Mickaël : Bonjour Rav. Parfois, il m’arrive de ne pas être très rassuré par l’avenir. Les catastrophes naturelles, les crises sanitaires, les guerres, les problèmes d’argent... alors, on me dit d’avoir confiance en D.ieu, qu’Il me protégera de tous les malheurs, mais je vois qu’il existe des gens beaucoup plus pieux que moi, qui ont certainement une confiance en D.ieu bien plus grande que la mienne et qui ne sont pas épargnés pour autant… j’aimerais bien comprendre.
Le Rav : Bonjour Mickaël. Avoir confiance en D.ieu ne signifie pas qu’Il nous épargnera de toute épreuve. Avoir confiance en D.ieu signifie le fait de savoir que tout ce qui nous arrive est géré méticuleusement par Lui, et qu’Il agit toujours pour notre bien.1
Mickaël : Donc, croire en D.ieu et appliquer ses commandements ne nous assure pas la protection divine ?
Le Rav : Si, mais il faut bien discerner les deux choses : la confiance en D.ieu et l’accomplissement de Sa volonté. La confiance en D.ieu est le fait de savoir que D.ieu agit en toute circonstance pour notre bien, même si cela dépasse parfois notre entendement, comme un enfant qui sait pertinemment que son père ne lui veut que du bien.
L’accomplissement de la volonté divine, quant à elle, attire sur nous un flot de bénédictions et un halo de protection comme le dit la Torah « Si tu écoutes la voix de l'Éternel ton D.ieu, si tu t'appliques à lui plaire, si tu es docile à ses préceptes et fidèle à toutes ses lois, aucune des plaies dont j'ai frappé l'Égypte ne t'atteindra, car moi, l'Éternel, je te préserverai »2 ou encore « Or, si vous êtes dociles aux lois que Je vous impose en ce jour… Je donnerai à votre pays la pluie opportune, pluie de printemps et pluie d'arrière-saison, et tu récolteras ton blé, et ton vin et ton huile »3. Mais là aussi, il faut être circonspect, car tous les facteurs spirituels d’un individu sont à prendre en compte…
Mickaël : Que voulez-vous dire ?
Le Rav : Je veux dire que, parfois, notre jugement peut-être arrêté, nous lisons qu’un homme qui accomplit les commandements est béni et nous avons l’impression que cela est exclusif - s’il respecte les Mitsvot, il doit être béni - sans prendre en compte les autres paramètres qui pourraient venir entraver cette bénédiction.
Mickaël : Lesquelles ?
Le Rav : Les péchés par exemple… et nous en faisons tous, comme le dit la Torah elle-même : « II n'est pas d'homme juste sur Terre qui fasse le bien sans jamais faillir »4. Ils sont les principaux parasites de notre bénédiction.
Mickaël : On voit cependant de grands Tsadikim être victimes des grands malheurs. Là, les péchés ne sont pas proportionnels à leurs souffrances…
Le Rav : C’est vrai, mais pour ceux dont la souffrance ne se justifie pas par les actes, les Sages nous en ont dévoilé le secret. Laisse-moi te raconter une histoire que raconte l’un de nos Sages de l’époque médiévale5 pour t’introduire le concept en question.
Un jour, un homme alla étancher sa soif dans un puit. Pendant qu’il se penchait pour boire, sa bourse se décrocha de sa ceinture et tomba à terre, il n’y fit pas attention et repris son chemin. Après quelques instants, un autre homme vint lui aussi s’abreuver au puit. Sa surprise fut de taille lorsqu’il découvrit au bas de la source la bourse du premier homme. Sans hésiter, il s’empara de la bourse et s’en alla. Puis vint un troisième homme qui, après s’être désaltéré, en profita pour dormir un moment sur place. Entre-temps, le premier homme s’aperçut qu’il avait perdu sa bourse, il rebroussa donc chemin jusqu’au puits ; là, il vit le troisième homme allongé par terre, certain que ce dernier avait ramassé son porte-monnaie. Il lui somma de le lui rendre, l’autre se défendit, prétextant qu’il n’avait rien pris et le ton monta jusqu’à en arriver aux mains, au point que le propriétaire de la bourse tua dans sa colère le pauvre innocent.
D.ieu montra cette scène à Moïse, ce dernier demanda à D.ieu pourquoi l’innocent mourut et pourquoi le second passant acquit une bourse qui ne lui appartenait pas ?
Le Saint, béni soit-Il, expliqua alors à Moïse qu’en réalité, le père du premier homme (le propriétaire de la bourse) avait volé une sommes d’argent au père du second (celui qui a trouvé la bourse), de sorte que l’argent dérobé était revenu à son propriétaire initial par l’intermédiaire de son fils (qui méritait cette somme acquise par son père). Quant au troisième individu, celui mort sous les coups du premier, D.ieu révéla à Moïse qu’en réalité, il avait tué le frère du premier, de sorte que son frère (le propriétaire de la bourse) est devenu son vengeur de sang.6 D.ieu conclut « Tu vois maintenant Moïse que mes chemins sont vérité ?! »
Cette histoire vient nous enseigner que les chemins de D.ieu sont au-delà de notre entendement mais qu’ils sont tous justes et équitables. D’ailleurs le principe de réincarnation, prend en compte tout le processus que l’âme traverse pour se parfaire au travers de ses multiples passages dans ce monde. Parfois, lorsqu’une vie ne suffit pas pour s’accomplir totalement, D.ieu, dans sa grande bonté, donne une énième chance à l’âme s’il le faut pour qu’elle complète son but dans ce monde-ci. Parfois, certaines souffrances lui sont imposées pour racheter ses fautes passées, parfois c’est l’inverse et l’homme naît dans un environnement serein prompt à parachever son évolution. Chacun selon ses besoins…
Mickaël : A quoi bon s’adonner à la Torah pour qu’elle nous protège alors, si de toutes les façons les épreuves sont inévitables puisqu’elles viennent en rapport avec une autre vie ?
