Chacune des quarante-deux étapes des Hébreux dans le désert peuvent être comprises, à un niveau spirituel, comme autant d’échelons que le juif se doit de gravir afin de parfaire son service de D.ieu.
Voyons à quoi correspondent la sortie d’Égypte et les quatre premières étapes : Ramsès Souccot, Etam jusqu’à Pi Hah’irot, la traversée de la mer rouge.
La sortie d’Égypte, Yéstiat Mitsraïm, c’est sortir de ses limites (le mot Mitsraïm, Egypte, étant de la même racine que Métsarim, étroitesse, limites). Des limites que, nous nous sommes fixées au cours de notre vie. Ces limites peuvent être la force des habitudes ou de son éducation, tellement ancrées en nous qu’il semble impossible de s’en détacher. On ne peut avancer dans ces conditions. Tout progrès dans le service de D.ieu doit d’abord passer par une sortie d’Égypte, une prise de conscience que les formatages de notre esprit doivent être parfois brisés.
Pourtant, après la sortie d’Égypte, nous nous retrouvons inévitablement devant la Mer rouge: après la décision de se parfaire viennent des obstacles qui semblent infranchissables au premier abord. Il faut alors se jeter à l’eau et être persuadé que D.ieu aidera… C’est la Méssirout Néfech, le don de soi.
Mais avant cela, trois étapes sont nécessaires. Ramsès, Souccot, Etam.
Ramsès : on chasse le Mal
Le nom Ramsès peut se décomposer de deux manières qui en fait ont la même signification :
Ra’am, où “Sèss” doit être considéré comme une valeur numérique : 120. Allusion aux 120 permutations des lettres du nom Elokim, qui selon la mystique juive, se trouve être la source des accusateurs et de la punition. Et Ra’am, le tonnerre, faisant allusion au “vacarme” de la Kédoucha, le dévoilement de l’Essence de D.ieu, qui permet de neutraliser la force des accusateurs.
Ou bien on peut lire aussi Ra’ Mésses : le Mal fond, se liquéfie.
Juste après la sortie d’Egypte et le dévoilement du Roi des rois, le Saint béni soit-Il, on se retrouve à Ramsès, le mal est comme annulé. Mais, il est important de le souligner, cela reste temporaire. C’est pour cette raison qu’il faut de suite se rendre à Souccot.
Lorsque le Juif sort de son Égypte personnelle, sa programmation de vie, de son mental, alors il s’affine spirituellement parlant, devient plus réceptif à l’Esprit et s’éloigne un peu de la Matière.
Mais, pour ne pas perdre tout cet acquis, il doit impérativement se rendre à Souccot.
Souccot : un environnement sain(t)
La Soucca, de manière générale, évoque le concept ‘hassidique de “Makif”, littéralement “entourant”. Ceci désigne des dévoilements spirituels qu’il n’est pas possible d’intérioriser. Cependant, il existe plusieurs sortes de “Makif”. Certains sont effectivement absolument hors de notre portée, mais d’autres comme celui de la Soucca est un “Makif qui agit sur le Pnimi”, l’intériorité de chacun, dont l’effet peut être consciemment ressenti. On pourrait traduire cette notion par “atmosphère”, “ambiance” ou “environnement”. Quelque chose d'imperceptible pour les cinq sens mais qui a indubitablement une influence sur nous.
Ainsi, dans notre service de D.ieu, lorsque de bonnes résolutions sont prises, il est nécessaire d’entrer dans les Souccot. En d’autres termes, l’homme doit se construire un environnement adéquat afin de contenir le dévoilement de Lumière produit par sa sortie d’Égypte. Sinon, cela disparaîtra.
Dans les mots du Rabbi de Loubavitch : “Les parois de la Soucca sont une séparation, elles séparent l’intériorité, le bon, de l’extérieur. Les parois sont le début du travail [...] de la construction. Chacun doit se définir des limites, un cadre, même pour ce qui concerne l’accomplissement des Mitsvot, du temps imparti à l’étude de la Torah ou du perfectionnement des traits de caractère.”
Le Skha’h : un filtre
L’autre condition essentielle de la Soucca, c’est le Skha’h, le toit. Il doit être végétal, détaché du sol et ne pouvant recevoir l’impureté. Le Rabbi de Loubavitch explique que la Mitsva de Soucca ne peut être accomplie que par un jeu d’ombre et de lumière. Encore plus que cela : l’ombre doit être supérieure à la lumière. Ainsi, tout comme avec les parois, on se retrouve avec un concept sinon de limite, au moins d’atténuation, de filtre. Le Rabbi ne développe pas cette idée, mais on pourrait peut-être extrapoler et avancer quelques explications.
