoncer ! »
Rav Arié m’implora : « Akiva, s’il te plaît, donne-moi la Matsa, je réciterai avec toi toute la Haggada de Pessa’h, mot à mot, je t’en supplie, donne-moi la Matsa ! » « Ce n’est pas négociable, la Matsa m’appartient ! » répondis-je en m’obstinant.
Arié se redressa alors : « Tu sais quoi ? Concluons une affaire. Moi, je mange la Matsa, et toi, tu en reçois le salaire. Le salaire immense de « En fonction de la souffrance, se mesure le salaire" ! J’acceptai sa proposition. Il la mangera, et le salaire de la Mitsva m’appartiendra.
Le soir du Séder. « Nous rentrâmes du travail, brisés, nous n’avions pas les 4 coupes, la Matsa - à peine des miettes d’un Kazayit, mais le Maror (représentant l’amertume), tout le monde en avait en abondance. Nous nous allongeâmes sur la planche et récitâmes la Haggada en versant d’abondantes larmes. »
« Je ne tins plus le coup et je m’endormis, affaibli par les pleurs et l’épuisement, mais Rav Arié qui mangea la Matsa, n’arrivait pas à s’endormir tant il était ému d’avoir réussi à manger un Kazayit de Matsa dans l’enfer d’Auschwitz.
« Le lendemain matin, il commença à prier Cha’harit en remerciant abondamment le Créateur. Au moment de la prière du Hallel, il avait oublié où il se trouvait. En récitant « Acher Kidéchanou - qui nous a sanctifiés » il hurla d’émotion, venue du plus profond de son cœur pur. Le gardien allemand arriva à toute allure, plaça son pistolet sur sa tête et appuya sur la gâchette. Son âme pure et purifiée sortit, il mourut Al Kiddouch Hachem, en sanctifiant le Nom divin, le premier jour de Pessa’h.
« J’étais totalement brisé », relate Akiva en pleurs. « Rav Arié était mon Rav, ma référence spirituelle, il m’avait soutenu dans ce terrible enfer, comment pouvais-je tenir sans lui ? D.ieu me donna d’immenses forces pendant 30 jours supplémentaires. Le 17 Iyar, les Américains arrivèrent. C’était la fin de la guerre. Je pesai 36 kilos, juste la peau et les os. Je n’avais plus goût à la vie.
« Mais D.ieu, Père compatissant, ressuscite Lui-même les morts. Peu à peu, je me remis. Je fondai un nouveau foyer, grâce à D.ieu, et j’ai eu le privilège d’avoir quatre enfants et déjà dix petits-enfants.
Hier soir, Rav Arié, resplendissant, m’est apparu en rêve
« Hier soir, 33 ans après cette majestueuse soirée du Séder, Rav Arié m’est apparu en rêve, vêtu d’une silice blanc.
« Où es-tu, Rav Arié ? » lui demandai-je. « Je suis dans un lieu tout de lumière », répondit-il. « J’ai eu le privilège d’être tué en sanctifiant le Nom de D.ieu. Cela fait 33 ans que j’attends l’occasion de t’aborder. Aujourd’hui seulement, l’autorisation m’a été accordée. Akiva, pour toutes les Mitsvot que j’ai faites dans ce monde-ci, j’ai reçu un immense salaire, mais pour une Mitsva que j’ai accomplie, je n’ai pas reçu de salaire : la Mitsva de consommation de la Matsa le soir du Séder de l’an 5705, car nous avions conclu un accord que le salaire de la Mitsva te revenait.
« Akiva, si tu me cèdes le salaire, je pourrais recevoir l’immense salaire de cette Mitsva. Je t’en supplie, cède-moi ta récompense ! »
Je lui répondis : « Arié, je te donne tout ce que tu me demandes, mais la récompense d’une Mitsva - je n’y suis pas prêt ! » Rav Arié me quitta, le visage sombre, et c’est ainsi que je me réveillai. Akiva interrogea alors le Rav Ungar : « Dois-je lui céder ? C’est moi qui ai reçu des coups pour la Matsa, j’ai apporté les épis, un accord est un accord, pourquoi devrais-je renoncer ? D’un autre côté, il m’a tellement imploré… »
Le Rav Ungar, en entendant la question, garda le silence. Puis il finit par dire : « Il faut poser ce genre de questions à un Tsadik de la génération précédente, va chez le Rabbi de Machnovka, un Juif saint, doté d’un grand sens du sacrifice.
Le Rabbi de Machnovka écouta l’histoire et répondit doucement : « Par droiture, cède-lui ! » Il s’expliqua ensuite : « Cela fait 33 ans que cette histoire s’est déroulée, as-tu essayé de compter combien de Brakhot tu as eu le mérite de réciter pendant les 33 années écoulées ? Combien de Mitsvot, la mise des Téfilines, les Chabbatot, etc. et tu vas encore continuer pendant le reste de ta vie. Et le pauvre Rav Arié, il n’en a plus la possibilité, ne vaut-il pas la peine de lui céder ce mérite ? »
Akiva écouta les propos du rabbi et répondit de suite : « S’il en est ainsi, je renonce à ce salaire. » Mais le Rabbi de Machnovka ne se suffit pas de cette promesse. « Entre dans une synagogue, ouvre l’arche sainte, et là, près des Rouleaux de la Torah, déclare de tout cœur ton renoncement. »
Il était minuit. Akiva entra dans une synagogue et devant les Sifré Torah situés dans l’arche sainte, il s’écria : « Maître de l’univers, je cède à Rav Arié, de tout cœur, le salaire de la consommation de la Matsa de Pessa’h de l’année 5705. »
Épuisé, Akiva rentra chez lui et s’effondra sur son lit, épuisé et tout à ses pensées. Cette nuit-là, il fut surpris de voir à nouveau Rav Arié en rêve, le visage lumineux : « Merci, Akiva ! Ton renoncement a été accepté, je te remercie du fond du cœur. Grâce à toi, on m’a fait monter encore plus haut. Je n’ai pas de mots pour te remercier. »
Le lendemain matin, Akiva retourna chez le Rabbi de Machnovka pour lui relater le second rêve. Le Rav réagit en pleurant. « Tu m’as fait le récit d’un Juif saint, qui a vécu de grandes souffrances, dans la sainteté et la pureté, connaissant le Chass, se trouvant au niveau le plus élevé du paradis. Malgré tout, il lui vaut la peine de quitter le monde futur pour descendre ici-bas et implorer pour obtenir encore une Mitsva, car il ne peut plus en accomplir là où il se trouve. Or, nous vivons ici dans ce monde, où beaucoup de Mitsvot se présentent à nous, à portée de main, et que dirons-nous en Haut ?! Un jour, nous rencontrerons toutes les possibilités qui nous étaient offertes. Exploitons chaque instant de notre présence ici pour saisir le plus de Mitsvot possibles. »
Sachons apprécier le caractère précieux des Mitsvot, ne manquons pas les occasions qui s’offrent à nous, et puissions-nous accumuler des sacs entiers pour le monde à venir.