Le Rav : Tout d’abord pour ne pas en accumuler d’autres dans celle-ci ! De plus, les souffrances prévues pour le rachat de l’âme ne sont pas toujours définies, seules leur intensité est définie, leur “dosage”, mais la façon dont elles s’abattront sur l’homme n’est pas définie (mis à part quelques cas particuliers où, parfois, c’est l’homme lui-même qui demande à recevoir telle ou telle souffrance7). C’est pour cette raison que la Guémara dit que « Tous les êtres ont été créés pour l’effort (chacun selon sa cause), heureux celui dont l’effort est donné dans la Torah »8. La Torah nous révèle par là qu’il est possible de convertir sa souffrance en effort que l’on fournit dans la Torah, une sorte de choix du labeur. Donc, la Torah peut protéger même de ces souffrances prédestinées à l’homme…
Mickaël : Si j’ai bien compris ce que vous dites : croire en D.ieu, c’est le fait de savoir que D.ieu fait tout pour le bien. En revanche, c’est le respect des Mitsvot qui apporte la bénédiction à l’homme sauf s’il a des dettes à payer, et là aussi les Mitsvot peuvent acquitter la note… Donc, il n’y a pas vraiment de garantie d’être protégé de tout mal dans ce monde en fait…
Le Rav : Je reformule votre remarque si vous permettez : il n’y a pas de gage d’être protégé sans efforts dans ce monde ; car comme je l’ai dit, si l’homme s’efforce selon l’intensité qui lui est indispensable pour convertir ses épreuves en Torah – il les annule toutes !
Mais il existe autre moyen d’être garanti d’être totalement sous la protection divine, un moyen, qui lui non plus qui n’est pas sans efforts. Mais, cette fois, l’effort requis est différent et pas tout le monde n’en est capable. Cependant, la Torah assure que ce moyen est absolu, d’une efficacité redoutable.
Mickaël : Dites-moi tout !
Le Rav : C’est celui de la foi en D.ieu…
Mickaël : Mais vous avez dit il y a deux minutes que la foi n’aidait pas à cela !
Le Rav : Absolument, mais il y a deux sortes de foi. Celle conceptuelle – qui nous dit ce à quoi nous devons faire référence lorsque nous parlons de la foi en D.ieu, et puis il y a la foi active. Celle pour laquelle le Néfèch Ha’haïm affirme « C’est en réalité une grande et merveilleuse qualité ayant la capacité d’annuler tous les décrets et les volontés négatives à son encontre, afin qu’ils ne l’atteignent pas et qu’ils ne lui fassent aucun mal ; lorsque l’homme intègre dans son cœur le fait qu’Hachem est le D.ieu de vérité et qu’en dehors de Lui, il n’y a aucune puissance… D.ieu, à son tour, fait que pour lui aucune force ni aucune puissance ne peut agir contre lui »9 ou encore « Celui qui adresse toutes ses affaires et ses volontés à D.ieu par la confiance qu’il Lui porte se verra protégé par D.ieu et préservé de tout mal »10
Il s’agit de fixer jusqu’au plus profond de son cœur la toute-puissance divine et son unicité absolue afin d’être enveloppé de Sa présence. Cette conduite fait appel au principe de rétribution - Mida Kénègèd Mida - qui, par effet miroir, appelle Hachem à envelopper à son tour cette personne qui s’abandonne à Lui, lui ôtant toute embûche de son chemin… C’est un degré de foi en D.ieu que peu de gens ont la chance d’acquérir totalement, mais qu’il est tout de même donné d’atteindre, chacun selon son niveau.
1 ‘Hazon Ich, Emouna OuBita’hon, chapitre 2
2 Exode 15, 27
3 Deutéronome 11, 13-14
4 Ecclésiaste 7, 20
5Rabbi Yéhouda Even Choyv, Drachot Al Hatorah, Dévarim
6 Goèl Adam, dont la Guémara dans Makot explique qu’il avait le droit (où la Mitsva selon certains) de le tuer (voir là-bas les raisons de cette pratique).
7 Rabbénou Be’hayé, sur Deutéronome 22, 8, Gaon de Vilna
8 Traité Sanhédrin page 99
9 Rabbi Haïm de Volozhin, Néfèch Ha’haïm, 3e portique, chapitre 12
10 Elève du Rachba, Torat Hamin’ha, Vayétsé, voir aussi Midrach Téhilim chapitre 31, Chla Toldot Adam etc.