Après le dévoilement de Lumière de notre sortie d’Égypte, la tentation est forte de vouloir tout faire, tout de suite. Gravir les échelons du perfectionnement moral en un bond. C’est ce que provoque cette Lumière, ce réveil de l’étincelle divine cachée en nous. Mais attention, même cela doit être maîtrisé. La lumière doit être filtrée pour pouvoir être bénéfique et créer ce “Makif” dont nous parlions plus haut.
Souvent, dans la ‘Hassidout, le végétal désigne les Midotes, les traits de caractère qui comme les plantes poussent et se développent en s’élevant vers le Ciel. La Lumière doit être filtrée à l’aune de nos Midot. En d’autres termes, il faut encore une fois que le Juif sache adapter le dévoilement divin de la Téchouva à l’état actuel de son niveau spirituel. Il doit laisser passer la Lumière selon ce qui peut être intégré, selon l’état actuel de ses Midotes.
Une installation... temporaire
La bénédiction dans la Soucca, c’est “Léchev Bassoucca”, s’installer dans la Soucca. Le Juif doit s’efforcer de “s’installer” dans sa Téchouva. Mais attention ! L’installation dans la Soucca reste précaire (‘Araï). Il ne faut pas croire que les progrès accomplis sont acquis. Les murs de la Soucca doivent tenir sous un vent modéré, pas sous une tempête. En d’autres termes, cette étape spirituelle nous permet d’installer nos nouvelles bonnes attitudes et habitudes dans notre quotidien. Un quotidien sans anicroche. Mais quant à tenir sous les tempêtes que la vie nous réserve, c’est encore un autre travail.
Il faut donc faire attention à ne pas rester coincé à Souccot. Ne pas croire que lorsque l’on a mis un peu d’ordre dans sa vie, qu’on a créé une atmosphère de Torah et Mitsvot, alors c’est acquis, ad vitam æternam. Cela reste précaire, “’Araï” et peut être balayé par les coups durs de l’existence. Pour se préserver de ce désastre, il faut continuer d’avancer.
Un service en toute simplicité
L’étape suivante, c’est Etam lié au concept de Témimout, littéralement de “simplicité”. Mais la traduction est trompeuse. Être simple, ce n’est pas être simplet. Dans le Hayom Yom, le RaYats définit la Témimout comme étant la “Rétsinout”, le sérieux, le fait d'être consciencieux, discipliné.
“L'atmosphère de travail” de la Soucca, précaire, doit au fur et à mesure sortir de cette précarité et se solidifier, se cristalliser afin que même des vents un peu plus fort ne puisse faire chanceler notre service de D.ieu. Cela, nous l’obtenons en travaillant sur notre constance, notre sérieux. C’est cela être “simple” selon la ‘Hassidout. Ne pas trop se poser de questions et accomplir consciencieusement son travail…
Nous sommes alors près à la Messirout Néfech, ce don de soi qui peut provoquer l’ouverture de la mer…
En résumé...
Nous avons tous des réveils à la Téchouva. Cela peut être le grand, celui qui nous donne envie de changer totalement notre vie, mais cela peut être aussi des petits, un désir d’améliorer ce qui existe déjà. Dans tous les cas, aucun résultat concret ne peut être obtenu sans ordre et discipline. Après la prise de conscience, la sortie d’Égypte et la neutralisation du Mal (Ra’msès), qui peut être une expérience spirituelle forte, il faut construire et se réfugier à Souccot, établir un cadre défini, savoir répondre aux questions : Où ? Quand ? Comment ? De la manière la plus honnête possible.
Il est difficile pour ne pas dire impossible de donner des exemples concrets. Chacun doit se connaître. Ce qu’il est impératif de savoir c’est que rien ne se fait "tout seul”. Il faut s’investir, méditer jusqu’à trouver le ton juste, sans se mentir. Se construire un cadre rigoureux dans l’action concrète (les parois) et savoir filtrer cette puissante Lumière de la Téchouva afin de pouvoir en profiter pleinement selon nos capacités (le Skha’h).
Mais la tentation, c’est de se croire à l’abri dans notre Soucca. De croire que l’on y est arrivé. L'atmosphère de sainteté que nous créons ne suffit pas, cela reste précaire, car pas encore totalement intégré en nous. Un Makif, même qui agit sur le Pnimi, reste un Makif.
Pour intégrer nos changements et ne pas chanceler il nous faut de la Témimout, du sérieux de la discipline (Etam).
Lorsqu’on voit une personne apparemment pieuse, qui dans le courant de sa vie abandonne la pratique des Mitsvot, on peut se demander : pourquoi?
Peut-être est-il trop longtemps resté sous cette Soucca qu’il s’est construit. Peut être n’a-t-il pas fait cet effort d'intégrer, simplement, cette Lumière qui le poussa au début de son cheminement sur le sentier de la Torah et des Mitsvot.
Alors, mettons nous en chemin, étapes par étapes…
D’après un discours du Rabbi Rayatz - Chémini Atsérèt 5693 (Likoutei Dibourim Tome 5)