L'une des différences notables entre le judaïsme et d'autres religions tient au fait que le Tanakh ne lésine pas sur les critiques des grandes figures de l'histoire juive, tandis que d'autres religions brossent un portrait parfait de leurs héros. Une telle approche est étrangère à la vision de la Torah. En effet, nous sommes censés apprendre des erreurs de nos modèles, tout autant que de leurs traits de caractère positifs. De nombreux commentateurs expliquent que la Torah amplifie considérablement les fautes et erreurs des personnages vertueux, car leurs fautes ont été si infimes que nous ne pourrions les saisir si elles n'étaient pas gonflées.
Rav Eliyahou Dessler développe joliment cette idée.[1] Il commence par citer des exemples dans la Guémara où des actions répréhensibles a priori mineures d'illustres maîtres sont décrites très sévèrement. Par exemple, lorsque l'illustre Rav Safra ne parle pas exactement de la même manière que ce qu'il pense, son attitude est décrite comme un vol, alors que pour la majorité des gens, cela ne correspond pas à la définition du vol.[2] Rav Dessler explique que pour un homme doté d'un haut niveau, une erreur mineure est considérée comme une infraction bien plus grave que si un homme ordinaire en avait été l'auteur.
Ce principe est encore plus valable pour les grandes figures du Tanakh. Il cite la description des actions de Moché Rabbénou lors de l'épisode de l'eau amère, lorsqu'il frappa le rocher. Hachem affirma que Moché et Aharon devaient être punis en leur interdisant l'accès à Erets Israël, « car ils n'ont pas cru en Moi.» Il s'agissait visiblement d'une faute très grave. Or, les commentateurs ont le plus grand mal à discerner ce qu'ils ont fait de mal. Mais la Torah le décrit de cette manière, car du fait de leur niveau, cette attitude revenait à considérer qu'ils n'avaient pas d'Emouna (foi) en Hachem.
Rav Dessler cite également la Guémara[3] qui traite plusieurs endroits où le Tanakh semble affirmer que d'illustres personnages ont commis de graves fautes, comme la faute de Réouven qui a déplacé la couche de son père, la faute du roi David avec Batchéva, ainsi que la faute du roi Chlomo qui a épousé de nombreuses femmes. Dans le cas de Chlomo par exemple, le Tanakh affirme qu'il livrait un culte à d'autres divinités et a fait le mal aux yeux de Hachem.[4]La Guémara affirme que toute personne qui estime que Chlomo a fauté dans ce domaine se trompe. Il a fait erreur en ce qu'il n'a pas empêché ses épouses de se livrer à des cultes idolâtres. Ceci ne signifie pas que le Tanakh ne dit pas la vérité en affirmant que le roi Chlomo s'est livré au culte des idoles, mais que pour un homme de la stature de Chlomo, ce manquement est considéré sur le même plan que s'il avait véritablement adoré des idoles. Lorsque la Guémara affirme qu'il n'a pas fauté de cette manière, cela veut dire qu'au niveau d'un homme ordinaire, l'erreur du roi Chlomo ne serait pas considérée comme un réel culte des idoles.
La leçon du Rav Dessler nous enseigne qu'en abordant les erreurs de personnages illustres, nous devons veiller à ne pas les rabaisser à notre niveau et à leur imputer nos défauts, car cela leur cause un grand tort. De plus, les seules occurrences où nous pouvons débattre de leurs manquements est lorsque nos Sages, dans leur grande sagesse, nous affirment qu'ils se sont égarés. Mais nous ne sommes pas en mesure de découvrir des fautes dans leurs actions en l'absence de sources, n'ayant pas la faculté de les juger nous-mêmes.
Il est important de relever que même des mécréants dans le Tanakh ont souvent été des hommes de grande stature qui se sont égarés dans certains domaines. Il ne s'agit pas simplement d'hommes vils qui n'avaient aucune maîtrise de soi ni de connaissances de la Torah. En effet, nos Sages affirment qu'un grand nombre de rois mécréants, comme Yéravam, A'hav et Ménaché étaient de remarquables érudits en Torah. Pourquoi ont-ils alors fauté aussi gravement ? La Guémara[5] nous offre une juste perspective à ce sujet par le biais d'une remarquable interaction entre Rav Achi et le roi Ménaché. En étudiant la Michna qui traite des rois pervers, Rav Achi décrivit Ménaché comme son collègue, sous-entendant ainsi que Ménaché était du même niveau que lui dans l'étude. Cette nuit-là, Ménaché lui apparut en rêve et releva que Rav Achi l'avait nommé collègue. Ménaché posa alors à Rav Achi une certaine question de Halakha, dont Rav Achi ne connaissait pas la réponse. Ménaché s'exclama alors qu'il ne connaissait pas la réponse, alors qu'il se prétendait être le collègue de Ménaché ?! Après lui avoir livré la réponse, Rav Achi lui demanda pourquoi il livrait un culte aux idoles s'il était si érudit. Il répondit : « Si tu avais été vivant à l'époque, tu aurais soulevé le pan de ton manteau pour courir après ce culte. » Le lendemain, Rav Achi se référa au roi mécréant en le qualifiant de « notre maître. » Rachi explique que le Yétser Hara du culte des idoles était si puissant à l'époque qu'il était extrêmement difficile d'y résister. Ménaché expliquait à Rav Achi qu'un homme de sa génération n'aurait pas pu résister au désir d'adorer des idoles et l'aurait fait avec plus d'enthousiasme que lui. Nous ne pouvons concevoir ce genre d'épreuves, et de ce fait, même lorsqu'on évoque des rois mécréants, tels que Ménaché, il est important de ne pas les juger en s'appuyant sur notre perception du Yétser Hara.
Nous avons noté qu'il est impératif, dans notre étude du Tanakh, d'être simultanément conscient de deux points essentiels. D'abord, les récits du Tanakh nous concernent et nous devons nous évertuer à tirer des leçons de vie de la manière dont il dépeint les erreurs de ses protagonistes. Mais dans le même temps, nous devons rester vigilants afin de ne pas les rabaisser à notre niveau. Retenons enfin que leurs erreurs réelles ont été très différentes de la manière dont elles sont décrites dans le Tanakh.
[1] Mikhtav Mééliyahou, première partie p. 161-6.
[2]Makot, 24a.
[3]Chabbath, 55b-56b.
[4]Rois I, 11:5-6.
[5]Sanhédrin, 102b.