Vers la fin de la paracha de cette semaine, Pin'has, on nous raconte que Moché Rabbénou demanda à Hachem de nommer un successeur qui fera entrer le peuple juif en Erets Israël. Hachem lui répond que son fidèle disciple Yéhochoua est la personne appropriée. ‘Hazal analysent le dialogue entre Hachem et Moché. Ils nous informent que Moché demanda d’abord à ce que ses propres fils prennent sa suite, mais Hachem rejeta sa requête, parce que ses « fils se sont assis pour eux-mêmes et ne furent pas "ossek baThora" », tandis que Yéhochoua « arrivait tôt et repartait tard de la maison d’études, mettait en place les bancs et recouvrait les tables... »[1].
Deux difficultés peuvent être soulevées dans ce midrach. Tout d’abord, si les fils de Moché n’étaient pas ossek baThora (littéralement, ne s’occupaient pas de Thora), comment pouvait-il espérer les pressentir à sa succession ?[2] De plus, la comparaison entre les fils de Moché et Yéhochoua semble se faire sur leur investissement dans l’étude de la Thora. Or, quand Hachem fait l’éloge de Yéhochoua, il met l’accent sur la mise en place du Beit HaMidrach – ce qui ne paraît pas être lié à l’étude même. Comment comprendre alors ce parallèle ?
Rav Eliachiv zatsal explique que les fils de Moché étaient des talmidé ‘hakhamim et avaient suffisamment étudié pour diriger le peuple juif – c’est la raison pour laquelle Moché les jugea aptes à prendre la relève. Néanmoins, Hachem lui dit qu’ils n’étaient pas « ossek baThora ». Cela signifie qu’ils avaient appris pour eux-mêmes, sans partager leur savoir avec leurs frères. Inversement, Yéhochoua aménageait la maison d’étude, permettant ainsi à d’autres personnes de venir étudier – c’est ce qui lui donna l’attribut de « ossek baThora ».[3]
Comment déduit-on qu’il faut se soucier des autres pour avoir le titre de « ossek baThora » ? Pour répondre à cette question, il nous faut comprendre le sens de la mitsva de l’étude de la Thora. Le Rambam mentionne deux sources concernant cette mitsva : « Tu l’enseigneras à tes enfants » et « Vous les enseignerez à vos enfants ». Le Rambam déduit de ces commandements que la raison principale de l’étude de la Thora est sa transmission. Il précise en outre que les élèves sont aussi appelés « enfants » ; l’obligation d’enseigner la Thora concerne donc également celui qui n’a pas d’enfant. On comprend ainsi pourquoi rav Eliachiv traduit « ossek baThora » par « celui qui amène l’autre à étudier la Thora ».
D’autre part, la guemara[4] affirme que l’histoire du monde se divise en trois périodes de deux mille ans. La première s’appelle « les deux mille ans de néant », les deux millénaires suivants sont connus comme « les deux mille ans de Thora ». Les commentateurs expliquent que le premier tiers de l’histoire porte ce nom à cause de l’absence de Thora dans le monde à cette époque, tandis que la période qui suit marque le début de sa présence. La guemara atteste que les années de Thora débutent au moment où Avraham commença à la transmettre à travers le monde.
Pourtant, plusieurs maamaré ‘Hazal prouvent que d’illustres personnages qui vécurent avant Avraham étudièrent la Thora[5]. Pourquoi sont-ils alors inclus dans une période décrite comme vide de Thora ? De plus, Avraham Avinou a lui-même appris la Thora bien avant de commencer à l’enseigner aux autres (Rachi précise qu’il avait 52 ans au début de cette deuxième période). Pourquoi ne pas faire débuter l’ère de Thora quand il commença à la découvrir ? Le rav Zéev Leff chlita explique qu’Avraham Avinou entreprit quelque chose de plus que ses prédécesseurs – il diffusa son savoir. Les deux millénaires de Thora ne démarrent donc que quand celle-ci commença à être enseignée.[6]
Il nous faut encore comprendre pourquoi l’enseignement de la Thora est si primordial. La guemara dans Sanhédrin[7] rapporte un verset de parachat Chela’h Lekha affirmant que celui qui sert d’autres dieux « dégrade le monde d’Hachem »[8]. La guemara ajoute ensuite d’autres comportements qui méritent la même accusation et y inclut celui qui apprend et qui n’enseigne pas.
Le Ben Ich ‘Haï demande pourquoi cette personne est jugée si sévèrement. Il explique que la Thora est éternelle et que cette pérennité n’est garantie que si l’on transmet ses enseignements à la génération qui suit. Or, celui qui apprend sans se soucier d’enseigner à son prochain, de transmettre cette étude à la génération suivante endommage la nature éternelle de la Thora.[9]
Ceci nous aide également à comprendre pourquoi il était si important que le chef du peuple juif incite à l’étude de la Thora – sa mission était de préserver et de perpétuer la Tradition, l’éternité de la Thora. L’enseignement de la Thora est, outre un grand ‘hessed envers les autres, une manière de développer notre appréciation de sa nature éternelle et de jouer un rôle dans sa transmission.
[1] Bamidbar Raba, 21:14.
[2] Question soulevée par rav Eliachiv, Divré Agada, p. 319.
[3] Ibid.
[4] Avoda Zara, 9a.
[5] Adam Harichon, Noa’h, Chem et Ever ont également étudié la Thora.
[6] Pour expliquer pourquoi Chem et Ever ne sont pas inclus dans cette période alors qu’ils avaient une yéchiva et des disciples à qui ils enseignaient la Thora, voir Rambam Hilkhot Avoda Zara, Ch. 1, Halakha 3, ainsi que le Raavad et le Kessef Michné, Chout ‘Hatam Sofer, introduction à Yoré Déa, et ‘Homat Hadat du ‘Hafets ‘Haïm qui développent ce sujet.
[7] Sanhédrin, 99a.
[8] Parachat Chela’h Lekha, Bamidbar, 15:31.
[9] Benayahou, Sanhédrin, 99a, rapporté dans Peniné Ben Ich ‘Haï, Parachat Chela’h Lekha, p. 212.